La révolution imprévisible
Les vestiges de l’ancien système essaient de se regrouper. Ils ont l’appui de la hiérarchie militaire, des seigneurs, de l’église orthodoxe. La bourgeoisie veut aussi rétablir l’ordre, quitte à concéder certaines réformes. Tout ce monde veut rétablir l’« ordre ». Du côté du peuple et des organisations de gauche, il y a une immense aspiration à la liberté. La question est cependant posée : que faire ? Certains veulent y aller à petite dose, établir la démocratie « bourgeoisie » d’abord, élargir les droits démocratiques, devenir un pays capitaliste « comme les autres ». Des éléments plus radicaux veulent aller plus loin, en partie parce qu’ils observent que la vieille Russie ne peut être réformée sans un bouleversement total. Quelques illuminés comme Lénine et Trotski imaginent un pouvoir tout à fait nouveau basé sur les « soviets » (les conseils), une sorte de démocratie radicale qui brise avec les anciens schémas. Finalement le 26 octobre 1917 de l’ancien calendrier russe1, les révolutionnaires prennent de vitesse les forces de la réaction. Et c’est ainsi que cette révolution imprévue et imprévisible ébranle le monde, selon John Reed, un journaliste-militant américain qui écrit un témoignage époustouflant.
La victoire, puis la défaite
Très rapidement, le nouveau pouvoir est devant un pays dévasté. Les armées impérialistes de 9 pays passent à l’attaque. Les villes deviennent des mouroirs faute d’approvisionnement. Le rêve de la grande commune, esquissée par Lénine (L’État et la révolution) s’envole en fumée. Trotski reconstruit à la hâte une nouvelle armée rouge, qui finit par vaincre les seigneurs et les impérialistes, mais au prix d’une militarisation de la société. Au tournant des années 1920 après avoir vaincu la contre-révolution, le pouvoir soviétique essaie de recoller les morceaux sous l’égide de la Nouvelle politique économique (la NEP). Cependant, une bureaucratie de « cadres et compétents » arrache les lambeaux de démocratie qui subsistent. Après la disparition d’une grande partie de la génération révolutionnaire dont Lénine lui-même, une grande contre-révolution se déchaîne. Le Parti communiste sous Staline devient un État, un monde fermé et autoritaire. Les dissidents comme Trotski sont éliminés. C’est le système des goulags qui s’étend partout. L’espoir s’éteint pendant que la nouvelle URSS devient une puissance, jusqu’à son effondrement, aussi rapide que son irruption, en 1989.
100 ans plus tard
Aujourd’hui, les évènements de 1917 semblent appartenir à un passé terriblement lointain. Aborder le sujet avec les étudiant-es est à peu près aussi facile que d’éveiller leur attention aux péripéties des luttes de classes en Égypte pharaonique !
Dans les mouvements populaires et les partis de gauche, la réflexion sur cette immense histoire est minime, un peu gênée, hésitante, tant est terrifiante l’idée d’être associée à ce qui est devenu une sorte de contre-modèle. Cela reste cependant un problème.
Les révolutionnaires de 1917 n’étaient ni des fous ni des aspirants-dictateurs. Ils ont été emportés dans le tourbillon, avec leurs énergies et leurs utopies, y compris celle de l’émancipation. Un immense projet collectif a surgi, comme le raconte de manière extraordinaire Victor Serge, pour « monter à l’assaut du ciel ». (Voir son autobiographie et ses romans republiés depuis quelques années par Lux Éditeur).
Pour distinguer les choses et ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, il faut examiner ce qui a été semé par cette révolution populaire. Aujourd’hui, d’innombrables débats, tant ceux sur la démocratie participative que tout ce qui concerne la transition du capitalisme vers des formes de socialité coopérative, peuvent puiser dans le riche réservoir des expérimentations soviétiques. À force de piocher et de creuser, les nouvelles générations finiront par reconstituer le fil.
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