André Jacob
Dans ce pays du Québec, on ignore le mot ancien. Le terme fait ringard ou propose une allusion à des pays lointains qui accordent toujours une place sociale aux anciens. En ces temps bouleversés, le parcours des vieux et des vieilles se heurte à de nombreuses pierres d’achoppement dans les mouroirs maquillés de divers noms, ces lieux où on les « place ». Vous avez bien lu, on les « place » pour ne pas trop les voir. On les retranche de la vie en société en ne leur laissant aucune autre alternative que celle de rester retranchés dans le silence. On les compte parmi les personnes disparues de la société.
Les personnes âgées, dit-on dans des discours hyperboliques, devraient être considérées comme les marqueurs de l’histoire, les ancêtres à respecter, le patrimoine de l’humanité, etc. Mais qu’en est-il dans la réalité ? En effet, elles pourraient, être des personnages de sagesse, de légendes, d’histoires à retenir comme des icônes dignes de respect, mais cette perspective ne fait pas partie des façons de voir les choses à notre époque de productivité, de performance et de vedettariat. Il n’y a plus de « place » pour elles, sauf dans l’ombre, pas très loin de la grande noirceur de l’urne sur une tablette à côté d’une fleur de plastique et d’une photo à l’âge de 50 ans.
Au moment d’écrire ces lignes, des anciens et des anciennes disparaissent, emportés en masse par le virus Covid19 dans le silence et la négligence, abandonnés en pâture au capital et à ses maîtres, exploiteurs cupides de l’âge, de la maladie et de la mort. Ils résident, dit-on. En effet, de grandes entreprises et de riches particuliers investissent dans des établissements d’hébergement spécialisés pour les personnes âgées afin d’en tirer profit. Point à la ligne. Quelle logique tordue ! Engraisser les fortunes est le leitmotiv central, non le souci d’humanisme et de service à la communauté. À leurs yeux, les vieux et les vieilles représentent une occasion d’affaire en or (vive l’âge d’or !), d’autant plus quand les héros et les héroïnes de la longévité se retrouvent affaiblis, malades, humiliés, privés de leur dignité et surtout de leur parole. Ils deviennent vulnérables et on peut siphonner toutes leurs économies sans vergogne. Ils ne vont pas contester. À cela s’ajoute la force de l’inertie collective bien ancrée dans la mentalité contemporaine individualiste. La solidarité avec les « aînés et les aînées » ne se sent pas vraiment.
Malgré les limites de ce système et les pratiques irresponsables, je dois le souligner, plusieurs résidences privées affichent un sens des responsabilités dignes de mention.
Comment en sommes-nous rendus là comme société ? En confiant une grande partie de la responsabilité du soutien aux anciens et aux anciennes à des entreprises privées, l’État a abdiqué devant ses responsabilités depuis de nombreuses années à l’égard des citoyens et des citoyennes en perte d’autonomie, malades ou handicapés. Laisser une place d’honneur aux résidences privées ne peut compenser les manques de l’État et ne représente pas une solution viable à long terme. En forçant, d’une certaine façon, beaucoup de personnes âgées à « accepter » ce type d’hébergement, elles deviennent souvent victimes d’une forme subtile de discrimination systémique en raison de leur âge. Leurs droits individuels et collectifs sont bafoués. Plusieurs personnes âgées auraient pu bénéficier de meilleures conditions de vie pendant des années si le soutien au maintien à domicile n’était pas réduit à des budgets faméliques et une organisation qui mérite plus de reconnaissance sociale, culturelle, économique et surtout politique.
Un problème collectif tel que celui de services inadéquats aux anciens et aux anciennes devrait susciter des réactions collectives d’indignation et de révolte. Nous devrions nous lever, hurler haut et fort que le manque de respect et le sous-financement des services ne passent plus. Ces personnes ont droit à des politiques de maintien à domicile dignes de ce nom et/ou des résidences et centres hospitaliers de soins prolongés en dehors des créneaux commerciaux privés. Nous devons libérer nos esprits et nos cœurs des scories de l’impuissance pour crier notre révolte et couvrir la voix des tribunes populaires qui résonnent en écho à la voix des exploiteurs de l’âge. Le laisser-faire n’est plus acceptable. Trop de situations scandaleuses restent méconnues. Les louanges de la liberté du secteur privé et de l’individualisme prédateur n’effacent rien. Il est temps d’agir.
Exigeons responsabilité, respect et réparation pour les citoyens et les citoyennes vulnérables en raison de leur âge qui attendent des réponses adéquates à leurs besoins depuis trop longtemps.
Une fois la pandémie passée, il restera donc beaucoup de problèmes à régler du côté des modes d’hébergement des personnes aînées et il faudra rétablir leur dignité dans la société.
Mascouche, 15 avril 2020
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