Photo er article tirés de NPA 29
Au Mexique, en Argentine et aux Caraïbes, les multiples protestations féministes ont teinté l’année 2020 de violet et de vert. Au Mexique, par exemple, même si les controverses sur l’avion présidentiel et la légalisation de la marijuana ont alimenté les débats, c’est le féminisme, ou plutôt l’anti-féminisme, du gouvernement mexicain qui a monopolisé l’attention.
En mars une grande manifestation a eu lieu contre les 10,5 féminicides enregistrés tous les jours au Mexique. D’autres protestations ont suivi, pour exiger que justice soit fait dans des cas spécifiques, comme ceux de Ingrid, Fátima et Jessica.
Malgré la répression policière durant les manifestations de Cancun, la lutte a porté ses fruits, avec notamment la Loi Olympique contre le harcèlement digital, la Loi Ingrid contre la diffusion d’images sensibles, le registre public des délinquants sexuels dans la capitale mexicaine, et l’amnistie pour l’avortement.
En Argentine, les dénonciations de violences sexistes et de pornographie pédophile se sont multipliées durant la quarantaine. Le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse, que le Gouvernement avait promis de présenter en mars 2020, est resté en suspens pendant plusieurs mois.
Devant ces retards, les réseaux sociaux ont été un élément clé pour renforcer les réseaux d’aide aux femmes pendant le confinement. C’est ainsi que des protestations se sont organisées contre l’augmentation alarmante des féminicides durant la pandémie.
Les tweets de l’organisation citoyenne Ni Una Menos ont permis de mobiliser de nombreuses activistes, et des milliers d’entre elles ont participé à l’évènement du “foulard virtuel” pour exiger du Gouvernement argentin l’examen urgent de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. La loi qui autorise l’avortement a finalement été présentée au Congrès en novembre, pour être examinée en décembre. [Le projet a finalement été adopté fin décembre, ndlt.]
Pour leur part, les féministes vénézuéliennes ont utilisé WhatsApp pour continuer de soutenir les femmes et discuter virtuellement du féminisme ; au Nicaragua, les organisations féministes dénonçaient l’absence de justice pour les victimes et leurs familles.
En janvier, avant que le coronavirus n’arrive à Trinité-et-Tobago, on célébrait une cérémonie de commémoration pour les victimes de féminicides, durant laquelle les citoyens et citoyennes ont exigé de l’État la mise en place de mesures efficaces pour protéger les femmes et les enfants.
En mars, à la suite d’un nouveau féminicide, le débat en ligne s’est intéressé aux liens entre violences de genre et abus sexuels sur mineur·es, surtout dans un contexte où les restrictions dues au COVID-19 s’accompagnaient d’une augmentation des violences domestiques.
En décembre, lorsque les gros titres nous informaient des féminicides d’une jeune mère et d’une adolescente, les réseaux sociaux ont manifesté une exaspération face aux discours disant aux femmes de “faire attention”, et de “rester vigilantes”. Ces réactions font valoir que la responsabilité devrait se porter sur l’agresseur, plutôt que de se focaliser sur les femmes.
Des mouvements politiques en Uruguay, en Bolivie, au Pérou et au Chili
On pourrait débattre du fait que le changement majeur en Uruguay s’est fait sur le plan politique, avec la défaite du Front Large (parti politique de gauche) et le retour au pouvoir de la droite, sous l’égide du Parti national, qui après trente ans, est aujourd’hui à la tête de la “coalition multi-couleur”.
Le Front Large ainsi que d’autres partis politiques critiquent le gouvernement à cause de la loi “d’urgente considération”, qui est perçue comme un retour en arrière en matière de liberté d’expression. Cependant, le succès rencontré par le gouvernement pour contrôler la première vague de COVID-19, qui n’a fait qu’une dizaine de morts, a permis de positionner le pays en leader de la gestion de la crise.
En Bolivie, après une année de divisions, exacerbées par le racisme, les attaques visant les journalistes, les violences et les assassinats, la population s’est finalement rendue pacifiquement aux urnes en octobre. 55% des votants ont élu Luis Arce et David Choquehuana, du parti du Mouvement vers le socialisme (MAS). Mais les tensions continuent, dans une moindre mesure, se concentrant désormais sur les élections sub-nationales, prévues pour le 7 mars 2021.
L’élection de Luis Arce a été célébrée dans de nombreuses villes du monde. La conciliation d’un pays profondément divisé et aux prises avec son histoire repose à présent entre ses mains.
La presse internationale sous-estime l’importance des protestions de la génération du bicente-naire au Pérou, qui ont eu lieu pour le 200e anniversaire de l’indépendance péruvienne. Ces manifestions sont survenues dans un contexte conflictuel, le pays étant affecté par le poste laissé vacant par le président Martín Vizcarra, la démission du gouvernement illégitime de Manuel Merino et la nomination de Francisco Sagasti comme président intérimaire.
Merino et Sagasti ont tous deux utilisé des forces policières excessives pour réprimer les jeunes manifestants, faisant au moins deux morts parmi eux. À ce contexte chaotique se sont ajoutées la crise sanitaire du COVID-19 et la mise en œuvre de politiques extractivistes en faveur des grandes entreprises sur les territoires indigènes.
D’un autre côté, la pandémie n’a pas empêché le Chili de mener à bien son référendum historique le 25 octobre, où une écrasante majorité a approuvé le changement de la Constitution promulguée par l’ancien dictateur Augusto Pinochet en 1980 et considérée comme “la mère des inégalités du Chili“. Ce référendum était la revendication principale du soulèvement social d’octobre 2019, auquel le gouvernement avait réagi par la répression, en procédant à des arrestations et en commettant de nombreuses atteintes aux droits humains.
Du nord au sud : violence, autoritarisme, désinformation et manifestations
En Colombie, en plus des préoccupations suscitées par les plus de 40 000 décès dus au COVID-19, on note une baisse de satisfaction de la population envers le Gouvernement.
Les Colombiens sont mécontents face à l’absence de solutions efficaces pour lutter contre les violences qui accablent le pays. Le président Duque continue néanmoins à nier la gravité des taux d’homicides en Colombie, qui comprennent quatre-vingt massacres.
Le plus inquiétant était l’augmentation des assassinats des leaders sociaux et des défenseurs des droits humains. Il a aussi été révélé que la police était impliquée dans l’assassinat de l’avocat Javier Ordóñez. Cette nouvelle a engendré des manifestations qui ont été réprimées par la police, entraînant la mort d’au moins dix personnes et faisant de nombreux blessés.
Les menaces de mort [fr], les assassinats, les agressions, les abus et la censure portés à l’encontre des journalistes et activistes ont été constants, mais ils ont aussi permis l’essor de médias numériques alternatifs, non censurés.
Au Venezuela, après une année de relative normalisation économique, malgré l’hyperinflation et l’intensification de la crise humanitaire, la pandémie s’est traduite par une recrudescence des mesures autoritaires du Gouvernement.
En effet, la militarisation, le contrôle des institutions étatiques et la persécution politique des journalistes, des activistes humanitaires et des dissidents ont défini les politiques publiques depuis le début de la pandémie. Sans parler du gouvernement de Nicolás Maduro qui a supplanté la représentation de l’opposition politique grâce à des élections parlementaires discutables.
La crise migratoire vénézuélienne, qui était déjà la plus grave de la région avec 5,4 millions de Vénézuéliens vivant en dehors du pays, s’est aggravée pendant la pandémie. La crise sanitaire affecte directement les membres de cette communauté vulnérable, souvent incapable de répondre à ses besoins primaires dans les pays d’accueil.
En Jamaïque, le chaos et la peur ont accablé les citoyens. Alors que la pandémie de COVID-19 était la principale cause des préoccupations, une enquête informelle sur Twitter a révélé qu’elle était suivie de près par la peur d’une possible augmentation de la criminalité. La police jamaïcaine a cependant communiqué une légère diminution des délits avec violence par rapport à 2019.
D’un autre côté, les couvre-feux pendant la pandémie n’ont pas empêché des centaines de fêtes illégales et d’activités sociales d’avoir lieu, dont certaines (organisées par des personnes ayant un casier judiciaire) ont causé des actes de violence.
Au Nicaragua, la population a souffert d’un mélange d’émotions négatives provoquées par la crise sanitaire, par l’impact des ouragans IOTA et ETA, et par les perspectives offertes par les élections de 2021, dans un pays en proie à de constantes violations des droits humains, et où règnent la répression policière ainsi que l’absence totale de liberté de la presse et d’expression.
Depuis la vague de protestation de 2018, environ 100 000 personnes ont fui le pays. Cependant, nombre de ces Nicaraguayens en exil continuent d’être impliqués dans l’activisme politique. Pendant ce temps, le gouvernement de Daniel Ortega promeut une série de lois destinées à renforcer ses moyens de contrôle sur la population et éviter toute tentative d’opposition.
Ainsi, le Nicaragua termine l’année avec une escalade de violence, une perte de confiance envers le gouvernement, notamment en ce qui concerne la véracité des chiffres publiés sur le COVID-19 [fr], un État qui utilise la manière forte contre les protestations, et surtout dans l’incertitude quant à l’année à venir.
Plus au nord, au Salvador, 2020 a été une année pleine de conflits politiques. Le président Bukele s’est constamment opposé aux autres organes de l’État (l’Assemblé législative et la Chambre constitutionelle), et il présente les députés et les magistrats comme “corrompus, criminels et voleurs”.
Pour beaucoup, son style agressif de gouvernance révèle un programme politique de contrôle du pays. Alors que des accusations de corruption, de négociation avec des gangs et d’attaques contre des membres de la presse pèsent contre lui, il conserve malgré tout un taux d’approbation supérieur à 75%.
Quand Bukele s’est exprimé sur Twitter à propos de l’impact de la pandémie en Équateur, le gouvernement équatorien a immédiatement démenti ses propos. Mais rapidement, le contenu qui circulait sur les réseaux sociaux fait les gros titres partout dans le monde : les corps que personne ne collectait, les familles qui recherchaient le corps d’un proche, et les incinérations présumées de cadavres dans les rues.
La désinformation n’a pas suffi à expliquer ce qu’il se passait dans la ville de Guayaquil. Face à une réalité accablante, un groupe d’intervention (la “Fuerza de Tarea Conjunta“) s’est créé pour enterrer les cadavres. La mairie de Guayaquil a même dû fournir des cercueils en carton aux familles endeuillées. Devant cette situation, les peuples indigènes de la région se sont organisés pour se protéger du coronavirus.
Pour résumer, la pandémie a surpris une région qui était déjà confrontée à de nombreux problèmes, et a mis à l’épreuve la ténacité des mouvements sociaux, qui n’ont jamais cessé de lutter pour leurs droits.
Finalement, quelques bonnes nouvelles sur les questions de genre se sont distinguées dans la région : l’Équateur a eu sa première marche trans, le Gouvernement argentin a approuvé le quota de personnes trans et travesti dans le secteur public, la Bolivie a reconnu le mariage entre personnes de même sexe, tout comme l’État de Puebla au Mexique.
12 Janvier 2021
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