Les élections fédérales de 2011 bouleversent le terrain politique parlementaire canadien.
Avec 30,6 % du vote et 102 sièges, le Nouveau Parti démocratique pour sa part dépasse de presque 60 son record précédent de sièges, le propulsant ainsi pour la première fois de son histoire au rang d’opposition officielle au niveau fédéral. Alors que le NPD ne détenait qu’un seul des 75 sièges disponibles au Québec, il en détient maintenant 58.
Quant au jadis puissant Parti libéral, ses résultats sont les pires de son histoire, tant en termes de sièges (34) que de voix (18,9%). Le Bloc québécois, force prédominante de la politique parlementaire au Québec depuis 1993, a vu sa représentation réduite à quatre sièges. Deux chefs de parti (Gilles Duceppe du BQ et Michael Ignatieff du PLC) ont démissionné dans les heures suivant l’annonce des résultats de l’élection, alors que deux autres (Harper et Jack Layton) affirmaient chacun avoir remporté une victoire historique.
La majorité gagnée par Harper est un coup dur pour tous ceux et toutes celles qui aspirent à un monde meilleur, et laisse nombre d’entre nous ébranlés sous le choc. Les conservateurs mettront rapidement en application leur programme économique et social qui comprend, en plus des mesures de « lutte contre la criminalité » et d’une politique d’immigration encore plus sévère, une offensive sans précédent contre les services publics et leurs employé-es. Parce que minoritaires, les gouvernements Harper précédents étaient jusque là limités quelque peu dans leur action par la nécessité d’obtenir l’appui des députés d’au moins un parti de l’opposition. Cette fois, le nombre de sièges obtenus lui permettra de faire passer toutes les mesures qu’ils veut.
La victoire de Harper a refroidi tout désir de célébrer la percée du NPD, d’autant que, face à ce que celle-ci représente, nous ressentions déjà une forte ambivalence. D’une part les résultats du NPD sont les meilleurs jamais obtenus par un parti social-démocrate au niveau fédéral. De plus, la députation du parti comprend plusieurs personnes vraiment intéressantes, dont certaines ont des racines et une expérience militantes. Mais d’autre part, la direction du NPD exploitera vraisemblablement cette occasion pour présenter le parti comme un gouvernement de rechange, compétent et responsable dans la gestion du capitalisme.
Au fur et à mesure que nous nous remettons du choc encaissé suite à l’élection d’un Harper majoritaire, nous avons à mettre en marche la construction d’une riposte militante et large, en partie en prenant la mesure de ce bouleversement du terrain politique. Cela présuppose de comprendre la signification de la percée du NPD, ainsi que ses conséquences pour la gauche radicale. Parallèlement, nous avons à déterminer le pourquoi de la victoire des conservateurs et à établir ce qu’ils sont susceptibles de faire de leur majorité nouvellement acquise.
L’austérité comme remède à la crise économique mondiale
Le programme des Conservateurs de Harper est jusqu’ici très clair. Ses priorités sont largement économiques : réduire les impôts des entreprises et des riches tout en contrôlant le déficit en réduisant les dépenses. Comme l’a dit Harper dans son discours de victoire le soir de l’élection : « Notre plan est de créer des emplois et de favoriser la croissance sans augmenter votre fardeau fiscal, et d’éliminer le déficit tout en augmentant les transferts destinés aux provinces pour le financement des services de santé. »
Ce message annonce implicitement une offensive d’envergure contre les employés du secteur public, et les services publics eux-mêmes, car c’est le seul moyen de réaliser ces objectifs. Déjà, en Europe, aux États-Unis et dans la plupart des pays du Sud, les services publics ont été réduits radicalement et les travailleurs-es du secteur public ont vu leurs salaires, leurs conditions de travail et leur droit à la négociation collective battus en brèche. Harper ne manquera pas d’importer ce programme d’austérité, sans doute au pas de course.
Nous avons aussi une idée très claire de ce qu’est le programme social du gouvernement. Les Conservateurs durciront les lois de façon à criminaliser la pauvreté que leur politique économique ne manquera pas d’engendrer. Dans son discours de victoire, Harper a promis « de larges mesures de réduction de la criminalité et de sécurisation de nos rues et de nos quartiers. » Les statistiques indiquent que les taux de criminalité diminuent. Que les gens se sentent moins en sécurité est largement attribuable à la crise économique, qui se conjugue à la transformation du travail stable à temps plein en plus de travail à contrat et à temps partiel, ainsi qu’à l’érosion des programmes sociaux, suscitant de ce fait même plus d’insécurité dans leur vie. Les Conservateurs veulent rediriger ce sentiment en insinuant que ce sont les criminels, les terroristes ou les réfugiés qui menacent notre bien-être, plutôt que les banquiers, l’employeur ou le ministre conservateur.
En ce qui concerne les questions militaires et la politique étrangère, aucun changement de cap de la part des conservateurs n’est à attendre : largesses à profusion pour les multinationales ; collaboration étroite avec les États-Unis ; hostilité envers les gouvernements du Sud qui défient les puissances occidentales, même sur des questions secondaires ; soutien a-critique de l’apartheid israélien et participation aux interventions impérialistes.
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S’engager avec le NPD, bâtir notre mouvement,
C’est au Québec que la poussée néo-démocrate a débuté et qu’elle a été la plus forte. Ce fait est important, en partie, parce que les protestations contre les mesures d’austérité y ont été plus vives. La mobilisation du 12 mars contre les mesures d’austérité du gouvernements Charest fut massive rassemblant plus de 55 000 manifestants. Les résultats aux urnes de Québec solidaire, un parti de gauche souverainiste composé en grande partie de militants communautaires sont de l’ordre de 10%.
Il est raisonnable de présumer qu’il existe un lien entre le support au NPD et la contestation des politiques d’austérité. Le Parti Québécois et le Bloc Québécois sont deux grandes formations politiques, regroupant des membres aux tendances politiques variant de la sociale-démocratie au conservatisme, mais unies par la cause souverainiste. Il probable qu’une partie des votes obtenus par le NPD soit liée à la contestation du plan d’austérité. Ajoutons que ce partie représente une nouveauté et n’a pas l’héritage de désappointement que le Parti québécois traîne avec lui.
L’essor du NPD au Québec a mis sur pied le projet de la consolidation d’une gauche pan-Canadienne. Cette dernière se doit de défendre le droit du Québec à l’auto-détermination, ainsi que celle des peuples autochtones, tout en s’unifiant contre les plans d’austérité auxquels nous faisons tous face. Le NPD rencontrera inévitablement de réelles difficultés face à ces enjeux particuliers. L’ancien chef du NPD, Stephen Louis au lendemain des élection, déclare au Democracy Now : « Ils ont rejeté la séparation, [et] leurs instincts souverainistes qui ont prévalu au cours de ces deux à trois dernières décennies. Et cela revêt une grande importance, étant donné le passé – et ce n’est pas une métaphore- ça réintègre le Québec dans le Canada. »
Le caquetage sur le déclin du Bloc a été intense dans le reste du Canada ; incluant un courriel de Conrad Black lu à la CBC le soir des élections. Mais il n’y a aucune raison de croire que les aspirations nationalistes québécoises se soient simplement évaporées, et il est difficile d’imaginer que ces questions ne ressurgiront pas lors des caucus du NPD, malgré les efforts du leadership. Plusieurs des députés sociaux-démocrates du Québec sont jeunes et beaucoup d’entre eux plongent leurs racines dans les mouvements syndicaux et militants. Ils se sentiront probablement tiraillés entre une ligne de parti, fermement attachée au fédéralisme combinée avec de tièdes engagements contre l’austérité, et le milieu duquel ils proviennent, incluant leur base électorale.
Les sondages pré-électoraux démontraient que le NPD rencontrait une forte popularité auprès des femmes. Au Canada et ailleurs, les femmes ont manifesté un plus grand soutien aux programmes sociaux que les hommes, et ont exprimé leurs intentions de voter pour des partis qui défendent ce type de programmes. La représentation néo-démocrate au Parlement possède le plus grand nombre de femmes de l’histoire du pays (40 députées sur 102), mais également un contingent non-négligeable de jeunes personnes. En fait, le plus jeune candidat, jamais élu au Parlement, est un québécois de 19 ans du NPD, auxquels se joignent plusieurs de ses collègues âgés de moins de 30 ans.
Le NPD a aussi présenté des candidats ayant une expérience importante au niveau des luttes autochtones. Roméo Saganash, chef Cris, représentera le comté de l’Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou au nord du Québec, et Jonathan Genest-Jourdain est dès à présent un député NPD Innu, représentant la circonscription québécoise de Manicouagan. Nombre d’élus du NPD entretiennent des liens étroits avec les syndicats, et le parti dans son ensemble a des liens officiels avec le mouvement syndical. Au moment où les travailleurs du secteur public seront confrontés à des attaques, le NPD devra faire face à une certaine pression le poussant à se distinguer du consensus entourant les politiques d’austérité.
Tout ceci ne relève pas d’une quelconque confiance envers le NPD, non plus du désir de privilégier les manœuvres parlementaires aux dépens du militantisme ou de réduire le rôle de la contestation à une simple tentative d’influencer l’opinion du législateur. Plutôt, il est question de s’engager au coté du NPD pour mener une plus large contre-offensive à l’égard de l’agenda conservateur et, pour l’instant, nous devons faire pression adéquatement sur le parti pour qu’il embrasse nos causes.
Le NPD a évolué d’une manière qui diffère des autres partis, se faisant l’écho de la voix des travailleurs et des agriculteurs au sein du système capitaliste et d’une démocratie parlementaire. Comme mentionné précédemment, le NPD continue d’entretenir des liens particuliers avec les syndicats ouvriers et certains groupes œuvrant pour la justice sociale. Cependant, le NPD a toujours été un parti pro-capitaliste, ayant développé un fort penchant néo-libéral, et il soutient en grande partie les mesures d’austérité. En somme, c’est une formation politique contradictoire.
Dans un avenir proche, il sera possible de s’engager auprès du NPD afin de renforcer l’organisation du mouvement. Quand cela sera possible, il nous faudra rencontrer les députés du NPD afin de demander qu’ils s’opposent aux dispositions anti-syndicales, soit en faveur d’une hausse de la sécurité sociale, en faveur de cités-sanctuaires, pour l’appui à la cause palestinienne (ce qui inclut des mesures telles que le boycott, le désinvestissement et les sanctions) et pour qu’ils se battent en faveur du droit à l’auto-détermination des Québécois et Autochtones. Quelques uns des nouveaux députés québécois ne sont pas rompus à la ligne de parti. Cela pourrait ouvrir de nouvelles possibilités. Dans le cas où cette approche échouerait (ce qui risque d’arriver), quand cela sera possible, nous devrons travailler avec les gens du NPD et des syndicats qui seraient disposés à diriger des associations, des syndicats locaux et des conventions.
Rien de cela ne peut remplacer les autres formes de militantisme, mais c’est une possibilité spécifique (sans doute à court terme) dégagée par le changement actuel du paysage politique. Ces élections ont vu une légère hausse du vote conservateur, qui, accompagné d’une séparation des votes, a permis à ce parti une confortable majorité au Parlement. Il y a de fortes chance pour que les Libéraux avec un penchant vers la droite aient voté pour les Conservateurs lorsqu’ils ont vu leur parti couler dans les sondages. En même temps, le NPD a vu son électorat augmenter drastiquement ainsi que sa représentation parlementaire, ce qui pourrait indiquer que ceux qui contestent l’agenda du gouvernement Harper se sont rapprochés d’une rhétorique d’opposition.
Notre défi, maintenant, est de bâtir une opposition militante et active, qui se concentrerait sur la mobilisation dans les rues, les écoles, les lieux de travail et les quartiers. A partir des constatations quant aux résultats des élections, l’un des outils que devrait utiliser le mouvement afin de se consolider, est de formuler des demandes au NPD, et de s’assurer que celui-ci s’en tienne au nom de son propre engagement à incarner le changement. C’est une des diverses façons dont la Gauche radicale doit travailler afin d’atteindre le plus grand nombre, allant au-delà de ses maigres rangs, et de mobiliser le type de mouvement de masse dont nous avons besoin pour couper court aux mesures d’austérité.
Traduction :
Première partie : Yves Rémillard
Deuxième partie : Bastien Gauthier et Daphné D’Cruz