Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Une grosse prise pour le 1 %

Depuis 1976, l’élite canadienne et québécoise a été d’abord et avant tout préoccupée par le projet réformiste à la fois social et national qu’a incarné le PQ. Tous les efforts nécessaires ont été consentis pour vaincre ce projet. Tous les moyens, légaux et illégaux, ont été utilisés et finalement, on peut dire que cette stratégie des dominants l’a emporté. Avec cette élection de 2014, c’est un couronnement. Le PQ est défait stratégiquement. Avant de faire le diagnostic de cette défaite, il est important de comprendre le sens et la profondeur de la victoire du 1 %.

La victoire de l’élite

À part une petite minorité de l’élite québécoise qui a entendu l’appel de Jacques Parizeau, la grande majorité du 1 % québécois est toujours restée solidement dans le camp anti-PQ. Il y a des raisons à cela. Cette bourgeoisie québécoise est une bourgeoisie provinciale, subalterne. Elle existe à l’ombre de la bourgeoisie canadienne et de l’État fédéral où se prennent les grandes décisions concernant la configuration des forces. Le capitalisme canadien, bien ancré sur le capitalisme états-unien, ne peut tolérer un changement fondamental dans une structure politique qui assure depuis la défaite des Patriotes de 1837-38 la reproduction du capital et de sa domination sur un système politique profondément anti-démocratique. Derrière le PLQ se place donc ce 1%, tel le « clan Desmarais » dont l’« illustre » représentant dans le cénacle est Daniel Johnson qui n’est pas par hasard le président du parti. Au-delà des divergences tactiques avec les grands partis fédéraux, notamment le PLC qui a longtemps dominé l’État canadien, le PLQ a été et demeure le parti du statu quo capitaliste et fédéraliste. Philippe Couillard lui-même, avec ses connections au plus haut sommet de l’État canadien (dont le plus important appareil de sécurité, le SCRS), est un homme de confiance à toute épreuve pour le 1 %. Aujourd’hui, l’establishment canadien est unanime à manifester son contentement. Le grand projet de « restructuration » du capitalisme canadien, autour de la consolidation d’un axe « Toronto-Calgary » peut se poursuivre en paix. Peu à peu, l’économie du Québec sera érodée et subalternisée, un processus qui est déjà bien engagé (voir l’étude de l’IRIS, « Les politiques industrielles au Québec et au Canada »). La droite va en profiter pour accélérer la chasse aux syndicats dans une spirale qui, espère-t-elle, fera tomber les acquis arrachés par des décennies de luttes.

La victoire des pourris

Mais la politique, les socialistes ont longtemps eu de la difficulté à comprendre cela, n’est pas seulement une affaire de classes sociales. C’est un espace qui a sa dynamique et son espace de pouvoir propre. Très souvent, les acteurs du politique ne viennent pas directement des hauteurs de la bourgeoisie. Ce qui explique sans doute la proéminence des avocats, médecins, journalistes, « spécialistes en communication », bref des gens pour qui la politique est une « bonne affaire » ou au moins un gagne-pain. Pour des partis de droite comme le PLQ, beaucoup de gens ne sont pas tellement motivés par l’idéologie, mais tout simplement par le désir de s’en mettre dans les poches sans beaucoup d’efforts. Avant la révolution tranquille, ces voyous étaient l’épine dorsale de l’Union nationale. Après le départ de ses éléments réformistes dont René Lévesque, le PLQ est devenu une sombre machine alignée sur d’autres sombres machines, notamment au niveau municipal. En se cachant derrière la « gouvernance », de véritables machines à sous ont été mises en place et elles sont presque toutes imbriquées dans le PLQ, notamment sous l’habile gouverne de "king pins" comme Jean-Marc Fournier et Pierre Moreau (dont les noms vont refaire surface prochainement à la Commission Charbonneau). Cela ne veut pas dire que tous les joueurs-clés du PLQ sont des voleurs. Ceux qui ne sont pas voleurs sont souvent des conservateurs sur le plan économique, des gens qu’on retrouverait normalement avec Stephen Harper s’ils étaient à Ottawa (tels Carlos Leitao et Jacques Daoust). Même s’ils ne sont pas des gens qui se font prendre avec la main dans le sac de biscuits, ces hommes (et quelques femmes) de droite savent très bien que c’est le système qui génère la corruption. Comme Couillard qui a placé ses argents dans des paradis fiscaux, ils savent qu’une gigantesque fraude est organisée contre le 99 %, 24 heures sur 24, de par les lois pourries qui sont celles du capitalisme mondialisé. Pour tous ces gens, voler les gens, c’est normal. C’est la punition normale pour le monde ordinaire. Et pour eux, l’accès au pouvoir permet de continuer dans la « bonne vie », de vivre avec des privilèges qui viennent de la multiplication des p’tits amis qu’on rencontre lorsqu’on est dans un gouvernement. Un jour quand ils auront terminé leur carrière de menteur, ils seront une deuxième fois récompensés comme Jean Charest et ses comparses dans de riches cabinets d’avocats et conseils d’administration dont le mandat est de maintenir le système pourri. En Afrique, on appelle cela par dérision la politique du ventre. Ici on peut appeler cela la politique des enveloppes brunes.

La victoire de la peur

Encore là, la domination des élites et les manigances des pourris ne suffisent pas à assurer la victoire. Il faut une base populaire et partout la droite utilise le même chemin qui est celui de la peur. Une partie importante des couches populaires et moyennes est manipulable. Elle vit dans une insécurité permanente qui découle des pratiques de prédation capitalistes dont elle est la victime. La peur est un excellent moyen de détourner l’attention. Cette peur, le PLQ l’entretient habilement au sein des populations non-francophones, ou encore via des réseaux clientélistes qu’on voit étendre leurs tentacules chez les plus vulnérables, les personnes âgées, les immigrant-es, ainsi que des populations dans des régions frontalières. Une « clientèle » ciblée ces derniers temps est ce qu’on pourrait appeler une classe moyenne « descendante », qui peine de plus en plus à rejoindre les deux bouts, qui est confinée dans les bas échelons de l’entrepreneuriat privé, qui est obligée d’être confinée dans les banlieues et de passer deux heures par jour dans les embouteillages, et qu’on essaie de convaincre que le salut est de tirer tout le monde vers le bas (pas de syndicat, pas de pension, pas de bénéfices, pas de droits sinon celui de faire du business). Cela fait beaucoup de gens désarçonnés, perdus entre un rêve « américain » qui s’estompe et une propagande martelée tous les jours à l’effet que les responsables de leur déclin, ce n’est pas Wall Street ou Walmart, mais les syndicats et les immigrants. Dans cette immense bataille des idées, les médias sont l’arme de destruction la plus efficace. Il y a les médias-poubelles, à commencer par le réseau Quebecor, énormément puissant, énormément réactionnaire. Mais il y a aussi les médias « tout court » et leur armée d’experts, profs d’université ou non, qui disent toujours la même chose : « vous du 1 %, vous n’êtes rien »… Avec cela, l’élite peut manipuler allègrement la scène électorale. Le PLQ pour sa part dispose d’un bloc électoral de 20-25 % de la population, qui est pratiquement inaltérable, et qui est motivé par une peur qui devient souvent une véritable haine, comme on le constate par la violence verbale des médias-poubelles. Ce qui fait que pour gagner les élections, il ne faut qu’un petit effort supplémentaire.

L’heure de la vengeance

On l’a vu au Québec, le 1 % a été déjoué à plusieurs reprises. Maintenant qu’une victoire stratégique a été gagnée, il est à peu près certain que l’élite va tenter de changer les choses. Depuis le referendum volé de 1995, plusieurs tentatives ont été effectuées pour « restructurer » le Québec au service du projet capitaliste et fédéraliste. Sous Charest, cela a passé proche, mais la résistance populaire, de même que l’avidité du secteur voyou du PLQ, ont fait déraper le projet « révolutionnaire » de droite. Malheureusement pour elle, l’élite a dû oublier temporairement son rêve de démanteler les institutions et les régulations de la révolution tranquille. Mais aujourd’hui, l’agenda se présente différemment même si le secteur « voyou » du PLQ reste très fort, non seulement avec les p’tits amis du régime Charest, mais avec la nouvelle garde » de millionnaires comme le bon docteur Barrette qui va certainement essayer de monter bien des manigances au profit de ses copains à $250 000 dollars et +.

Quels sont les « grands » projets de cette droite ? Il faut affaiblir de manière très significative les outils mis en place et contrôlés par l’État québécois, dont la Caisse de dépôts et de placements (détestée unanimement par le noyau dur du capitalisme financier canadien) et Hydro-Québec, notamment. Cela inclut non seulement de réduire le secteur public par des privatisations en douce, mais d’éroder les conditions de travail, notamment les pensions. Il faut augmenter les taxes et frais, sous prétexte du « déficit », ce qui veut dire, en clair, satisfaire aux demandes des banques et du 1 %. Cela inclut aussi de « remettre à leur place » des syndicats qui regroupent encore près de 40 % des travailleurs et des travailleuses. Tout cela en passant, le PQ avait le même programme, fondamentalement, mais avec le PLQ, cela devient une stratégie, une véritable guerre » économique qu’il faut gagner contre le peuple et même contre le pays.

En parallèle, le PLQ est condamné à miner la culture québécoise et la langue française, qui servent de ciment à une population qui sait se défendre. Il va le faire en ne faisant rien justement, en laissant les choses aller « naturellement », dans le contexte d’un État canadien qui ridiculise à chaque jour ses fausses prétentions de bilinguisme et de « reconnaissance » de la nation.

Tout cela et bien d’autres choses encore, vont revenir sur la table dans les prochains 4 ans. Derrière son allure de brillant médecin, Couillard va travailler fort à rétablir ce rapport de forces qui a été menacé par des années de luttes sociales et politiques. Il jouera sur tous les registres, celui de l’élite, celui des pourris, celui de la peur, en misant sur le fait d’une opposition à peu près totalement disloquée.

Sera-t-il capable de procéder à la « réingénierie » qui est exigée par le 1 % ? Ça dépend de nous …

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