Comme touriste, voici comment j’ai vécu, à Paris, une partie de mon samedi 5 janvier 2019. Je voulais sortir du métro Châtelet par la rue Saint-Martin. Il m’a fallu rebrousser chemin, car cette sortie était envahie par les gaz lacrymogènes au point où l’odeur se répandait loin dans les tunnels. Ma gorge comme mes yeux se sont mis à piquer fortement. Je prends donc une autre sortie près de la rue Victoria, et vois la foule des Gilets jaunes qui se fait refouler par la police, alors que les manifestant·e·s tentaient simplement de rejoindre la place de l’Hôtel-de-ville d’où devait partir la manifestation telle que déclarée à la préfecture.
Près du fleuve, on voyait la rangée de CRS raides et d’allure imperturbable, mais aussi un peu plus loin, passé le pont Notre-Dame, des groupes vêtus de noir qui semblaient comploter. Ils montraient des gens du doigt, puis se précipitaient sur eux. Les gendarmes et CRS les regardaient d’un air complaisant.
Rien ne distinguait certaines de ces personnes des CRS sinon l’absence de casque et de bouclier. Rien n’en distinguait d’autres des casseurs. Sauf que, dans les deux cas, ces gens en noir portent un brassard orange sur lequel est écrit BAC. Ce sont des membres de la Brigade anti criminalité. Ces groupes créés par la police dans les années 90 sont des sortes de milicien·ne·s qui s’habillent comme ils veulent et font la loi dans les banlieues. Leur apparition au centre de Paris est récente, mais à voir leur comportement de cowboys « lâchés lousses », on comprend que les jeunes des técis les aient en aversion.
Je discute avec une dame qui porte un gilet jaune. Elle est déçue d’être ainsi refoulée et ne comprend pas pourquoi un groupe pacifique ne peut se diriger vers le lieu déclaré de la manifestation. Je la salue alors qu’elle va rejoindre son groupe. Puis, je me retourne et vois la rangée de CRS qui avance vers moi jouant de la matraque dans leurs mains. On sent qu’ils ont envie d’en découdre avec les manifestant·e·s pourtant tranquilles. C’est tout juste s’ils n’ont pas la bave aux lèvres. Je m’engouffre à toute allure dans le métro pour éviter qu’ils me passent sur le corps. Mon cœur bat à tout rompre. Comme militant des droits sociaux, j’ai connu moult manifestations, mais autant de rage non provoquée suscite toujours l’effroi.
Avec nombre de correspondant·e·s sur Twitter, je constate qu’une telle attitude est devenue l’ordinaire de la réponse policière au mouvement social. Pendant ce temps, les médias tournent en boucle une vitrine fracassée quelque part sur les Champs-Élysées. Pas un mot sur les centaines de blessé·e·s par la police pourtant rigoureusement rapportés par le journaliste indépendant David Dufresne.
Ce qui me frappe dans la Macronie, au sens propre comme au figuré, c’est l’inhumanité du gourou de ce régime d’État, des fabricants de ce régime, de ses officiers, de ses sbires, de ses techniciens qui soutiennent La Répression En Marche, de ses larbins et de ses thuriféraires médiatiques. Jamais la moindre compassion pour les victimes d’un régime autoritaire et d’une société profondément inégalitaire. Les objets et les images sont sacrés ; on arrête des gens qui ont simplement décroché un portrait du chef suprême. (Non, je ne blague pas. Ce n’est pas la Corée du Nord, c’est la Macronie.)
Les gens, quant à eux, sont considérés comme accessoires et substituables. Les ministres et députés macronistes vont même jusqu’à rejeter la faute sur les personnes blessées. Nombre de comptes macronistes sur les réseaux sociaux se réjouissent de la violence, des blessures, certain·e·s en appellent au meurtre. Tous les soutiens de ce régime fou se lâchent et appellent à la violence contre la dissidence. Des individus qui passent pour des philosophes respectables estiment que le vote d’un opposant ne compte pas, qu’il faut « se débarrasser » des Gilets Jaunes et qu’il faut se servir des armes de guerre contre les manifestant·e·s. La Macronie est inhumaine.
Rappelons que le caporal en chef de ce nouveau régime voulait honorer Pétain le jour de l’Armistice. On a eu beau faire disparaître les documents qui le prouvaient, d’autres ont été plus rapides pour les photographier, les numériser et les diffuser. Rappelons que lui et son ministre de l’Intérieur ont inventé de toutes pièces un délit de complicité des violences si on se trouve sur les lieux d’une manifestation non déclarée. Cela est parfaitement contraire à tous les droits reconnus internationalement.
Rappelons que le nouveau prince a décidé d’appeler l’armée faisant de lui-même un Adolphe Thiers. Sa cruauté, typique du narcissique qui se croit intouchable, l’a même poussé à dire qu’une manifestante pacifiste âgée renversée par un policier n’avait tout simplement pas à se trouver là. L’État se fait terroriste en infligeant la peur à quiconque veut faire connaître sa dissidence.
Rappelons que ce régime a fait voter une loi qui restreint sévèrement le droit de manifester en la faisant passer pour une loi « anti-casseurs ».
Au Québec en 2012, de telles mesures liberticides ont été adoptées. La population était clivée presque pour moitié entre les partisan·e·s de la force et celleux de la liberté de manifester. La police n’a pas osé appliquer constamment une loi si immonde. Heureusement, il y avait dans l’entourage du Premier ministre québécois des conseillers suffisamment intelligents pour lui suggérer de passer par les urnes avant que la situation ne dégénère. C’est ce que font tous les démocrates même quand leur compréhension de la démocratie est limitée.
En France, ce sont les deux-tiers de la population qui sont en désaccord avec l’exécutif. Il semble hélas qu’il ne reste plus de conseillers intelligents autour de la présidence et que sa compréhension de la démocratie soit infime. Rappelons que le locataire de l’Élysée considère la démocratie comme le fait de mettre un bulletin dans l’urne uniquement aux cinq ans avec comme seul droit celui de se taire entretemps, ou sinon d’aller écouter des leçons de « bien penser » dispensées par lui-même dans des shows intitulés Grand Débat.
Nous avons peur pour notre sécurité si nous osons retourner en territoire français, car le caporal-prince-président a aussi déclaré qu’il était « inacceptable de parler de violence policière ». Donc, la pratiquer n’est pas grave, c’est en parler qui est le problème. C’est à cela que mène l’ivresse du pouvoir.
Tant que l’État français sera aux mains d’Augusto Macronet et de ses sbires, nous ne pourrons prendre le risque de nous faire matraquer, assommer, renverser, arrêter juste parce que nous nous trouvons à un endroit où on ne veut pas nous voir ou parce que nous ne pensons pas « de la bonne manière ».
Nous espérons qu’un jour bientôt nous pourrons renouer avec celle que Ferrat appelait affectueusement « Ma France » :
Qu’elle monte des mines, descende des collines
Celle qui chante en moi, la belle, la rebelle
Elle tient l’avenir inséré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France
Gilets Jaunes, résistez, c’est vous qui sauverez l’honneur de notre France et nous y ramènerez.
LAGACÉ, Francis
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