Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

Une solidarité féministe à géométrie variable

Promouvoir la paix sociale, avec un regard de guerrière, qui sourit à pleine dent dans l’arène, fière de quelques applaudissements de foule, voilà tout un défi pour la solidarité féministe. Le contraste entre une Djemila Benhabib et une Dalila Awada sereine et argumentée, malgré le stress que suscite une émission comme Tout le monde en parle, était d’autant plus frappant.

L’auteure est militante féministe et souverainiste.

Comme candidate non élue du Parti québécois, madame Benhabib parle maintenant de la volonté du peuple québécois comme si elle en était l’incarnation. Elle transpose une croisade européenne au Québec, en décontextualisant la lutte des Québécoises pour l’égalité et en implorant un universalisme féministe européen et élitiste. On aura beau lui signifier que le Québec n’est pas la France, ceux qui l’instrumentalisent pour la cause s’en gardent bien de le lui rappeler.

Madame Benhabib qui, il y a encore quelques mois, exprimait ses craintes d’une auto proclamation des valeurs québécoises au détriment du véritable enjeu de la laïcité, ne semble avoir aucune difficulté aujourd’hui à défendre le « choix d’un peuple » de décider de son vivre ensemble.

En outre, elle n’hésite pas à accuser les femmes voilées d’individualistes refusant tout compromis pour assurer une neutralité de l’État et assurer une cohésion sociale. Aussi subjective et discriminatoire que soient les propositions deux et trois, de cette Charte, pas plus neutre que l’attitude de madame Benhabib, cette dernière continue de croire avec une ferveur digne de la religion que l’on devrait plutôt retrouver chez ses adversaires, qu’elle est la détentrice de l’unique, seule et vraie histoire du peuple Québécois, tout comme ses principaux garants qui veulent maintenir le crucifix à l’Assemblée nationale, où disons, pour être dans le même langage, conserver le patrimoine culturel.

Micheline Dumont, une historienne québécoise bien contemporaine, a rappelé à celles qui veulent bien se départir de leur mépris pour la religion pendant quelques instants que la lutte des féministes québécoises loge également dans le combat à la discrimination systémique des femmes. Les femmes immigrantes et ostracisées mènent un combat collectif depuis de nombreuses années pour obtenir des emplois au sein de l’État québécois. Or, n’en déplaise aux tenantes du modèle républicain, qui s’époumonent à nous faire croire que l’on peut diviser des identités en îlots et en laisser quelques-unes au placard de neuf à cinq, cette neutralité à la française, toujours d’actualité, mais réfléchie au siècle dernier dans un tout autre contexte de politique mondiale, n’est autre chose qu’une forme de discrimination systémique. Doit-on oser constater qu’en revendiquant la solidarité féministe, au nom d’un modèle laïc qui pourrait s’articuler d’une façon tout à fait censée s’il était replacé dans son réel contexte, cette solidarité féministe n’est valide que par le biais de l’exclusion ? Pour des féministes qui rejettent les fondements du patriarcat des systèmes religieux, politique, économique et voir même juridique, ne peuvent-elles pas soupçonner que ce même modèle de laïcité puisse être tout aussi patriarcal ?

Djemila Benhabib et ses acolytes de PDF (Pour le droit des femmes), devraient plutôt se demander, où sont les valeurs québécoises d’égalité homme-femme du gouvernement québécois, et ce quel que soit le parti au pouvoir, lorsque les femmes autochtones marchent pour dénoncer leur exploitation et leur exclusion ? Où sont-elles, ces valeurs, lorsque la Fédération des femmes du Québec se préoccupe du sort des femmes immigrantes et ostracisées pour une représentation juste et équitable en emploi ? Où sont-elles, ces valeurs québécoises, quand les femmes autochtones et immigrantes demandent sans cesse d’être incluses dans des discussions politiques féministes qui les concernent ?

Ces tenantes d’un droit de la femme universalisé s’évertuent aujourd’hui, sous les applaudissements de « la même majorité silencieuse » qui a condamné les carrés rouges au printemps dernier, à condamner des femmes au chômage. Pourront-elles compter sur cette même majorité, pour mener une campagne qui interdira aussi des propos quotidiens antiféministes sur les ondes de Radio X ? Quand on se considère comme des alliées de la condition des femmes, ce sont toutes les femmes que l’on défend, peu importe ce qu’elles portent sur leur tête ou autour du cou.

La paix sociale au Québec, mérite certainement que l’on s’attarde sur les balises d’« accommodements », sur la gestion de la diversité et sur la sécularisation de l’État. Quant au patriarcat et au prosélytisme, ces « obstructeurs » d’égalité, sachez qu’ils sont sans visage, sans barbe et surtout sans voile. Cela fait un bail au Québec, que les intégristes n’ont plus besoin de symboles pour s’infiltrer dans nos vies. Ils sont partout : à la radio, dans le métro, à la télévision, dans la mode. Ils viennent même frapper chez nous le dimanche.

Rosa Pires

Militante féministe et souverainiste, Québec.

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