Le projet de loi [3] fait du ministre de l’Environnement le « conseiller du gouvernement en matière de lutte contres les changements climatiques et vise à assurer une « gouvernance intégrée à l’échelle gouvernementale ». Il « crée un comité consultatif permanent ayant pour fonction de conseiller le ministre sur les orientations et les politiques, les programmes et les stratégies en matière de lute aux changements climatiques. »Il modifie les règles régissant le fonds vert en « abolissant le conseil de gestion du Fonds vert et en transférant certaines de ses responsabilités au ministre. Il abolit l’organisme Transition Énergétique Québec et confie au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles la responsabilité d’élaborer un plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétique. Il affecte uniquement le Fonds maintenant dit d’Électrification et de changements climatiques, à la lutte aux changements climatiques et il établit une règle permettant au gouvernement de déterminer la part minimale des revenus provenant du SPEDE réservés aux changements climatiques. Voilà pour l’essentiel des changements apportés par ce projet de loi.
Une loi sur la gouvernance et ses limites
Une loi sur la gouvernance vise à décrire et à réguler le fonctionnement des instances et des structures gouvernementales dans la lutte aux changements climatiques. Elle vise essentielle ment à mettre en place une gestion saine des fonds que le gouvernement veut allouer à cette lutte. Elle favorise également la mise en place de mécanisme de surveillance et de reddition de comptes. Elle détermine les acteurs ayant intérêt à intervenir auprès du gouvernement qui sont définies comme des parties prenantes afin d’adapter les institutions à ces acteurs, et particulièrement aux entreprises pour les aider à prendre leur place dans le cadre de la crise climatique. Ces acteurs ne sont écoutés que s’ils peuvent se définir comme des partenaires capables de jouer le jeu de la bonne gouvernance et d’inscrire leur action comme collaboratrice du gouvernement. [4]
Organisations patronales, organisations syndicales, organisations environnementales, institutions municipales, sociétés d’État comme Hydro-Québec se sont prêtées au jeu et ont apporté leurs contributions visant à définir la bonne gouvernance de la lutte aux changements climatiques. Elles se sont donc inscrites pour la plupart dans le cadre défini par le gouvernement.
Les organisations patronales prêtes à accepter le projet de loi de gouvernance de la lutte aux changements climatiques
Les organisations patronales se sont toutes ralliées aux propositions gouvernementales. Le Conseil du patronat affirme qu’il a collaboré avec le gouvernement tant en ce qui concerne l’élaboration du plan directeur en transition (2018-2023) qu’en tant que membre du Comité de suivi sur la politique de mobilité durable qu’au groupe de travail sur le Plan d’électrification et de changements climatiques qui doit être déposé en ce début d’année. [5]. Pour le Conseil du patronat, qui avait pris sa place dans les institutions gouvernementales oeuvrant en environnement, il questionne le gouvernement sur l’abolition du conseil d’administration du Fonds vert et l’abolition de Transition énergétique Québec. , Mais il est prêt à s’inscrire dans le type de gouvernance proposée. Pour garder son statut de « parties prenantes », il espère que le comité consultatif ne soit pas formé seulement de scientifiques, mais assure également la présence de représentant-e-s de la société civile dont le Conseil du patronat et d’autres organisations de la société civile
Mais l’essentiel du message des organisations patronales se situe ailleurs. Le principe de l’action du Conseil du patronat a-t-il rappelé, est de maximiser les retombées et la rentabilité des investissements publics et privés afin de concilier encore davantage le développement économique et la lutte aux changements climatiques. [6] « Pour encourager les entreprises, le gouvernement doit procurer le soutien notamment financier pour accélérer le retour sur les investissements faits par les entreprises pour réduire les GES... », Le Conseil patronal de l’environnement du Québec demande pour sa part que des allocations de droit de polluer continuent d’être fournies es gratuitement aux entreprises au-delà 2024 pour protéger la capacité concurrentielle de ces dernières. Cela est particulièrement fort en café alors que l’on sait qu’en 2017 par exemple, les entreprises ont reçu plus d’allocations gratuites pour des émissions de GES que ce qu’elles en ont émis. Pour les organisations patronales, ils semblent que le principe du pollueur payé les inspire.
L’Alliance Switch (coalition d’entrepreneurs et d’environnementalistes) présente le projet de loi 44 comme le fer de lance de la transition du Québec vers une économie verte. Rien de moins.
Propulsion, une organisation d’ entreprises oeuvrant dans les transports, l’électrification des transports doit être l’occasion d’un formidable développement économique. Les processus d’électrification des voitures individuelles, de gros camions pour le transport des marchandises ou le développement du transport public des personnes sont mis sur le même pied. La réglementation doit évoluer à la vitesse du marché et viser au développement des affaires. Une bonne gouvernance c’est l’établissement d’un guichet unique pour donner accès à un financement public aux entreprises privées et avec le minimum de tracasseries administratives.
Les organisations syndicales accueillent favorablement le projet de loi et exposent leurs préoccupations
Des interventions se sont situées plutôt aux niveaux de la gouvernance. La FTQ a souligné l’importance d’un engagement pour atteindre les cibles déjà adoptées (!) par le gouvernement, soit les 37,5% ! La FTQ accueille favorablement le projet de loi et fait des recommandations pour le bonifier. La FTQ demande la présence du mouvement syndical au sein du comité consultatif, Elle propose que toute production d’énergie renouvelable soit faite sous l’égide d’Hydro-Québec. Dans l’ensemble, la FTQ insiste sur une transition juste et l’implication des travailleurs et des travailleuses à la transition. Elle dit compter sur le dialogue social pour organiser une transition juste.
Le SPGQ (comme de nombreux intervenant-e-s) a vu dans le projet de loi 44 un inutile brassage de structures s’est inquiété de l’abolition de Transition énergétique Québec qui était une structure de concertation ayant une certaine autonomie par rapport au gouvernement.
Des organisations environnementales auraient souhaité une véritable loi sur le climat
Certaines organisations environnementales auraient souhaité une véritable loi climat pouvant contraindre réellement le gouvernement à s’engager dans la lutte aux changements climatiques et à respecter ses engagements. Ces groupes espéraient que la loi fixe une cible de réduction de gaz à effet de serre (GES) conforme aux préconisations du GIEC, soit de 45 à 55% pour 2030 et la carboneutralité pour 2050. Une telle loi devrait obliger le gouvernement, les ministères et les sociétés d’État à atteindre les cibles ultimes et intermédiaires de réduction de GES et à rendre des comptes à la population sur une base régulière. Le projet de loi 44 demeure muet à cet égard. Une véritable loi climat établirait un budget carbone et instaurait l’obligation de tous les grands projets gouvernementaux ou privés et tous les projets de loi à un test climat les obligeant de tenir en compte les cibles fixées. Une véritable loi devrait prévoir la mise en place d’une campagne massive d’information et d’éducation de la population.
Devant la commission, le porte-parole du Pacte, Dominic Champagne, a supplié le ministre d’écouter le message de la science et de viser la cible avancée par le GIEC. Il a déploré l’inaction et le soutien à des projets qui favorisent les énergies fossiles. Il s’est questionné sur la volonté politique du gouvernement d’opérer une vraie lutte aux changements climatiques. Il a imploré le ministre d’en finir avec l’inaction. Il a fini par un appel à l’unité de tous, des entrepreneurs aux simples citoyen-ne-s en passant par le gouvernement pour s’engager dans ce vaste chantier. Un des rares discours à ne pas se centrer sur la gouvernance, à rappeler sérieusement l’urgence de la situation, mais incapables d’expliquer et de s’expliquer « l’inaction » des gouvernements.
Le Conseil national des jeunes ministres de l’Environnement de la Fondation Monique FitzBack a présenté un mémoire fort intéressant sur la nécessité d’atteindre les cibles préconisées par le GIEC, d’en finir avec l’exploitation et le transport d’hydrocarbures, et de faire des investissements pour l’électrification des transports collectifs et la promotion des transports actifs. Il a souligné la nécessité de s’orienter vers une décroissance. Plus intéressant encore, il a incité sur l’implication de la population et le développement d’une écocitoyenneté en favorisant une réforme du système d’éducation pour permettre une formation de la population aux défis posés par la crise environnementale. Il a insisté sur le contrôle citoyen sur la lutte aux changements climatiques et il a proposé que la moitié du comité consultatif soit formée par des représentant-e-s de la société civile et la formation d’une assemblée citoyenne ayant un pouvoir décisionnel et devant lequel le gouvernement devrait rendre compte annuellement de résultats auxquels la société est parvenue.
Une solution politique est incontournable et ne peut reposer que sur la mobilisation populaire
Les lois sont toujours le résultat d’un rapport de force. Une vraie loi climat ne peut pas être le résultat du parti politique défendant une orientation néolibérale (mode actuel de régulation du capitalisme) qui oppose l’intérêt d’une minorité possédante aux besoins de la majorité populaire et à la défense de la nature. Seules des luttes concrètes des exploitées et des opprimé-e-s pour défendre leurs conditions d’existence et leur environnement amènera des couches de plus en plus large de la population, à formuler des revendications et à mener des actions qui s’opposeront concrètement à la destruction de l’environnement provoquée par la logique capitaliste.
Au Québec, les revendications susceptibles de mobiliser et de fédérer les combats peuvent être rapidement esquissées pour créer une visée mobilisatraice :
- Généraliser et former à la nécessité des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre mises de l’avant par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, soit une réduction d’au moins 45% à 55% en 2030 et de 95% en 2050. Cibles à décliner pour des périodes précises et des secteurs spécifiques.
- Interdire par l’action tout développement gazier et pétrolier sur le territoire du Québec et lutter pour abolir tout soutien financier et réglementaire aux entreprises d’énergies fossiles par les gouvernements et favoriser le désinvestissement des institutions publiques (banques, universités, fonds de placement ...) des énergies fossiles ;
- Multiplier les initiatives pour favoriser le développement des transports en commun publics à tarifs réduits (sinon gratuits) en milieux urbains et interurbains à partir d’investissements publics et sous le contrôle citoyen.
- Garder le développement des nouvelles sources d’énergies renouvelables (électricité, éolienne et solaire) sous le contrôle public et démocratique et nationaliser les entreprises d’énergies renouvelables aujourd’hui sous contrôle du secteur privé.
- Soutenir le passage à une agriculture vivrière, locale et répondant prioritairement aux besoins de la population du Québec (sécurité alimentaire)
- Développer le contrôle de la majorité populaire sur toutes les initiatives liées aux changements climatiques à partir de la création d’organisations citoyennes dans ces différents secteurs afin d’élargir le contrôle populaire sur les initiatives menées sur ces différents axes de lutte...
C’est dans la mesure où les initiatives de luttes se seront multipliées sur ces différents axes et qu’un tissu d’organisations environnementales sur ces enjeux auront été créés dans la population qu’une alternative politique pourra s’imposer, gagner un soutien majoritaire et sera capable d’adopter des lois exprimant cette volonté de défendre notre environnement et d’assurer notre avenir.
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