Édition du 17 décembre 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Après la victoire du non au référendum

Colombie : Entretien avec Antonio Navarro Wolff

« Personne ne souhaite un retour du conflit armé, mais nous sommes dans une grande incertitude et on ne peut écarter cette possibilité. » C’est ce qu’a expliqué à Brecha Antonio Navarro Wolff, le sénateur pour l’Alliance verte et ex-participant au mouvement armé M19 [Movimiento 19 de abril, qui s’engagea dans la lutte armée au début des années 1970 jusqu’en 1990 ; par la suite, il forma l’organisation politique Alliance démocratique M19 qui fut dissous]. Ex-constituant, ex-ministre de la santé, ex-gouverneur de l’Etat de Nariño, secrétaire de gouvernement de Bogota entre janvier et mars 2012 et actuellement sénateur de la République, Antonio Navarro Wolff a milité activement pour le Oui. En effet, Brecha a pu constater à Medellin comment il parcourait des parcs et des places pour promouvoir le vote en faveur des accords. Il se déplace avec une canne depuis le 23 mai 1985, suite à un attentat dans lequel il a également perdu la mobilité de sa langue. Le samedi 2 octobre, quelques heures avant la consultation, l’ex-guérillero a participé, à une table ronde, avec plus de 100 journalistes invités au Festival Gabo. Ce festival est organisé à Medellin par la Fondation Gabriel Garcia Marquez pour un nouveau journalisme ibéro-américain.

Quelle est votre première analyse du résultat du référendum et du processus qui s’ensuit ?

Le résultat a surpris tout le monde, y compris ceux qui étaient en faveur du « non », qui a gagné de très peu [50,21%, soit 6’431’376 votes contre 49,78% pour le oui, 6’377’482 votes]. Le résultat doit être respecté, ce qui implique qu’il faut obtenir une révision des accords de La Havane. Il faut assurer que les opérations militaires et de guérilla ne reprennent pas et il est essentiel que toutes les parties comprennent que, tels qu’ils sont actuellement, les accords ne sont pas acceptés par la majorité des Colombiens. Il est nécessaire de former une commission de négociation entre ceux qui soutiennent le Oui et ceux qui soutiennent le Non.

Je pense que le premier pas devrait être de prolonger le cessez-le-feu au-delà du 31 octobre, comme l’a annoncé le président Juan Manuel Santos.

Que se passera-t-il si les FARC déclarent qu’ils ne vont pas renégocier ?

En acceptant le référendum, les FARC en ont accepté le résultat [1]. Le Centre démocratique (le parti de Alvaro Uribe, partisan du Non) ne peut pas rester à l’écart de cette négociation. Il doit s’engager et donner sa position, tout comme les victimes. Les gens nous disent : « S’il vous plaît, faites quelque chose ! »

Le Congrès peut-il prendre en main ou appliquer cet accord en passant par-dessus le résultat du référendum ? N’oublions pas que d’après la Cour constitutionnelle le respect du résultat est obligatoire pour le président.

Cela équivaudrait à tourner le dos au peuple. Au-delà des aspects juridiques, il s’agit d’une question politique. Certains ont considéré qu’une telle solution était envisageable, mais je ne le pense pas. Nous avons ici un pays coupé en deux, on ne peut pas ignorer la moitié gagnante.

Quel a été le rôle de la communauté internationale dans ce processus, en particulier celui des Etats-Unis, et quel sera leur rôle à l’avenir ?

Toute la communauté internationale a soutenu sans réserve cette voie, elle a accepté ce qui a été négocié et a défendu cette négociation. Pour le monde il doit être difficile de comprendre que devant la possibilité d’une paix certaine, ce soit le Non qui l’ait emporté.

Espérons qu’elle continuera à soutenir le dialogue et une nouvelle possibilité de paix.

Les Etats-Unis vont dans ce sens en signalant la possibilité de libérer l’un des chefs des FARC, Simon Trinidad [arrêté en Equateur en 2004 et extradé aux Etats-Unis, condamné à 60 ans d’emprisonnement], après l’élection présidentielle états-unienne de novembre. On a essayé de faire en sorte que la libération se fasse dans le cadre de la négociation de paix, mais si finalement cela pouvait être reconduit ce serait un grand geste de la part du gouvernement états-unien.

Comment expliquer, au moment où il est question de l’accord de paix avec la guérilla, que continuent des épisodes de violence graves avec des assassinats de dirigeants syndicaux, d’écologistes et de militants sociaux ?

Au cours des six derniers mois il n’y a pas eu un seul mort en lien avec le conflit. Il y a des actes de violence comme ceux que vous mentionnez, mais ils n’ont aucun lien avec le conflit armé.

Sommes-nous si éloignés d’un retour à la guerre ?

Nous espérons tous qu’il n’y aura pas de retour à la guerre, mais nous sommes dans une situation sans précédent. Au Guatemala il s’est passé quelque chose de semblable, mais la guérilla était déjà désarmée. Ici le risque existe encore. (Article publié dans l’hebdomadaire urugayen Brecha, le 7 octobre 2016, écrit depuis Medellin ; traduction A l’Encontre)


[1] Selon l’AFP du 7 octobre, « la guérilla des Farc et le gouvernement colombien se sont engagés vendredi à maintenir un cessez-le-feu bilatéral et définitif et à apporter des ajustements à l’accord de paix pour tenter de le préserver malgré son rejet par référendum en Colombie ». (Réd. A l’Encontre)

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