Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Lettre ouverte au vice-président du Bureau des Audiences Publiques en Environnement

Vox populi - vox Dei

Louis-Gilles Francoeur est vice-président du BAPE.

Monsieur,

En cet avant-midi du 7 avril, je viens tout juste de voter. Une élection est sensée être l’exercice le plus significatif dans une démocratie ; la voix du peuple doit s’y exprimer. Malgré le fait que je vienne de faire mon devoir de citoyen, j’ai le cœur lourd. La stratégie partisane mesquine a été le seul objectif des partis ayant une chance de former le gouvernement ; le tout semblait se résumer à rouler l’adversaire dans la boue de la Commission Charbonneau. Où étaient les enjeux de société ? Pauvre « démos »« kratia » ! Ce faisant, ces politiciens oubliaient que la racine grecque du mot est supposé vouloir dire « pouvoir du peuple » !

Le pouvoir du peuple va bien au-delà du droit de vote à tous les quatre ans. Ça inclut la participation du citoyen éclairé comme partie prenante à une prise de décision collective ; les audiences du BAPE en sont un bon exemple. Depuis 1994, j’ai participé à plusieurs audiences [1] de cette institution. Dans le mémoire du CCCPEM(Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain) sur les gaz de schiste[2] auquel j’ai contribué, il est écrit « Votre institution est et doit continuer à être un exemple de la démocratie citoyenne ». Pour avoir lu vos chroniques dans le Devoir, je sais que vous partagez cette opinion. Dans celle du 6 octobre 2012, vous déplorez que les Évaluations environnementales stratégiques soient « biaisées »[3].

Dans le dossier de l’exploitation des hydrocarbures, nous avons la même vision. En 2010, le mandat court et tronqué de votre organisme fait dire à un de ses anciens présidents, M. André Beauchamp que les audiences sont « un test pour l’indépendance du BAPE ». Toujours dans le mémoire du CCCPEM, nous exhortons les commissaires à faire correctement leur travail selon leur code de déontologie malgré un mandat inadéquat… ou à démissionner. Nous terminons en disant qu’en allant au delà du mandat accordé par le gouvernement, « le BAPE ne fera jamais de compromis avec la qualité de son travail et que ceux qui ont fait le pari d« ...avilir... » le BAPE « ...par intérêt... » en assumeront les conséquences »[4].

Monsieur le vice-président, l’observateur aguerri de la scène environnementale que je suis a l’impression qu’un « pattern » malsain peut s’observer dans le dossier des gaz de schiste. C’est que les gouvernants, par cette série de trois études portant sur le même sujet, font semblant d’écouter le peuple avec des audiences, mais en « pipant » les dés pour que les citoyens soient subtilement guidés par le processus vers la décision espérée par l’industrie.

Un retour en arrière est nécessaire pour comprendre cette affirmation. De 2005 à 2010, les compagnies gazières ont acheté, en catimini, les « claims » sous nos pieds à des prix dérisoires. En septembre 2010, au moment où le ministre de l’environnement, devant un tollé général, donnait un mandat écourté au BAPE, l’APGQ (Ass. Pétrolière et Gazière du Qc.) a présenté 3 séances d’informations sur le sujet ; ce faisant, elle se substituait aux prérogatives du gouvernement légitime. Nous avons eu le sentiment d’être spolié par des conquistadors du 16e siècle ; cela s’est terminé le 28 septembre par un désastre de relations publiques à L’Auberge des Seigneurs de St-Hyacinthe.

Tout au long des audiences du BAPE en 2010, les membres de l’industrie étaient très en vue sur le plancher. Régulièrement des personnes comme M. Frazer de Talisman ou Mme Hope Deveau-Henderson, porte-parole de l’industrie étaient régulièrement consultés par la commission en tant qu’experts. À l’ÉES, Mme. Molgat, était commissaire, même si elle était à la solde de Talisman. Pour la troisième étude, portant exactement sur le même sujet, on ne voit aucun représentant de l’industrie. Ils sont très discrets ; est-ce à dire que le lobby de l’industrie a renoncé à exploiter le gaz sous nos pieds ? Si tel était le cas, pourquoi une autre étude ? Est-ce que le principe de « l’acceptabilité sociale » signifie que l’industrie veut avoir les citoyens à l’usure malgré le fait que plus de 65 000 citoyens ont signé une lettre « Vous n’entrerez pas chez nous » ?

Toujours sur le thème de « l’acceptabilité sociale », sur 200 mémoires présentés au BAPE #273 de 2010, 160 des mémoires s’objectaient à l’exploitation et réclamaient un moratoire. Les signataires de mémoires de la minorité qui y étaient favorables, avaient souvent un intérêt financier dans l’exploitation des gaz de schiste.

De plus, toutes les études présentées devant la Commission semblent prendre pour acquis que l’exploitation est inévitable. Pourquoi est-ce que la non-exploitation n’est pas un des enjeux majeurs de cette succession d’études sur le même sujet ? Malgré le fait que des milliers de puits ont été forés en Amérique du Nord, les études sont très théoriques comme s’il n’existait (n’y avait) aucune donnée concrète. En paraphrasant ce qui s’est dit la semaine dernière, une experte a souligné qu’une exposition à un contaminant peut être néfaste en faible concentration pour une population dense alors qu’elle pourrait être faiblement néfaste à grande concentration pour une population clairsemée. M. Francoeur, une personne n’est pas une statistique mathématique abstraite ; le citoyen qui vit à l’ombre de la foreuse est une personne en chair et en os. Lorsque cette personne est atteinte d’un cancer, elle doit vivre avec l’angoisse du diagnostic, la douleur de la tumeur et éventuellement faire face à la mort.

Jeudi soir, nous avons eu droit à la perle de ce jeu d’études déconnectées de la réalité. Comme mesure d’atténuation pour minimiser les inconvénients des quelques 2000 allers-retours de camions lourds qui circuleraient dans un village, M. Allard a recommandé d’installer des fenêtres insonorisées et un climatiseur. Et il serait possible que les camions aient un tuyau d’échappement directionnel ! Est-ce que cet expert veut nous faire croire que tous les sous-contractants auront un « muffler » orientable ? À cela, je pourrais ajouter qu’une autre mesure de mitigation est déjà en place ; la limite de vitesse légale est de 50km/h dans un village. Est-ce que quelqu’un parierait sa vie sur le fait que jamais, un seul camionneur dépassera la vitesse permise ?

M. Francoeur, je sais que la présidence du BAPE a le devoir d’exécuter le mandat requis par le ministre de l’environnement. Nous savons que le lobby pétrolier exerce, en sourdine, son influence sur la politique des divers gouvernements. À défaut d’une consultation valable, ceci pourrait conduire à une politique de la rue vécue durant le printemps érable. Comme je l’ai écrit dans le mémoire du CCCPEM en 2010, le BAPE doit refuser que la politicaillerie mesquine que nous voyons présentement, « avilisse par intérêt » la démocratie en général et votre institution en particulier. Je compte sur vous pour que la voix du peuple soit respectée par un fonctionnement qui ne soit pas « biaisé ».

Veillez accepter, M. Francoeur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Gérard Montpetit


Notes

1] Mes interventions et les mémoires du CCCPEM peuvent se retrouver dans vos archives des audiences #92(DMS St-Pie), #99(DMS Ste Rosalie), #115(générique sur les déchets), #142(générique sur l’eau), #179(industrie porcine) et #273(gaz de schiste) ; de plus j’ai participé aux consultations sur la line Hertel-Des Cantons et à l’ÉES.
2] « www.bape.gouv..qc.ca» Bape # 273, DM109, p.5 et suivantes

3]http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/360918/evaluations-environnementales-strategiques-des-evaluations-biaisees
4) « Avilir par intérêt » C’est la deuxième définition du verbe « prostituer » dans le dictionnaire du français plus, ed 1988, page 1347

Gérard Montpetit

Membre du comité Non au schiste La Présentation

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