Malheureusement, le Ministère ne présente qu’une description du mode de fonctionnement du programme et une série de statistiques sur le profil des personnes qui y ont participé, faute de disposer, dit-il, de toutes les données nécessaires. Il faudra donc attendre le prochain bilan prévu par la loi, en 2025, pour juger de l’efficacité et de l’utilité du programme.
Malgré tout, il est possible de formuler quelques critiques sur le programme à partir de ce bilan pour le moins sommaire.
Obligation
Le programme Objectif emploi oblige toutes les personnes jugées « aptes au travail » dont c’est la première demande d’assistance sociale à participer à des mesures d’employabilité « en contrepartie de leur droit à une prestation » (p. 10). Toute personne qui contrevient à l’obligation est sujette à des sanctions financières. L’exigence de « mettre en mouvement » les personnes assistées sociales et de leur demander de faire un « effort », pour reprendre des termes employés par le gouvernement, laisse présumer que les personnes assistées sociales ne cherchent pas déjà par elles-mêmes à améliorer leur sort, se satisfaisant de (sur)vivre avec la moitié de ce qu’il faut pour couvrir les besoins de base selon la Mesure du panier de consommation (MPC).
À quelques reprises, le bilan ne tient pas compte du caractère obligatoire du programme. Par exemple, on se félicite d’une amélioration du haut taux de participation en ce qui concerne la rencontre avec un·e agent·e d’aide à l’emploi lors du dépôt de la demande d’assistance sociale ou dans les jours qui suivent. En 2017-2018 (donc avant Objectif emploi), ce taux était de 83,1 % ; en 2018-2019, il était de 98,9 %. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en refusant de rencontrer un∙e agent·e d’aide à l’emploi, une personne peut voir sa prestation être retenue ou même la perdre. Souligner que « la situation s’est nettement améliorée » (p. 17), mais passer sous silence que cette « amélioration » est due à la crainte de subir des sanctions financières, est une affirmation fallacieuse.
Sanctions financières « modérées » ?
Le bilan qualifie de « modérées » les sanctions financières prévues à Objectif emploi et va jusqu’à dire que les sanctions financières ne servent pas à punir les personnes qui contreviennent à l’obligation de participer, mais visent à les aider à « réussir » à se « mettre en mouvement » et ultimement à réintégrer le marché du travail…
Les sanctions financières sont appliquées de deux manières.
1) Si une personne refuse de rencontrer un∙e agent·e d’aide à l’emploi au moment de déposer sa demande d’assistance sociale ou dans les jours qui suivent, elle s’expose à une retenue de sa prestation du mois courant et même à son annulation. Ne pas accorder sa prestation d’assistance sociale à celui ou celle qui en a besoin peut-il vraiment être qualifié de « modéré » ?
2) Si une personne contrevient à l’une des conditions de son plan d’intégration à l’emploi, elle s’expose à des pénalités mensuelles de 56 $ (premier manquement), de 112 $ (deuxième manquement) ou de 224 $ (troisième manquement). Une personne peut ainsi voir sa prestation perdre 8 %, 16 % ou 32 % de sa valeur. Encore une fois, considérant qu’une prestation d’aide sociale ne permet de couvrir que la moitié des besoins de base selon la MPC, ces pénalités ne sauraient être qualifiées de « modérées ».
Primes insuffisantes
Pour « inciter » les personnes à prendre part à Objectif emploi, le gouvernement accorde également des primes de participation. Selon le volet auquel elles sont inscrites, les personnes reçoivent une prime de 38 ou de 60 $ par semaine. Ces primes ont fait augmenter la prestation moyenne des ménages « primo-demandeurs », passant de 664 $ en 2017-2018 à 794 $ en 2018-2019. Malgré cette hausse, le revenu de ces ménages demeure insuffisant pour couvrir les besoins de base, même si on y ajoute les crédits d’impôt pour solidarité et de TPS. Objectif emploi s’inscrit ainsi dans la logique propre à l’assistance sociale québécoise depuis 50 ans : maintenir les prestations à un niveau très bas pour inciter les personnes à retourner sur le marché du travail. Le Collectif est d’avis qu’avec un meilleur soutien financier — plus substantiel que celui obtenu grâce aux primes de participation — et un accès à des services publics de qualité, les personnes réussiraient à quitter l’aide sociale en beaucoup plus grand nombre.
Des catégories arbitraires et inégalitaires
Les personnes dont c’est la première demande d’assistance sociale sont automatiquement dirigées vers le programme Objectif emploi, sauf si elles réussissent à démontrer qu’elles ont des contraintes temporaires ou des contraintes sévères à l’emploi.
Une des données du bilan montre toutefois qu’un important pourcentage des personnes inscrites au programme Objectif emploi ne sont pas « aptes au travail ». En effet, environ 40 % des personnes participent au volet Développement des habiletés sociales, lequel s’adresse à ceux et celles qui ne sont pas « en mesure, à court terme, d’entreprendre un cheminement vers l’emploi ». Ces personnes « peuvent être aux prises avec des difficultés liées à un événement de vie (deuil, séparation, etc.) ou sociales (toxicomanie, itinérance, problème de santé non diagnostiqué, etc.) en amont de celles liées à l’intégration au marché du travail » (p. 19). Une personne inscrite à ce volet « n’a pas à participer à une activité formelle, mais a tout de même des activités à faire pour répondre à ses besoins » (p. 46), comme rencontrer un∙e psychologue, faire du bénévolat ou participer à des activités d’alphabétisation. Ce volet doit respecter le « rythme de la personne » et tenir compte « de sa situation et de ses besoins » (p. 49). C’est ce qui explique qu’aucune sanction financière n’est appliquée aux personnes qui y sont inscrites.
Le volet Développement des habiletés sociales montre, par son existence même, que le gouvernement est conscient que plusieurs personnes jugées « aptes au travail » ne sont pas en mesure, en vérité, de travailler.
Les catégories sur lesquelles repose le système d’assistance sociale ne tiennent pas compte de la réalité multiple et complexe des personnes assistées sociales. En plus d’être arbitraires, elles instituent un écart inégalitaire de revenu entre les personnes considérées « aptes au travail » et celles considérées « inaptes au travail ». Le Collectif juge que le gouvernement doit fournir des protections publiques assurant à toutes les personnes un revenu au moins égal à la MPC, de manière à garantir à tous et toutes la possibilité de vivre en santé et dans la dignité.
* Ce texte est une version raccourcie d’une analyse consultable au tinyurl.com/AnalyseOE
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