Ces gens blâment les directions péquistes successives depuis 1995 d’avoir tu leur option et à Québec solidaire le caractère subsidiaire de son adhésion au projet souverainiste. Ils proposent donc que le Parti québécois remette à l’avant-plan le motif de sa fondation en 1968, quitte à en refaire tout le programme économique et social. Selon eux, il faudrait procéder à une sorte d’opération zen péquiste : tout remettre en cause dans le programme socio-économique mais en conservant le pivot de l’indépendance. Il s’agirait nous dit-on, de l’unique chance de survie du PQ.
Mais les péquistes et plus largement les souverainistes en ont beaucoup traité et sur tous les tons depuis les débuts du RIN en 1964 et ce jusqu’en 1995 et de manière plus sporadique, décousue depuis cette époque.
Mais la question de sa réalisation pose en soi tout un défi, non dénué de problèmes aigus et même de dangers. On ne peut se contenter de discours creux et vagues là-dessus, comme ce fut trop longtemps le cas dans le passé.
Les dirigeants et dirigeantes péquistes ont toujours oscillé entre la volonté de ne pas effrayer l’électorat et celle de lui présenter la vérité crue, comme Pierre Bourgault le leur a souvent reproché.
« Le Parti québécois a le devoir de ne rien cacher aux Québécois », répétait-il au grand déplaisir de René Lévesque, Jacques Parizeau, Jacques-Yvan Morin et d’autres.
Mais il avait raison.
Les obstacles sont nombreux, bien qu’ils ne soient pas insurmontables.
Le Québec est profondément inséré dans le territoire canadien : il s’étend de l’embouchure du Saint-Laurent à l’est jusqu’à Cornwall à l’ouest. La Voie maritime du Saint-Laurent le traverse et toute l’importante navigation commerciale qu’elle autorise. Ceci sans même mentionner les chemins de fer qui relient l’Ontario aux Maritimes, de même que la présence de l’aéroport international Pierre-Elliott Trudeau à Montréal. Et le Québec est a province la plus populeuse après l’Ontario.
Ce qui fait sa force produit aussi sa vulnérabilité.
Le gouvernement fédéral a donc des intérêts énormes à y défendre, lesquels lui inspireraient bien des tactiques d’obstruction à l’égard de la « province sécessionniste » dans l’hypothèse où le OUI l’emportait lors d’un troisième référendum. Cela interdit de penser que l’indépendance pourrait se dérouler en douceur.
L’indépendance du Québec (même sous sa forme accommodante de la souveraineté-association) ne passerait donc pas comme lettre à la poste, ni dans la classe politique fédérale (à l’exception du Bloc québécois) et encore moins dans l’opinion publique canadienne-anglaise. Celle-ci y trouverait une belle occasion (encore une !) de se livrer à un spectaculaire « Québec bashing ».
Advenant une victoire du OUI à l’indépendance (sans doute obtenue à l’arraché), une longue et difficile période de transition s’ouvrirait à l’issue incertaine et mais au déroulement prévisible.
Le gouvernement d’Ottawa, quelle que soit son affiliation partisane négocierait à la dure avec l’équipe indépendantiste du Québec pour gagner du temps, inquiéter les Québécois et Québécoises ; il exigerait sans doute un nouveau référendum de confirmation du premier ou de nouvelles élections provinciales ; si le gouvernement du Québec accédait à ses exigences, on peut être sûr que celui d’Ottawa s’en mêlerait pour inciter l’électorat québécois à renvoyer dans l’opposition son gouvernement souverainiste.
S’il y parvenait, il s’empresserait de clore toute l’affaire en soutenant respecter ainsi la volonté populaire. Il utiliserait tous les moyens à sa disposition pour compléter le travail en essayant étouffer ensuite les aspirations indépendantistes d’une partie de l’opinion québécoise.
Si celle-ci persistait à défendre ses aspirations et réélisait une équipe souverainiste, Ottawa accentuerait probablement ses pressions économiques et commerciales sur le Québec, tout en faisant jouer au maximum son influence internationale pour isoler le gouvernement du Québec, en particulier auprès de la classe politique américaine.
Toutes ces pressions le contraindraient à de profonds et frustrants compromis, le tout marqué par de douloureuse compressions budgétaires d’une ampleur encore inédite, par nécessité d’assurer un équilibre budgétaire élémentaire et sa crédibilité auprès des institutions financières internationales. Il n’aurait pas le choix dans les circonstances.
Par ailleurs, si le gouvernement indépendantiste du Québec devait affronter son homologue fédéral, il serait aussi obligé de faire face à une forte opposition intérieure.
En effet, des fractions entières des milieux économiques et financiers québécois dont la profitabilité découle des échanges internationaux et provinciaux se dresseraient contre la tentative de réalisation du projet souverainiste. Elles passeraient alliance avec la classe politique d’Ottawa de même qu’elles pourraient compter sur l’opinion fédéraliste québécoise, dont au moins le Parti libéral à l’Assemblée nationale. Dans le cas de la CAQ, les choses sont plus embrouillées, le parti se diviserait sans doute entre indépendantistes et autonomistes. Mais rien de très fiable pour les souverainistes de son côté.
Un gouvernement en voie de réaliser l’indépendance affronterait donc une opposition féroce et résolue, à la fois intérieure et extérieure. Chacun a la morale de ses intérêts.
Évidemment si la majeure partie de la population se rangeait résolument derrière son gouvernement indépendantiste en dépit des pressions d’Ottawa, le Québec finirait par acquérir son indépendance. Mais cela n’adviendrait pas sans sacrifices pénibles. Ottawa ne lâcherait pas le morceau sans obtenir au préalable de très sérieuses garanties de la part de Québec au sujet du maintien de corridors ferroviaires et maritimes entre l’Ontario et les Maritimes. L’indépendance du Québec ne pourrait donc jamais n’être que relative.
C’est donc là une dimension fondamentale du projet souverainiste dont Québec solidaire et le Parti québécois ne parlent jamais. Cette attitude ne rend service ni à la cause ni aux travailleurs et travailleuses sur les épaules desquels pèserait nécessairement l’essentiel des sacrifices requis par la situation ni aux Québécois en général.
Cependant, si ces formations politiques veulent persuader une majorité de leurs compatriotes de voter pour le OUI, elles ont alors le devoir d’une franchise totale, c’est-à-dire de les préparer à affronter les épreuves qui les attendent en cas d’adhésion majoritaire à l’indépendance.
Or, le régime fédéral n’est pas perçu comme intolérable par l’ensemble de la population québécoise, ce qui complique la tâche des défenseurs et défenseures de « l’option ». De plus, les politiques péquistes d’austérité depuis le début de la décennie 1980 la font douter de la volonté de la direction de ce parti de ménager ses intérêts financiers même élémentaires durant la fameuse période de transition qui s’annonce si difficile.
Au fond, l’époque la plus favorable au projet souverainiste si situe peut-être de la mise sur pied du Parti québécois en octobre 1968 à son arrivée au pouvoir en novembre 1976.
Même si le contexte économique avait commencé à se dégrader à partir de 1974, le taux de chômage au détour des années 1970 demeurait bas, l’emploi était le plus souvent permanent et les finances publiques pas encore compromises par la gabegie rétrolibérale. La classe moyenne restait assez solide et les finances de l’État plutôt favorables.
D’autre part, même si le Parti québécois alors dirigé par le charismatique René Lévesque était avant tout une coalition de groupes aux horizons divers, il demeurait le seul parti souverainiste après le sabordage du RIN à son profit. Son aile gauche était alors encore assez influente pour obliger la direction à tenir compte de ses propositions mais Lévesque et ses lieutenants possédaient une réelle expérience de la gestion gouvernementale, ce qui leur assurait une certaine crédibilité auprès des financiers torontois et internationaux.
Mais après deux échecs successifs aux référendums de mai 1980 et d’octobre 1995 d’une part, et d’autre part la rupture entre la gauche sociale et la droite dominante dans le PQ, il existe à présent deux formations officiellement souverainistes sur la scène politique québécoise.
En fait, Québec solidaire est plus social-démocrate que souverainiste. Le Parti québécois lui, peine à se remettre de sa défaite d’octobre 2018. Le rapprochement entre les deux partis semble problématique du moins dans un avenir prévisible.
Pour résumer la conjoncture actuelle est moins favorable que jamais au courant indépendantiste. La majorité de la nouvelle génération ne l’est pas. Rien n’indique qu’elle va le devenir.
On en retire l’Impression (peut-être erronée) d’assister à une agonie politique plutôt qu’à une renaissance. On va être fixés bientôt.
Mais si la conjoncture confirme l’effilochement du projet souverainiste, la question nationale du Québec ne disparaîtra pas. Il faudra l’aborder autrement que sous le seul angle souverainiste.
Que choisir alors ? Une certaine dévolution des pouvoirs d’Ottawa vers Québec, une forme de statut particulier au sein de la fédération ou encore le statu quoi ?
Faites vos jeux ! La roulette n’a pas fini de tourner.
Jean-François Delisle
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