Au moment d’écrire ces lignes, les intentions de vote en faveur du Parti conservateur oscillent entre 35 % et 39 %. Tout au plus, 2 électeurs sur cinq souhaiteraient l’élection d’un gouvernement conservateur, mais le spectre d’un gouvernement majoritaire conservateur plane sur le Canada. C’est dire à quel point le mode de scrutin actuel travestit, en bout de ligne, les volontés de l’électorat.
La majorité des Canadiens met donc tous ses espoirs dans l’élection d’un gouvernement minoritaire, conservateur selon toute vraisemblance. Une telle éventualité pourrait ouvrir la voie à la formation d’un gouvernement de coalition formé d’élus libéraux et néo-démocrate, soutenu conditionnellement par le Bloc québécois. Un tel scénario, qui enchante une majorité de Québécois, hante les conservateurs qui le présentent comme une conspiration de l’opposition qui serait contraire aux principes démocratiques. Eux qui, minoritaires, n’ont pas hésité à gouverner comme s’ils étaient majoritaires même s’ils n’avaient recueilli que 37,7 % des voix exprimées lors des dernières élections.
Au strict plan de la représentativité, posons-nous la question : quelle option témoigne le plus fidèlement de la volonté de l’électorat ? Un gouvernement choisi par 40 % des électeurs, mais qui, en vertu du mode électoral actuel, a fait élire plus de députés que chacun des partis adverses ? Ou un gouvernement formé d’une coalition représentant plus de 50 % des votes exprimés et dont la députation est majoritaire à la Chambre des communes ? Poser la question c’est y répondre.
Le mode de scrutin en vigueur actuellement au Canada faisant en sorte qu’une minorité d’électeurs peut imposer ses choix à la majorité, on ne s’étonnera pas du fait qu’un nombre important d’électeurs, allergiques à l’idée d’un gouvernement conservateur majoritaire, opte pour un vote « stratégique » en votant pour celui ou celle qui est le plus susceptible de défaire le candidat du Parti conservateur.
Cela dit, la mise en place d’un gouvernement de coalition formé du Parti libéral et du NPD avec l’appui du Bloc québécois changerait radicalement la donne à Ottawa. Pensons-y un peu. Qu’arriverait-il de l’aventure guerrière en Afghanistan, les Néodémocrates comme les Bloquistes souhaitant le rapatriement des troupes canadiennes ? Et ce controversé contrat d’achat d’avions de combat F-35 dont on ne sait s’il coûtera 16 ou 30 milliards de dollars pour des avions dont on doute de l’utilité réelle. Au plan environnemental, on peut penser que les portes du pouvoir seraient un peu moins ouvertes aux lobbies des grandes pétrolières et de l’industrie des sables bitumineux. On serait en droit de s’attendre à quelques progrès en matière de justice fiscale, les trois partis d’opposition étant désireux de recycler en dépenses sociales les trois milliards d’économies d’impôt promis à l’industrie pétrolière par le gouvernement Harper. Et que dire des gains possibles au chapitre de la transparence et de la tolérance démontrée par l’actuel gouvernement. Quant aux intérêts légitimes du Québec, la nécessité d’un appui du Bloc québécois pour la survie d’un tel gouvernement constituerait une assurance quant à leur prise en compte par le gouvernement fédéral. Il y a là toutes sortes de perspectives prometteuses pour le Québec et le Canada.
Quant à ceux qui craindraient l’impact d’un gouvernement de coalition sur la performance économique du Canada, rappelons que ce sont les partis d’opposition qui ont, les premiers réclamé le plan de relance économique qui a permis au Canada de mieux traverser la crise économique. Un plan dont le gouvernement vante aujourd’hui les mérites, mais qu’il considérait superflu lors de la dernière campagne électorale.
Tout cela pour la somme de 300 millions de dollars que coûtera la présente élection. Ce n’est pas cher payé pour un Canada plus à l’image des Canadiens. Ce serait même une aubaine.