Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), reportage
Ce lundi 14 janvier 2019, à Montceau-les-Mines, une palissade de pneus et de palettes de bois se dresse en bordure de l’échangeur du Magny. Une combinaison jaune fluo en caoutchouc trône au-dessus de la barricade, accrochée à des manches en bois. Bourrée de paille, elle est affublée d’une couronne et d’un masque à l’effigie d’Emmanuel Macron. Dans l’enceinte, une quinzaine de Gilets jaunes se réchauffent auprès d’un brasero fumant ou se protègent de la bruine sous une cabane de tôle, de bois et de bâches. Les cafés sont préparés par les deux Christiane, qui s’affairent derrière le comptoir. « On n’a jamais fait autant de café dans notre vie, s’amusent-elles dans un regard complice. Certains samedis, on en a certainement distribué plus de mille ! »
Les deux Christiane.
La terre, humide et boueuse, colle aux basques et parsème les semelles de traces noirâtres. L’index dans sa barbe blanche, Gérard, la soixantaine, scrute le sol. « Le terrain est charbonneux, dans le coin », affirme cet ancien ouvrier spécialisé en métallurgie. Enfant du pays, il se remémore le passé minier de Montceau : « Je suis un peu allé à l’école, alors j’ai évité d’aller au fond, mais les trois-quarts de ma famille ont travaillé à la mine. C’était très dur, mais beaucoup de gens en vivaient. » Au cours du XXe siècle, les houillères de Montceau-les-Mines ont accueilli jusqu’à 12.700 mineurs. « À partir les années 1970, se souvient-il, on a vécu les fermetures et la ville a perdu de son attractivité. Les grandes usines ont fermé et n’ont jamais été remplacées. On ne s’en est jamais vraiment remis. »
« Un endroit où la solidarité n’est pas un vain mot »
Deux de ses quatre enfants sont au chômage. « Comme beaucoup ici, ils ne s’en sortent pas », soupire Gérard. C’est pour eux et ses huit petits-enfants qu’il a enfilé son gilet jaune. « Les mineurs ont lutté toute leur vie. C’est pour ça qu’à Montceau, on ne peut tolérer de perdre des acquis sociaux chèrement gagnés. » Dès le début du mouvement, le sexagénaire a rallié le Magny et la lisière de la route Centre-Europe Atlantique (RCEA), « un endroit où la solidarité n’est pas un vain mot, où l’on se relaie pour garder le camp, où l’on se serre les coudes pour reconstruire à la seconde même où nos installations sont détruites ». Le campement a été rasé par la direction interdépartementale des routes (DIR) le 20 novembre, démantelé par les forces de l’ordre le 17 décembre, et consumé par un incendie d’origine inconnue dans la nuit du 23 au 24 décembre.
Gérard (à gauche).
« Dès le lendemain, le camp s’est relevé », raconte Elsa, assise auprès du feu. Elle enfile quotidiennement, depuis le 17 novembre, son chandail fluo. Chaque semaine, elle participe avec ses camarades aux assemblées générales et aux réunions de travail par thème : revendication, action, logistique, sécurité, médiation et communication. Toute une organisation. « Nos revendications principales, dit-elle, sont la baisse des taxes sur les produits de première nécessité, la diminution des salaires et des avantages des élus et hauts fonctionnaires, et la mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC). Pour le reste, nous ne sommes pas toujours d’accord mais, l’essentiel, c’est de maintenir ce dialogue et d’être à l’écoute. »
Sensible aux enjeux écologiques, la trentenaire milite aussi pour le développement « du lien direct entre consommateur et producteur, à travers les Amap », des alternatives au tout voiture - « quasiment indispensables ici, en l’état actuel des choses, pour ne pas être isolé » — et manifeste son ras-le-bol des suremballages en supermarché.
Au gré des moments passés au Magny, des réunions ou des filtrages de la RCEA, elle s’est trouvée des atomes crochus avec Jacquy et Corinne, retraités et « écosocialistes de longue date », comme ils se définissent. « Le cas de Montceau est assez symbolique de ce qui se passe quand il n’y a pas de transition, pensent Corinne et Jacquy. Nous ne pouvons pas être pour le maintien des mines, mais leur fermeture implique une réflexion profonde sur la vie des gens qui sont sur place. Il ne devrait pas y avoir de contradiction entre sauver la planète et sauver des emplois. La transition énergétique, agricole, économique pourrait offrir des possibilités phénoménales de ce point de vue : de nouveaux emplois et une planète viable pour tous. »
Le président Macron voit « l’écologie par le bout de la lorgnette »
Le couple, qui a passé le réveillon du Nouvel An autour du feu avec une trentaine de citoyens, apprécie tout particulièrement « l’envie de subversion revigorante du mouvement, à un moment où l’on désespère que les choses bougent. Au Magny, les gens sont acceptés tels qu’ils sont, au-delà des clivages politiques, unis par une volonté de dire stop à l’injustice, sous tous ses aspects. » Ce lundi, Jacquy et Corinne ont lu la « lettre aux Français » du président Macron, « dans laquelle l’écologie est prise uniquement par le bout de la lorgnette, dans une forme d’écologie individualiste qui transforme les gens mais pas le système ». Une nouvelle réponse décevante, à leurs yeux, de la part d’un État « obstiné par l’ordre » : « Mais quand on veut de l’ordre, on commence déjà par mettre les gens dans une situation où ils n’ont pas la rage au ventre toute la journée. »
Elsa, Jacquy et Corinne.
Un grand chien noir saute entre les flaques et amuse la galerie. « Pourquoi il ne porte pas de gilet celui-là », interroge Yves. « Il est libre, ce n’est pas son combat », rétorque Fanny, la propriétaire de Buck, le terre-neuve. Yves esquisse un sourire. Le mouvement des Gilets jaunes sonne, pour lui, comme une respiration. Il a été tour à tour fraiseur, bonnetier régleur, vendeur et employé commercial dans la grande distribution. « J’avais des contrats à la semaine je m’occupais des mises en rayon. C’était physique, répétitif et ça a fini par me bousiller le dos. » C’était avant la mort de sa mère, en 2011. « Là, j’ai dû prendre le relais auprès de mon père, atteint de la maladie d’Alzheimer. Depuis huit ans, je veille sur lui en permanence. »
Dans la marmite des revendications des Gilets jaunes, il souhaite ardemment ajouter « des moyens supplémentaires pour les aidants familiaux ». Yves est convoqué, ce vendredi 18 janvier, en audience devant le juge des tutelles. « La juge a appris que j’étais allé sur le camp avec mon papa, explique-t-il. Elle considère que je l’ai mis en danger, plusieurs heures, dans le froid, et que je ne devrais pas l’amener dans mon combat car il n’a pas conscience de ce qu’il fait. » Yves assure qu’il répondra « sereinement » aux questions de la magistrate : « Je n’ai rien à me reprocher. Je prends soin de mon père et j’évite les actions illégales, car si la police m’embarque, il n’y aura plus personne pour s’occuper de lui. Mais c’est important pour moi d’être là, de faire ma part pour les millions d’aidants familiaux. »
Le mardi 15 janvier, au lendemain de notre reportage au Magny et le jour du lancement du « grand débat national », les Gilets jaunes ont reçu la visite des forces de l’ordre, d’agents de la DIR et de représentants du préfet. « Ils ont pris des photos et noté l’identité des gens sur place, explique Pierre-Gaël Laveder. Nous avons été invités à démanteler le camp avant ce samedi 19 janvier. » Si cela n’est pas fait, les personnes contrôlées ce jour-là pourront recevoir des amendes de catégorie 5 pour occupation illégale de terrain appartenant à l’État et construction d’une cabane de plus de 20 m2 sans permis de construire et sur un endroit inconstructible selon le plan local d’urbanisme (PLU). Suite à des échanges avec la mairie de Montceau, un compromis a été trouvé, jeudi 17 janvier. Le camp des Gilets jaunes devrait déménager sur un terrain derrière le stade du Magny, invisible depuis la route. La construction en dur étant interdite, les Gilets jaunes devront trouver une caravane s’ils veulent un abri. Les feux au sol sont également proscrits et uniquement autorisés dans des tonneaux.
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