Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales 2011

La question du NPD

La plus grosse sur­prise de la cam­pagne élec­to­rale aura été sans nul doute la pro­gres­sion du NPD. Au Québec en tout cas, ce parti est parti de très loin, étant arrivé dans la plu­part des comtés qué­bé­cois bon qua­trième lors des élec­tions pré­cé­dentes. Il reste à voir cepen­dant com­ment ces inten­tions de votes se concré­ti­se­ront le 3 mai.

tiré des Nouveaux Cahiers du socialisme • Mis en ligne le 25 avril 2011 dans les NCS

Bonne nou­velle / mau­vaise nouvelle

D’emblée, saluons cette évolu­tion pour ce qu’elle est au Québec : une partie impor­tante de la popu­la­tion est prête à appuyer un parti qu’on dit de gauche. Cela n’est pas rien et Amir Khadir a raison de dire que c’est un signe de vita­lité poli­tique. Après tout au Québec, on a une majo­rité socio­lo­gique qui est prête au chan­ge­ment. De manière coro­laire, on a une majo­rité qui refuse les vieux partis et sur­tout la droite extrême incarnée par Ste­phen Harper. Il y a par ailleurs dans cette bonne nou­velle une mau­vaise nou­velle : les appuis du NPD sapent ceux du Bloc qué­bé­cois qui pour­raient perdre cer­tains comtés arra­chés de haute lutte aux Conser­va­teurs et aux Libé­raux lors des élec­tions de 2008. En réa­lité, les domi­nants au Canada et au Québec sont les seuls qui peuvent se réjouir de cela. On constate dans les médias que les repré­sen­tants du PC et du PLC, les com­men­ta­teurs de droite, les « experts » che­vronnés tous plus ou moins liés à l’État, salivent de voir le Bloc être vaincu par le NPD ! Pour la droite, défaire le natio­na­lisme qué­bé­cois est une grande prio­rité, quitte à devoir endurer quelques députés du NPD !

Le NPD un parti de gauche ?

Avant de poser la ques­tion du vote dit stra­té­gique, il importe de pré­ciser quelques idées sur le NPD. Ce parti n’est pas réel­le­ment « de gauche ». On ne peut même pas dire qu’il soit social-démocrate, du moins dans ce que cela veut dire his­to­ri­que­ment. Au mieux, le NPD s’inscrit tout à fait dans le « social-libéralisme », cette pers­pec­tive poli­tique qu’a tra­duit en action le mal-aimé Tony Blair. Cette « troi­sième voie » a renoncé aux idéaux de la social-démocratie en accep­tant les prin­cipes du néo­li­bé­ra­lisme (déman­tè­le­ment de l’État pro­vi­dence, pri­va­ti­sa­tions, inté­gra­tion dans le « marché mon­dial », ali­gne­ment sur les poli­tiques impé­ria­listes de l’OTAN). Le NPD au niveau fédéral, de même que les admi­nis­tra­tions pro­vin­ciales diri­gées par le NPD, sont allés essen­tiel­le­ment dans le même sens. Les quatre admi­nis­tra­tions pro­vin­ciales du NPD ces der­nières années n’ont pu mener leur gou­ver­nance à aucune réforme fon­da­men­tale, même pas, malgré leurs pro­messes, dans le domaine de la démo­cra­ti­sa­tion des ins­ti­tu­tions (finan­ce­ment des partis, vote pro­por­tionnel, etc.), qui res­tent au Canada parmi les plus anti-démocratiques des pays capitalistes.

Certes, la volonté d’ « humaniser » le néo­li­bé­ra­lisme a ses avan­tages. Contrai­re­ment à la droite, le social-libéralisme cherche à accom­moder les classes moyennes et popu­laires, notam­ment par des pro­grammes pal­lia­tifs. Il mani­feste un cer­tain intérêt à « dia­lo­guer » avec les mou­ve­ments sociaux (plutôt que de les écraser pure­ment et sim­ple­ment), sur­tout si ces mou­ve­ments acceptent les fon­de­ments du social-libéralisme. Nous ne disons pas cela sar­cas­ti­que­ment, car il y a une réelle dif­fé­rence dans la ges­tion poli­tique pra­ti­quée par le social-libéralisme (en Angle­terre et en Alle­magne par exemple) et les pra­tiques de la droite pou­vant être qua­li­fiées car­ré­ment de voyou­cratie (comme on le constate en France ou en Italie). On com­prend donc pour­quoi les syn­di­cats cana­diens, notam­ment, ont appuyé le NPD.

Les ali­gne­ments fon­da­men­taux du social-libéralisme

Au niveau fédéral, le NPD n’a jamais été confronté à la dure réa­lité de la ges­tion poli­tique n’ayant jamais été associé au pou­voir sauf à part un court épisode au début des années 1970 avec le gou­ver­ne­ment libéral mino­ri­taire. Il était donc rela­ti­ve­ment facile pour ce parti de se faire le défen­seur des droits sociaux en tant que chef d’un parti presque mar­ginal. Pour autant, l’orientation social-libérale s’est mani­festée à plu­sieurs reprises. Récem­ment par exemple, Layton a appuyé l’intervention cana­dienne en Libye, une manœuvre impé­ria­liste pré­sentée sous le dra­peau de l’ « humanitaire » (comme d’ailleurs le Bloc qué­bé­cois et les partis social-libéraux ailleurs dans le monde). En réa­lité, on constate que le social-libéralisme est tout à fait incon­sis­tant sur la ques­tion de la guerre et de l’impérialisme et que, dans la grande majo­rité des cas, il se range der­rière les États et les classes domi­nantes des pays impé­ria­listes. Fait à noter, c’est l’ancien chef du NPD onta­rien et ex-Premier ministre Bob Ray, main­te­nant devenu second violon du PLC, qui mène la poli­tique exté­rieure de ce parti.

Bob Ray est obsédé par la défense de l’État israé­lien, envers et contre tout. Il pense vrai­ment que l’ « Occident » doit mener la guerre contre le « ter­ro­risme » pour venir à bout des « extré­mistes musul­mans », dans une pos­ture qui le rap­proche beau­coup des néo­con­ser­va­teurs états-uniens. Il serait cepen­dant injuste d’assimiler le NPD actuel à ces posi­tions extré­mistes, d’autant plus que plu­sieurs députés comme Libby Davis (Colombie Bri­tan­nique) sont engagés aux côtés de la lutte pour la jus­tice et la paix en Pales­tine et en Israël. Mais il importe de sou­li­gner cer­taines contra­dic­tions fon­da­men­tales du NPD (comme d’ailleurs celles des autres partis social-libéraux dans le monde).

La ques­tion québécoise

Il y a un enjeu où le NPD a été rela­ti­ve­ment consis­tant, et c’est mal­heu­reu­se­ment sur la ques­tion qué­bé­coise. En dépit de quelques clins d’œil à la nation qué­bé­coise et au « fédé­ra­lisme asy­mé­trique », le NPD avant et depuis Jack s’est rangé der­rière le « consensus cana­dien ». D’où la tra­gique impos­si­bi­lité d’appuyer clai­re­ment et sim­ple­ment le droit à l’auto-détermination. Pire encore, le NPD s’est rallié aux manœuvres d’intimidation et de mani­pu­la­tion orches­trées par le PLC et les Conser­va­teurs. On peut se demander ce qui explique une telle pos­ture. Encore là, le NPD ne se démarque pas des domi­nants sur les ques­tions « fon­da­men­tales ». Comme l’État cana­dien repose sur un dis­po­sitif d’exclusion et de mani­pu­la­tion, la domi­na­tion sur le peuple qué­bé­cois et sur les peuples autoch­tones a his­to­ri­que­ment été au cœur du pro­cessus poli­tique. Les domi­nants savent qu’il n’y a pas une grande marge de manœuvre et qu’on ne peut trouver de véri­tables com­promis à part les ges­ti­cu­la­tions habi­tuelles et les décla­ra­tions sans pro­fon­deur. Le social-libéralisme au Canada non seule­ment ne s’est pas opposé à ces poli­tiques (à part quelques excep­tions comme l’opposition à la Loi des mesures de guerre en 1970), mais en général a par­ti­cipé aux « grandes manœuvres », comme lors des misé­rables opé­ra­tions fédé­rales pour vaincre la volonté d’affirmation natio­nale en 1980 et en 1995. Est-ce donc un « hasard » si c’est Thomas Mul­cair qui est la figure de proue du NPD au Québec ? Cet ancien ministre libéral, ex-avocat d’Alliance Québec, est resté « fidèle » à sa grande cause, qui est de vaincre la « menace sépa­ra­tiste ». Ce qui ne l’empêche pas de se sentir à l’aise dans le contexte d’un parti social-libéral prô­nant cer­taines réformes sociales et environnementales.

Voter pour le NDP ? Oui, à condi­tion que …

On constate donc l’ambigüité de la chose. Cela serait une erreur assez gros­sière d’appuyer le NPD parce que c’est un « parti de gauche » : il ne l’est pas depuis long­temps, il ne l’est pas aujourd’hui, il ne le sera pas demain. Il est d’ailleurs pen­sable, sur­tout si le PLC subit une dure défaite aux élec­tions, qu’il se pro­duise un « rap­pro­che­ment », pour ne pas dire une fusion entre un PLC affaibli et un NPD ragaillardi, autour d’un pro­gramme cen­triste très édul­coré, pour la défense d’un « Canada fort », hos­tile aux Conser­va­teurs sur un cer­tain nombre de fon­da­men­taux, mais sur­tout inca­pable de repré­senter une réelle alter­na­tive (cela serait le « modèle » états-unien où les élec­teurs ont le « choix » entre l’ultra droite –les Républicains- et la droite –les Démocrates).

Pour autant, voter pour le NPD dans cer­taines cir­cons­crip­tions au Québec, dans le contexte actuel, peut s’avérer un bon choix. Tel qu’évoqué aupa­ra­vant, le social-libéralisme repré­sente un danger moins grave et moins immé­diat pour les mou­ve­ments popu­laires et pour la gauche. D’autre part, voter NPD peut s’inscrire dans une approche stra­té­gique qui vise à affai­blir la droite et même à empê­cher Harper de consti­tuer un gou­ver­ne­ment majo­ri­taire. Il ne fait pas de doute dans nos esprits qu’il faille voter pour Thomas Mul­cair dans Outre­mont et pour la syn­di­ca­liste Nycole Turmel dans Aylmer par exemple. Par rap­port à l’objectif stra­té­gique de défaire la droite, les élec­teurs pro­gres­sistes doivent donc bien réfléchir.

Au Québec dans la grande majo­rité des comptés, un vote pour le Bloc est cepen­dant ce qui peut empê­cher Ste­phen Harper de consti­tuer un gou­ver­ne­ment majo­ri­taire et de pro­céder à sa « révo­lu­tion » de droite. Nous déga­geons de ces réflexions quelques conclusions :

L’appui au NPD n’a pas grand-chose à voir avec l’élaboration d’une alter­na­tive de gauche. Au Québec en tout cas, celle-ci a un nom et cela s’appelle Québec soli­daire. Le NPD, et c’est peut-être mal­heu­reux pour cer­tains, n’a rien à voir avec cela. La construc­tion d’un pôle de gauche fort et struc­turé ne peut se faire qu’en confron­tant le social-libéralisme, et non en se subor­don­nant à celui-ci sous pré­texte qu’il est le « moins pire ». Apporter un appui élec­toral cir­cons­tancié n’a rien à voir avec la subor­di­na­tion, par ailleurs.

Dans le moment pré­sent, le plus impor­tant est au niveau fédéral de défaire la droite. Le projet de Harper est un danger immi­nent qu’il faut entraver. C’est un projet « révo­lu­tion­naire » qui risque de déstruc­turer la société et de mar­gi­na­liser les mou­ve­ments sociaux et la gauche, comme cela a été fait aux États-Unis ou en Angle­terre à tra­vers les trans­for­ma­tions effec­tuées par le bloc au pouvoir.

Arra­cher des votes au Bloc soi-disant parce que le NPD est plus « atti­rant » (ou plus de gauche) est une erreur que Jack Layton regret­tera amè­re­ment le jour où il aura constaté qu’il a été en fin de compte ins­tru­men­ta­lisé par Ste­phen Harper.

Pour autant, on com­prend les élec­teurs de gauche au Québec qui sont tentés de voter pour Jack et ses can­di­dats. Mais atten­tion ! Le signal pro­gres­siste qui sera envoyé en votant NPD pour­rait être per­verti si cela affai­blit l’opposition à Harper. Une défaite impor­tante pour le Bloc serait une vic­toire non seule­ment pour Harper mais pour l’ensemble des domi­nants au Canada.

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