Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2011

Tirons parti des acquis historiques du NPD

Les électeurs au Canada ont fait l’histoire le 2 mai quand ils ont propulsé le Nouveau Parti démocratique basé sur les syndicats vers le statut d’opposition officielle.

Le Parti Libéral, l’ancien parti majeur de la domination bourgeoise, a été relégué à une lointaine troisième place. Son chef, Michael Ignatieff, a perdu son propre siège à Toronto et a démissionné comme chef du parti. Malgré une simple augmention de 1,8 pour cent de leur part du vote, les Conservateurs de l’autocrate de droite Stephen Harper ont obtenu une majorité de sièges.

L’élection a produit un réalignement fondamental des forces qui a anéanti toute intention d’une coalition parlementaire. Les électeurs ont mis de côté les plans de collaboration de classe pour un « vote stratégique ». La nouvelle polarisation gauche-droite a fait du NPD un gouvernement en attente, avec l’obligation pour le parti de démontrer qu’il représente un changement réel pour la classe ouvrière.

Depuis toujours à la quatrième place, les Néo-démocrates ont monté dans le nouveau Parlement jusqu’à la deuxième place avec 103 sièges, avec l’appui de 31 pour cent des suffrages exprimés. Les Conservateurs ont obtenu 167 sièges et 39,5 pour cent des voix. (Sur les 308 sièges de la Chambre des communes, 155 représente la majorité.)

Les Libéraux ont subi une cuisante défaite, ne remportant que 34 sièges (contre 77 députés en 2008, et 103 en 2006) et 18,9 pour cent des voix. Le Bloc québécois nationaliste bourgeois a presque disparu. Il n’a conservé que 4 sièges (une chute considérable par rapport à 47). Son chef Gilles Duceppe, a perdu aussi dans sa circonscription et a rapidement démissionné. Le Parti Vert capitaliste a remporté son premier et seul siège, pour la cheffe Elizabeth May en Colombie-Britannique, en dépit d’avoir attiré plus de 4 pour cent des votes à travers le pays. De telles distorsions sont un argument de taille pour le remplacement du système uninominal majoritaire archaïque et de type britannique, par un système de représentation proportionnelle et directe.

Ce résultat, aussi imparfait soit-il, exprime toujours un changement radical. Les gains stupéfiants réalisés par le NPD basé sur les syndicats, ont presque doublé sa part du vote, plus que triplé son nombre total de sièges à une hauteur historique et ont donné au NPD fédéral le statut d’opposition officielle pour la première fois dans l’histoire. Ceci arrive cinquante ans après la naissance du parti issu du partenariat entre le Cooperative Commonwealth Federation et le Congrès du Travail du Canada.

En termes de politique de classe, la percée électorale du NPD met un obstacle sur le chemin de la machine de l’austérité capitaliste. « La vague orange » soulève les espérances de la classe ouvrière pour des temps meilleurs dans une situation de polarisation économique croissante au milieu de l’émiettement des infrastructures physiques et sociales. Mais la réalisation de ces espoirs dépend de la lutte des classes en dehors du Parlement, avec laquelle le NPD peut et doit être totalement identifié et impliqué.

Les experts conservateurs saluent la montée de 23 sièges par le Parti Conservateur, aidée par une petite augmentation dans les sondages et par l’effondrement des Libéraux et du Bloc Québécois, comme une avancée majeure qui a accouché d’un gouvernement majoritaire à leur troisième tentative en cinq ans. Sur cette base, le parti de Stephen Harper (un amalgame de l’ancienne droite radicale du Parti réformiste et des restes réactionnaires du Parti progressiste-conservateur détruit) revendique un mandat fort pour plus de prisons, d’avions à réaction et d’austérité. La demande, cependant, est tout à fait exagérée, et peut être brisée si elle est défiée dans la rue et sur les lieux de travail. Le gouvernement le plus à droite dans l’histoire du Canada pourrait se révéler n’être qu’un tigre de papier lors d’une forte vague de lutte des classes, si seulement la direction des syndicats assume ses responsabilités.

Alors, pourquoi un changement soudain ?

Après un départ somnolent, la campagne s’est enflammée autour des débats télévisés des chefs de parti en anglais et en français. La révulsion populaire au sujet du statu quo, combinée avec un mécontentement plus large concernant l’intimidation des Conservateurs et les promesses recyclées des Libéraux, a atteint le point de rupture. Les tentatives cyniques de cibler les électeurs « ethniques », de diaboliser l’opposition, et d’obscurcir les questions cruciales ont produit des effets inégaux. Des mois d’annonces avec des attaques politiques malveillantes par les deux principaux partis capitalistes ont usé les loyautés dans les deux camps, tout en irritant beaucoup de non-partisans. « Les votes de foules », organisé par les médias sociaux pour éduquer les jeunes ont contribué à stimuler la participation. Ils ont rassemblé des milliers de jeunes à l’idée d’un changement politique, injectant un élément d’excitation dans le processus. Le taux de participation pour l’élection était de 61,4 pour cent, une hausse par rapport au creux historique de 58,8 pour cent en 2008.

Mais le plus grand facteur de changement était sans doute le dégoût populaire avec le gel des salaires, la diminution des pensions, la réduction progressive des prestations sociales, et la disparition de centaines de milliers d’emplois à temps plein. Alors que les riches sont devenus plus riches par les réductions d’impôt et les primes obscènes des PDG, et en pillant les trésors de la nature, pour le reste d’entre nous la colère monte en regardant notre niveau de vie s’effondrer.

En même temps, le NPD doit être crédité pour ses gestes positifs. Jack Layton, contrairement à ses prédécesseurs, a fait campagne ouvertement pour former un gouvernement, non seulement pour gagner « quelques sièges de plus ». Il a lutté pour renverser les gigantesques cadeaux des Conservateurs et des Libéraux aux grandes entreprises. Il a promis que les plus hauts revenus parmi les riches paieraient pour de meilleurs soins de santé, l’amélioration des pensions et l’accès aux études post-secondaires. Les points d’impôts du NPD (malgré leurs limites) résonnaient si bien dans la population que les Libéraux les ont presque copiés.

Mais le geste le plus habile de Layton fût d’exploiter les sentiments de gauche de l’électorat québécois. Les Québécois francophones, en particulier les travailleurs, ont une conscience collective façonnée par l’oppression nationale et une aversion intense envers les structures de l’État canadien. Pour une fois la base anglo-canadienne du NPD a pris ça en compte.

Après des années de tergiversations et de revirements de politique, Layton a affirmé qu’il abrogerait l’antidémocratique Loi sur la clarté, qu’il reconnaîtrait une déclaration d’indépendance du Québec après un référendum victorieux sur la souveraineté, et qu’il soutiendrait le fédéralisme asymétrique. Cela signifie que le Québec sera considéré comme une nation, et non pas seulement comme une autre province dans la Confédération. Il comporte une garantie que le Québec n’aura pas moins d’un quart des sièges au Parlement après redistribution.

Le chef du NPD s’est engagé à veiller à ce que le français soit la langue de travail dans les industries sous réglementation fédérale au Québec, tels que les chemins de fer et les banques. Layton a promis de se battre pour des règles qui exigeraient que les futurs juges nommés à la Cour suprême parlent couramment le français. Il a promis de soutenir les efforts pour mettre le holà à l’échappatoire qui permet aux élèves des écoles privées anglophones au Québec de contourner la loi 101 sur la langue et, après quelques années, d’être transférés vers les écoles de langue anglaise financées publiquement.

Alors qu’il est faux de voir les gains massifs du NPD au Québec comme marquant la fin du mouvement souverainiste, ils reflètent une déconnexion des Québécois indépendantistes de la stratégie et des politiques économiques du Parti et du Bloc Québécois capitalistes. Le changement peut être le présage de gains importants pour la gauche souverainiste de Québec Solidaire au prochain scrutin provincial.

Pendant ce temps, la majorité du caucus parlementaire néo-démocrate, 59 députés sur 103, est composé de Québécois francophones. Un a 19 ans, un autre est un ancien candidat communiste, et la plupart sont de forts nationalistes québécois totalement inconnus de l’appareil fédéral du parti. Jack Layton peut, ou ne pas réussir à dompter ce corral de tigres.

Comme c’est souvent le cas, dans les médias commerciaux, les personnalités prennent le dessus sur le contenu politique. La fixation des médias sur les atouts et les points faibles présumés des hommes politiques avantage généralement les partis bourgeois. Cette fois, c’est l’effet inverse. Plusieurs comédiens gagnent bien leur vie en ridiculisant Stephen Harper comme un individu à la discipline stricte, sans cœur et sans humour, et en présentant Michael Ignatieff comme un opportuniste dévoré d’ambition en congé temporaire d’une tâche d’enseignement à l’université Harvard. Jack Layton, un survivant du cancer de la prostate qui marchait pendant la campagne électorale avec une canne en raison d’une chirurgie récente à la hanche, est apparu comme un gars sincère, honnête et sympathique qui « n’abandonnera pas tant que le travail ne sera pas fait ». Néanmoins cette approche superficielle de la politique peut mordre, tout comme elle peut nourrir, les promoteurs du progrès social.

Tout aussi dangereuse est la tendance à exagérer les maux des Conservateurs pour tenter de justifier un vote « stratégique » pour les Libéraux, ou pour promouvoir la formation d’un gouvernement de coalition bourgeois. Bien que ces stratagèmes n’aient pas réussi à prendre racine, la haute direction du NPD est son pire ennemi à cet égard.

Lorsque Jack Layton a déclaré à Peter Mansbridge de la CBC que la principale différence entre le NPD et le Parti libéral, c’est que les libéraux n’ont pas tenu leurs promesses et que le NPD est plus digne de confiance, il a eu tort. La différence est en fait assez profonde. Les dirigeants d’entreprises ne soutiennent tout simplement pas le NPD. Ce n’est pas un accident. Pour eux c’est une question de classe, incarnée dans les liens du NPD avec le mouvement syndical au Canada anglais.

Le commentaire de Layton était un triste aveu des illusions nourries par la direction actuelle du parti. En outre, il souligne la tâche qui nous attend en tant que travailleurs, pauvres, étudiants, aînés et jeunes. Cette tâche consiste à remplacer les politiques du NPD copiées sur celles des Libéraux avec des politiques socialistes pour répondre aux besoins de la grande majorité de la population.

Dès le début, le chef du NPD s’est excusé d’anticiper la mise en oeuvre des politiques néo-démocrates. Des investissements dans le transport rapide, le logement social et les infrastructures urbaines seraient subordonnés à des revenus anticipés d’une nouvelle taxe sur le carbone (une mauvaise politique environnementale dans tous les cas). La proposition de doubler les prestations du Régime de pensions, et le promesse tant vantée de former de nouveaux médecins dépendraient de la « coopération des provinces ».

Au lieu de cela, Layton devrait insister sur la taxation des riches, la réduction des dépenses militaires, et la transformation des monopoles privés éco-nuisibles en propriété publique, des industries vertes gérées démocratiquement sous le contrôle des travailleurs et des communautés. Nous devons commencer avec le pétrole, l’automobile, les mines et les banques. Utilisons leurs milliards pour répondre aux besoins de millions de personnes.

De toute évidence, la droite a fait des progrès en se déplaçant encore plus vers la droite. La gauche, pour faire des gains, doit se déplacer encore plus vers la gauche. Non seulement en paroles, mais en actes.

Ce qui signifie défier la bureaucratie pro-capitaliste des syndicats et la direction du NPD. Ça veut dire aussi s’opposer à tout pourparler de fusion du NPD avec le parti Libéral, ou toute coalition pour un gouvernement avec un parti capitaliste. Dans une coalition bourgeoise, le NPD aurait à porter le chapeau de la guerre à l’étranger et de l’austérité à l’intérieur. Une fusion avec les Libéraux diluerait davantage le programme du NPD. Au lieu de cela nous avons besoin d’un gouvernement néo-démocrate engagé vers des politiques socialistes. C’est ce que bon nombre des milliers de nouveaux membres qui sont susceptibles d’affluer dans le parti des travailleurs nouvellement dynamique chercheront.

Les gains historiques du NPD font maintenant que le temps est venu d’intensifier la lutte pour un ordre du jour des travailleurs et un gouvernement ouvrier. En pleine période d’une montée des espoirs et des attentes, la gauche socialiste peut s’organiser pour obtenir une écoute plus grande que jamais pour un programme axé sur la lutte des classes à l’intérieur des syndicats et du NPD. Ne cherchez pas d’excuses. Faites des vagues. Devenez membre du Caucus Socialiste du NPD et luttez pour des politiques socialistes au congrès fédéral du NPD à Vancouver du 17 au 19 juin.

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