Ses arguments font froid dans le dos : "sauvegarder l’identité du peuple [juif]", "la signification [négative] de l’assimilation", "des relations intimes entre des Juifs et des non-Juifs sont perçus par une partie importante de la population comme menaçante une identité séparée". Si on remplace "juif" par "aryen", on se retrouve 80 ans en arrière, quelque part au centre de l’Europe…
"Haie vive" raconte une histoire d’amour entre une Juive israelienne et un Palestinien de Ramallah, une histoire qui se déroule d’ailleurs a New York, car elle est quasiment inimaginable en Israël : ce n’est que loin du racisme ambiant, que de telles relations peuvent occasionnellement se développer.
Comme l’explique très bien l’éditorialiste du quotidien Haaretz Ravit Hecht : "Avant tout, si l’"affaire Haie vive" excite tellement les esprits c’est parce qu’elle est faite du matériau le plus basique et le plus primitif de la culture humaine – le sexe et la race". (Haaretz, 1.1,2016). Derrière les mots "assimilation" ou "maintien de l’identité" se cache la peur atavique d’un accouplement entre deux êtres appartenant à des espèces différentes, un véritable crime contre la nature.
Disons le clairement : ce racisme biologique est largement partagé dans la société israélienne (c’est dans notre ADN nous dit Rabinian) où les mariages entre Juifs et non-Juifs restent perçus comme une espèce de trahison ou pour le moins comme une démarche contre-nature. Comme l’écrit encore Ravit Hecht : "L’aspiration a une vie libre qui inclut des définitions et des valeurs qui sont choisies individuellement – peut-être l’unique définition de l’humain – c’est ce qui démarque l’humain de l’animal.
Sauter au dessus de la haie, la détruire, l’éradiquer." Mais elle ajoute : "Ces dernières années en Israël cette aspiration est de plus en plus écrasée".
Le ministre (d’extrême droite) de l’éducation, Naftali Benett, a fait de cet écrasement une véritable croisade, en mettant en place un Directorat pour l’Identité Juive et faisant réécrire les manuels d’éducation civique afin qu’ils insistent d’avantage sur ce qu’il appelle "la dimension juive". Il s’agit là d’une politique d’endoctrinement qui a d’ailleurs poussé de nombreux enseignants à se revolter et à annoncer qu’ils refusaient de respecter les nouvelles consignes.
Il n’y a pas si longtemps encore, la culture dominante prétendait à l’universalisme et rejetait les valeurs ouvertement racistes. S’il ne fait aucun doute que ce rejet était fait de beaucoup d’hypocrisie et de mauvaise foi flagrante – car effectivement le racisme est dans l’ADN de la culture et de la politique israéliennes, et dans le concept même d’Etat Juif – il n’en reste pas moins qu’il existait. Aujourd’hui la société israélienne a perdu le sens de la honte. Prétendre rejeter le racisme, et éprouver de la honte pour des comportements racistes, c’est ce qui distingue moralité et loi de la jungle. Pour reprendre les mots de l’éditotialiste du Haaretz, "c’est ce qui fait la différence entre éthique et Da’esh".
Publié dans le Courrier de Genève, Janvier 2016