Bonne nouvelle / mauvaise nouvelle
D’emblée, saluons cette évolution pour ce qu’elle est au Québec : une partie importante de la population est prête à appuyer un parti qu’on dit de gauche. Cela n’est pas rien et Amir Khadir a raison de dire que c’est un signe de vitalité politique. Après tout au Québec, on a une majorité sociologique qui est prête au changement. De manière corolaire, on a une majorité qui refuse les vieux partis et surtout la droite extrême incarnée par Stephen Harper. Il y a par ailleurs dans cette bonne nouvelle une mauvaise nouvelle : les appuis du NPD sapent ceux du Bloc québécois qui pourraient perdre certains comtés arrachés de haute lutte aux Conservateurs et aux Libéraux lors des élections de 2008. En réalité, les dominants au Canada et au Québec sont les seuls qui peuvent se réjouir de cela. On constate dans les médias que les représentants du PC et du PLC, les commentateurs de droite, les « experts » chevronnés tous plus ou moins liés à l’État, salivent de voir le Bloc être vaincu par le NPD ! Pour la droite, défaire le nationalisme québécois est une grande priorité, quitte à devoir endurer quelques députés du NPD !
Le NPD un parti de gauche ?
Avant de poser la question du vote dit stratégique, il importe de préciser quelques idées sur le NPD. Ce parti n’est pas réellement « de gauche ». On ne peut même pas dire qu’il soit social-démocrate, du moins dans ce que cela veut dire historiquement. Au mieux, le NPD s’inscrit tout à fait dans le « social-libéralisme », cette perspective politique qu’a traduit en action le mal-aimé Tony Blair. Cette « troisième voie » a renoncé aux idéaux de la social-démocratie en acceptant les principes du néolibéralisme (démantèlement de l’État providence, privatisations, intégration dans le « marché mondial », alignement sur les politiques impérialistes de l’OTAN). Le NPD au niveau fédéral, de même que les administrations provinciales dirigées par le NPD, sont allés essentiellement dans le même sens. Les quatre administrations provinciales du NPD ces dernières années n’ont pu mener leur gouvernance à aucune réforme fondamentale, même pas, malgré leurs promesses, dans le domaine de la démocratisation des institutions (financement des partis, vote proportionnel, etc.), qui restent au Canada parmi les plus anti-démocratiques des pays capitalistes.
Certes, la volonté d’ « humaniser » le néolibéralisme a ses avantages. Contrairement à la droite, le social-libéralisme cherche à accommoder les classes moyennes et populaires, notamment par des programmes palliatifs. Il manifeste un certain intérêt à « dialoguer » avec les mouvements sociaux (plutôt que de les écraser purement et simplement), surtout si ces mouvements acceptent les fondements du social-libéralisme. Nous ne disons pas cela sarcastiquement, car il y a une réelle différence dans la gestion politique pratiquée par le social-libéralisme (en Angleterre et en Allemagne par exemple) et les pratiques de la droite pouvant être qualifiées carrément de voyoucratie (comme on le constate en France ou en Italie). On comprend donc pourquoi les syndicats canadiens, notamment, ont appuyé le NPD.
Les alignements fondamentaux du social-libéralisme
Au niveau fédéral, le NPD n’a jamais été confronté à la dure réalité de la gestion politique n’ayant jamais été associé au pouvoir sauf à part un court épisode au début des années 1970 avec le gouvernement libéral minoritaire. Il était donc relativement facile pour ce parti de se faire le défenseur des droits sociaux en tant que chef d’un parti presque marginal. Pour autant, l’orientation social-libérale s’est manifestée à plusieurs reprises. Récemment par exemple, Layton a appuyé l’intervention canadienne en Libye, une manœuvre impérialiste présentée sous le drapeau de l’ « humanitaire » (comme d’ailleurs le Bloc québécois et les partis social-libéraux ailleurs dans le monde). En réalité, on constate que le social-libéralisme est tout à fait inconsistant sur la question de la guerre et de l’impérialisme et que, dans la grande majorité des cas, il se range derrière les États et les classes dominantes des pays impérialistes. Fait à noter, c’est l’ancien chef du NPD ontarien et ex-Premier ministre Bob Ray, maintenant devenu second violon du PLC, qui mène la politique extérieure de ce parti.
Bob Ray est obsédé par la défense de l’État israélien, envers et contre tout. Il pense vraiment que l’ « Occident » doit mener la guerre contre le « terrorisme » pour venir à bout des « extrémistes musulmans », dans une posture qui le rapproche beaucoup des néoconservateurs états-uniens. Il serait cependant injuste d’assimiler le NPD actuel à ces positions extrémistes, d’autant plus que plusieurs députés comme Libby Davis (Colombie Britannique) sont engagés aux côtés de la lutte pour la justice et la paix en Palestine et en Israël. Mais il importe de souligner certaines contradictions fondamentales du NPD (comme d’ailleurs celles des autres partis social-libéraux dans le monde).
La question québécoise
Il y a un enjeu où le NPD a été relativement consistant, et c’est malheureusement sur la question québécoise. En dépit de quelques clins d’œil à la nation québécoise et au « fédéralisme asymétrique », le NPD avant et depuis Jack s’est rangé derrière le « consensus canadien ». D’où la tragique impossibilité d’appuyer clairement et simplement le droit à l’auto-détermination. Pire encore, le NPD s’est rallié aux manœuvres d’intimidation et de manipulation orchestrées par le PLC et les Conservateurs. On peut se demander ce qui explique une telle posture. Encore là, le NPD ne se démarque pas des dominants sur les questions « fondamentales ». Comme l’État canadien repose sur un dispositif d’exclusion et de manipulation, la domination sur le peuple québécois et sur les peuples autochtones a historiquement été au cœur du processus politique. Les dominants savent qu’il n’y a pas une grande marge de manœuvre et qu’on ne peut trouver de véritables compromis à part les gesticulations habituelles et les déclarations sans profondeur. Le social-libéralisme au Canada non seulement ne s’est pas opposé à ces politiques (à part quelques exceptions comme l’opposition à la Loi des mesures de guerre en 1970), mais en général a participé aux « grandes manœuvres », comme lors des misérables opérations fédérales pour vaincre la volonté d’affirmation nationale en 1980 et en 1995. Est-ce donc un « hasard » si c’est Thomas Mulcair qui est la figure de proue du NPD au Québec ? Cet ancien ministre libéral, ex-avocat d’Alliance Québec, est resté « fidèle » à sa grande cause, qui est de vaincre la « menace séparatiste ». Ce qui ne l’empêche pas de se sentir à l’aise dans le contexte d’un parti social-libéral prônant certaines réformes sociales et environnementales.
Voter pour le NDP ? Oui, à condition que …
On constate donc l’ambigüité de la chose. Cela serait une erreur assez grossière d’appuyer le NPD parce que c’est un « parti de gauche » : il ne l’est pas depuis longtemps, il ne l’est pas aujourd’hui, il ne le sera pas demain. Il est d’ailleurs pensable, surtout si le PLC subit une dure défaite aux élections, qu’il se produise un « rapprochement », pour ne pas dire une fusion entre un PLC affaibli et un NPD ragaillardi, autour d’un programme centriste très édulcoré, pour la défense d’un « Canada fort », hostile aux Conservateurs sur un certain nombre de fondamentaux, mais surtout incapable de représenter une réelle alternative (cela serait le « modèle » états-unien où les électeurs ont le « choix » entre l’ultra droite –les Républicains- et la droite –les Démocrates).
Pour autant, voter pour le NPD dans certaines circonscriptions au Québec, dans le contexte actuel, peut s’avérer un bon choix. Tel qu’évoqué auparavant, le social-libéralisme représente un danger moins grave et moins immédiat pour les mouvements populaires et pour la gauche. D’autre part, voter NPD peut s’inscrire dans une approche stratégique qui vise à affaiblir la droite et même à empêcher Harper de constituer un gouvernement majoritaire. Il ne fait pas de doute dans nos esprits qu’il faille voter pour Thomas Mulcair dans Outremont et pour la syndicaliste Nycole Turmel dans Aylmer par exemple. Par rapport à l’objectif stratégique de défaire la droite, les électeurs progressistes doivent donc bien réfléchir.
Au Québec dans la grande majorité des comptés, un vote pour le Bloc est cependant ce qui peut empêcher Stephen Harper de constituer un gouvernement majoritaire et de procéder à sa « révolution » de droite. Nous dégageons de ces réflexions quelques conclusions :
L’appui au NPD n’a pas grand-chose à voir avec l’élaboration d’une alternative de gauche. Au Québec en tout cas, celle-ci a un nom et cela s’appelle Québec solidaire. Le NPD, et c’est peut-être malheureux pour certains, n’a rien à voir avec cela. La construction d’un pôle de gauche fort et structuré ne peut se faire qu’en confrontant le social-libéralisme, et non en se subordonnant à celui-ci sous prétexte qu’il est le « moins pire ». Apporter un appui électoral circonstancié n’a rien à voir avec la subordination, par ailleurs.
Dans le moment présent, le plus important est au niveau fédéral de défaire la droite. Le projet de Harper est un danger imminent qu’il faut entraver. C’est un projet « révolutionnaire » qui risque de déstructurer la société et de marginaliser les mouvements sociaux et la gauche, comme cela a été fait aux États-Unis ou en Angleterre à travers les transformations effectuées par le bloc au pouvoir.
Arracher des votes au Bloc soi-disant parce que le NPD est plus « attirant » (ou plus de gauche) est une erreur que Jack Layton regrettera amèrement le jour où il aura constaté qu’il a été en fin de compte instrumentalisé par Stephen Harper.
Pour autant, on comprend les électeurs de gauche au Québec qui sont tentés de voter pour Jack et ses candidats. Mais attention ! Le signal progressiste qui sera envoyé en votant NPD pourrait être perverti si cela affaiblit l’opposition à Harper. Une défaite importante pour le Bloc serait une victoire non seulement pour Harper mais pour l’ensemble des dominants au Canada.