Analysons un exemple de tentative d’information impartiale. Le 24 mars 2018, la chaîne d’info continue France-Info diffuse un « Instant détox » sur les cheminotEs. On pose des questions aux chalands, questions basées sur le sentiment généralement répandu, puis on donne « l’heure juste ».
La première question concerne la prime pour le charbon que les cheminotEs reçoivent. On apprend aux passantEs qu’elle a été abolie en 1974. La question suivante demande si les cheminotEs ont un emploi à vie. Le « reporteur » s’empresse de dire : « Ah, oui, ça c’est assez vrai, il est très difficile de les licencier. » L’instant détox s’est muté en intox renforcée. Si le « journaliste » nous le confirme, c’est donc vrai.
Aucune preuve, aucun argument. Mais non, les cheminotEs, pas plus que les autres fonctionnaires, n’ont d’emploi à vie. Ils ou elles sont mieux protégéEs que les autres salariéEs parce qu’ils ou elles sont syndiquéEs. C’est normal, ça évite les renvois arbitraires. Mais le code du travail prévoit toujours le renvoi pour faute grave. Il est toujours possible de congédier quelqu’un qui ne fait pas ou très mal son travail. Et tant pis pour l’impartialité, l’objectivité !
La question suivante, c’est « Est-ce qu’ils ont une meilleure retraite ? » Et la réponse est « Oui, en moyenne la retraite des cheminots est de 1900 euros brut et la moyenne de la retraite des Français est de 1700 euros. » Déjà la question posait comme absolue une valeur relative : une meilleure retraite que qui ? Ils n’ont pas la meilleure retraite du monde, mais une meilleure que la moyenne. Ah bon ! Ne devrait-on pas dire tant mieux et féliciter leur syndicat ?
Maintenant, comparons avec la retraite moyenne d’autres catégories. D’après le journal La Tribune du 12 mai 2015, sous la plume de Jean-Christophe Chanut, les militaires ont une retraite de 2290 euros, les fonctionnaires territoriaux (agentEs sociaux territoriaux, gardes champêtres, conservateurs/trices territoriaux, sapeurs-pompiers, police municipale, etc.) ont 1830 euros et les professions libérales 2610 euros. S’est-on demandé quelle était la retraite des secteurs financiers ? des ministres ? des cadres supérieurs ? Alors que signifie « meilleure retraite » ? On est passé un peu vite, non ?
La quatrième question était « Est-ce qu’on peut travailler dans un bureau et avoir le statut de cheminot ? » La réponse était « Oui, ça concerne 92 % des employéEs de la SNCF. » Encore une fois, l’information incomplète ne nous dit pas si 92 % des employéEs travaillent dans les bureaux.
« Un syndicaliste a affirmé que les cheminots ont une espérance de vie de 10 ans de moins que la moyenne des Français ? Est-ce que c’est vrai ? » La réponse : « C’est faux. Les cheminots ont une espérance de vie de 82 ans alors que celle des Français est de 80 ans. Ça c’était une vraie intox. » Aucune référence au syndicaliste en question. Et on suppose que les intox faites par la chaîne, elles, ne sont pas de la vraie intox.
Question suivante : « Les cheminots partent-ils à la retraite plus tôt ? » La réponse : « Les sédentaires partent à 57 ans et les roulants à 53 ans, ce qui est quand même beaucoup mieux que la moyenne des Français qui partent à 63 ans. » Ce qu’on oublie de dire, c’est que la moyenne des Français n’est pas syndiquée. C’est ça l’avantage d’avoir un syndicat, c’est d’avoir de meilleures conditions.
Dernière question : « Le statut des cheminots plombe le budget de la SNCF. » La réponse est diffusée tout bas avec un environnement sonore qu’on ne trouvait pas dans les autres réponses. « La dette de la SNCF, c’est 50 milliards d’euros. On ne risque pas d’y changer quelque chose avec la réforme du statut des cheminots. Qu’est-ce qui représente 50 milliards d’euros, bien par exemple l’évasion fiscale. » Curieux que cette dernière information soit enterrée par la musique.
Et au final, en quoi avoir de meilleures conditions de travail que la moyenne, surtout que les non-syndiquéEs, discrédite-t-il la lutte contre la démolition du service public ? Pas un mot là-dessus. On devrait rappeler que le mouvement social concerne surtout la soumission du service public à la concurrence, ce qui n’est jamais bon comme l’exemple anglais l’a amplement démontré.
Quand on entend par exemple Maxime Coutié à Info-Matin dans la semaine du 2 avril dire que le résultat du mouvement social dépendra de l’opinion publique, car les conditions de travail des cheminotEs sont béton, c’est que cet animateur, dont le rôle est d’être impartial et objectif, considère donc cet énoncé comme véridique et vérifié. L’hégémonie culturelle présente donc les employéEs syndiquéEs comme des privilégiéEs qui n’ont pas leur mot à dire sur le service public et sa protection.
Pendant ce temps, dans les officines gouvernementales et les bureaux des affairistes...
LAGACÉ, Francis
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