Ce qui ressort toutefois assez clairement de ce lot disparate d’idées, ainsi que des propos d’Yves Bolduc, c’est un certain mépris de la culture allant de paire avec une vision marchande de l’éducation. Son accueil favorable du Rapport final du chantier sur l’offre de formation collégiale rendu public le 20 octobre dernier, et son intention de mettre en œuvre rapidement un certain nombre de ses recommandations, en attestent. Aux voix du ministre et de Guy Demers (auteur du rapport), s’ajoute celle de d’autres acteurs du milieu collégial (directions de cégeps ou président de la Fédération des cégeps) pour défendre la nécessité d’un arrimage encore plus grand entre la formation collégiale et le marché du travail.
À cet égard, les conclusions du rapport Demers ne sont pas sans rappeler les orientations contenues dans le document de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC) guidant la mise en place de systèmes d’assurance qualité dans les cégeps, dont j’avais fait une courte analyse en deux parties l’automne dernier sur ce blogue. Le rapport Demers ne laisse donc présager rien de bon quant aux transformations à venir au sein de l’enseignement collégial. Ne pouvant faire ici une analyse exhaustive de ce rapport de 167 pages, j’aimerais néanmoins attirer l’attention sur quelques éléments.
Rappelons d’abord que ce rapport est l’aboutissement du chantier sur l’offre de formation collégiale mis sur pied à l’issue du Sommet sur l’enseignement supérieur en février 2013. Son mandat était de : « produire un rapport faisant des recommandations sur le déploiement de l’offre de formation collégiale au Québec, la définition des créneaux régionaux de formation et l’optimisation de l’offre de formation continue en vue de favoriser : l’accès à la formation collégiale partout au Québec ; une complémentarité de l’offre de formation dans les régions ; la viabilité des programmes en région. » (p.15). On comprend déjà par le vocabulaire utilisé qu’on se situe davantage dans une approche de style plan d’affaire que dans une perspective philosophique sur les fondements de l’éducation.
Il faut savoir que le rapport se penche uniquement sur les programmes techniques, la formation continue et le mode de financement des cégeps. Nulle part il n’est question des programmes pré-universitaires. Quant à la formation générale, elle a droit à une critique en toute fin de rapport, mais sans faire l’objet d’une véritable analyse. Traiter de l’offre de la formation collégiale en laissant de côté toute la dimension intellectuelle, culturelle et humaniste de celle-ci, ça en dit long…
« Adapter la formation aux besoins du marché », voilà la ligne directrice de ce rapport. En ce sens, il appelle à un assouplissement et à une décentralisation du processus de révision des programmes. On veut que chaque collège puisse modifier ses programmes en fonction des besoins locaux ou régionaux : « la mise en place de nouvelles marges de manœuvre locales nous apparaît incontournable si l’on souhaite soutenir l’ajustement des programmes suivant le rythme d’évolution des besoins du marché du travail. » (p.49)
Le rapport recommande également la création de nouveaux diplômes collégiaux. Outre le diplôme d’études collégial (DEC) et l’attestation d’études collégiale (AEC)[1], le rapport soulève la possibilité d’un fractionnement du DEC en modules. Lesquels mèneraient à l’obtention d’un DEC par cumul d’AEC. On souhaite aussi créer un certificat d’études collégial technique (CECT) destiné à des étudiant.e.s ayant complété leurs cours techniques, mais qui n’auraient pas réussi tous leurs cours de formation générale (actuellement : français, philo, anglais et éducation physique) ou qui ont échoué l’épreuve uniforme de français[2]. La souplesse réclamée en matière de diplomation et de structure des programmes vise, nous dit-on, à rendre la formation plus accessible à des étudiant.e.s qui, pour diverses raisons, sont réticents à entreprendre de longues études ou ne parviennent pas à compléter leur programme.
Cette volonté d’accessibilité, aussi louable soit-elle, cherche surtout à attirer une plus grande « clientèle » dans les cégeps et à certifier davantage de main d’œuvre technique qualifiée pouvant contribuer productivement à la société (p. 124). Comprendre ici : participer économiquement à la société.
On propose aussi d’investir dans le développement d’un « Programme d’internationalisation de l’éducation québécoise » afin de recruter un plus grand nombre d’étudiants étrangers (p. 125). Cela implique des fonds pour la création de stratégies de promotion, la mise en place de structures d’accueil de ces étudiant.e.s, etc. Or, comme l’explique Éric Martin dans son billet du 21 octobre, l’internationalisation de l’éducation s’inscrit dans une perspective de marchandisation de l’éducation.
Le traitement réservé à la formation générale suit la tendance. La jugeant déphasée par rapport à la société québécoise actuelle, le rapport Demers plaide grosso modo pour un modèle « à la carte » où l’étudiant.e choisirait plus librement ses cours de formation générale et où ceux-ci seraient plus adaptés à son programme d’études. Bref, autant dire qu’on souhaite éliminer le concept même de formation générale commune, tant pour ce qui est du général que du commun…
Ainsi, la volonté d’arrimage de la formation collégiale aux besoins du marché contenue dans le rapport Demers est sans équivoque. Sa lecture a de quoi nous désespérer. On est si loin de la réalité vécue dans une classe, de la relation entre un.e enseignant.e et ses étudiant.e.s ou d’un idéal de transmission des savoirs. Devant la perspective d’une telle réforme de la formation collégiale, on en vient donc à se demander s’il restera quelque chose d’un tant soit peu humain entre les murs des cégeps.
Notes
[1] Les attestations d’études collégiales (AEC) sont des programmes courts offerts à la formation continue, directement orientés vers le marché du travail et qui ne comportent pas de cours de formation générale.
[2] C’est seulement 15% des étudiant-es qui échouent l’épreuve uniforme de français nous dit le rapport.