Trump : les habits neufs du néolibéralisme
La politique de Trump constitue‐t‐elle une rupture avec la dynamique qu’a prise le système capitaliste ces dernières décennies ? La rhétorique du « Make America Great Again » et le discours protectionniste qui en résulte sont‐ils en porte‐à‐faux avec la mondialisation néolibérale ? Non, ils demeurent en continuité avec ses objectifs fondamentaux. Aussi iconoclaste et imprévisible qu’il puisse être, Donald Trump partage totalement les préoccupations prédatrices des politiques néolibérales.
Le nationalisme de Donald Trump est en tout point conforme avec la nature impérialiste du capitalisme américain. Toutefois, son protectionnisme exprime ouvertement les contradictions des puissances économiques et du système qu’elles soutiennent. Paradoxalement, son nationalisme témoigne du déclin certain des États‐Unis comme force hégémonique dans le monde. Et dans ce processus au temps long, il est accompagné d’une forte instabilité économique, politique et sociale un peu partout sur la planète.
En confortant les droites extrêmes et les faucons des différentes classes politiques, le président américain accentue les hostilités dans le monde. Rien n’indique un recul de l’état de guerre permanente que certaines populations de la planète subissent. Pensons à la Syrie, à certains pays d’Afrique, au Mexique, à l’Indonésie, aux Philippines ; dans tous ces pays, les populations sont plongées dans des drames sociaux inouïs. Tout dans la politique de Donald Trump nourrit la polarisation et les conflits.
Si on doit s’attendre à des corrections des politiques actuelles du gouvernement américain, les objectifs demeurent les mêmes. Pour les élites politiques et économiques de la planète. Il ne s’agit pas de renoncer aux politiques néolibérales d’austérité, de dérèglementation et de libéralisation. Au contraire, tout indique une continuité certaine dans la concentration de plus de richesses entre les mains du 1 %.
Québec et Canada, toujours dans la même direction
Au Québec et au Canada, les libéraux au pouvoir restent toujours aussi attachés aux principes du néolibéralisme qui continuent à guider leurs actions. Les sourires de Justin Trudeau cachent une réelle soumission à la puissance financière de Bay Street. Son discours récurrent sur la classe moyenne, qu’il faudrait « renforcer » selon lui, cache des choix politiques qui feront le contraire :
négocier toujours plus d’accord de libre‐échange, financer les investissements publics par de l’argent en provenance du privé — y compris celui d’investisseurs étrangers, soutenir la construction d’oléoducs qui permettront d’exploiter d’avantage le pétrole archi polluant des sables bitumineux, accorder des faveurs fiscales à une entreprise comme Netflix.
Au Québec, les partis politiques se préparent pour les élections de 2018. Rien de bon ne s’annonce. Le Parti libéral, le PQ et la CAQ s’embourbent dans les questions identitaires pour se gagner des votes dans les couronnes de Montréal et Québec. Le débat a aussi l’inconvénient de détourner l’attention des enjeux économiques et sociaux. Pourtant, la hausse des inégalités et la dégradation de la qualité de vie créent des frustrations qui amènent et de nouvelles justifications fallacieuses à l’intolérance.
Le Parti libéral a accumulé un indécent surplus budgétaire de à 4,5 milliards $ en 2017 à même de cruelles mesures d’austérité qui touchent principalement les plus pauvres et ont affecté en profondeur le bon fonctionnement des services publics. Comme le mentionne la Coalition Main rouge dans sa dernière campagne, il s’agit « d’un des surplus les plus importants de l’histoire du Québec, réalisé au détriment de la majorité de la population et au prix de l’affaiblissement de son filet social ».
Ainsi, en vue des prochaines élections au Québec, le gouvernement de Philippe Couillard annonce des réinvestissements. En fait, il ne remet qu’une partie des sommes récupérées, dans des programmes qui sont aussi critiquables et qui ne permettent pas de corriger les dommages encourus par la vague de coupes précédentes. Il laisse surtout entendre qu’il se servira de ces surplus pour annoncer de nouvelles baisses d’impôt, une promesse séduisante pour de nombreuses personnes, mais dangereusement démagogique puisque en conséquence, le budget de l’État devra être réduit, ce qui entrainera un nouveau cycle de compressions.
La montée en popularité de la CAQ est tout aussi inquiétante. Ce parti est entièrement dévoué à l’entreprise privée. Son chef, François Legault a même osé dire qu’un gouvernement ne doit jamais intervenir dans le plan d’affaires d’une entreprise. Son projet ultralibéral est quasiment le même que celui du parti de Philippe Couillard.
Les paradis fiscaux
Tout a très bien démarré cette année en ce qui concerne la lutte contre les paradis fiscaux. Tant le gouvernement provincial que fédéral se sont montrés préoccupés par ce problème. Il semblait évident que les scandales réliés à l’évasion fiscale, comme celui des Panama Papers, de même que l’action de plusieurs militantes, militantes et associations préoccupé.e.s par cette question ont forcé les gouvernements à réagir. Le parlement canadien, après avoir rejeté une motion du Bloc québécois remettant en cause l’entente sur la double imposition négociée avec la Barbade, a voté en faveur d’une motion du NPD proposant de s’attaquer aux sociétés fictives et de renégocier les conventions fiscales avec les paradis fiscaux. Le gouvernement du Québec a été encore plus audacieux : il a adopté à l’unanimité un rapport de la Commission des finances, Le phénomène du recours aux paradis fiscaux, observations, conclusions et recommandations, dans lequel on propose 38 recommandations pour combattre les paradis fiscaux. Ces recommandations solides et
efficaces, si elles étaient appliquées, feraient du Québec un modèle à suivre dans la lutte contre les fuites fiscales.
Malheureusement, il fallait compter sur la force d’inertie de nos gouvernements. Depuis, rien n’a bougé, sinon dans la mauvaise direction, puisque le Canada a osé signer une autre de ces conventions avec un paradis fiscal, les Îles Cook, favorisant une fois de plus l’évitement fiscal. Il est d’ailleurs dans nos intentions de continuer notre lutte en faisant pression sur les élus libéraux du Québec et du Canada afin qu’ils mettent en place des mesures auxquelles ils ont pourtant donné leur accord. La journée internationale de mobilisation sur les paradis fiscaux, initiée pour la première fois l’an dernier, nous offrira bonne occasion de maintenir la pression.
Les questions de fiscalité ont occupé cette année une grande place dans les médias. Le grand privilège accordé à la multinationale Netflix de ne pas charger de taxe à ses clients a soulevé à juste titre une grande indignation au Québec. La réforme fiscale pour les petites entreprises du ministre Bill Morneau est quant à elle un pas dans la bonne direction, puisqu’elle vise à mettre fin à des manipulations souvent discutables, et à aller chercher des revenus dont nous avons grandement besoin. Cependant, elle tombe plutôt mal, alors qu’on ne fait rien contre les privilèges des grandes entreprises qui profitent toujours autant des paradis fiscaux et qu’on exonère de taxe une grande multinationale étrangère. Nous sommes donc encore bien loin du régime fiscalement équitable auquel nous aspirons.
Les accords commerciaux
Tout au long de la dernière année, ATTAC‐Québec s’est mobilisée contre l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre l’Europe et le Canada et le Partenariat transpacifique (PTP), avec le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC). Bien qu’il existe toujours la possibilité que l’AÉCG ne soit pas ratifié, les préoccupations des législations européennes se concentrent plus sur l’avenir de l’Europe elle‐même, après l’adoption du BREXIT au Royaume‐Uni. En ce qui concerne l’opposition de la Wallonie, tout repose sur le traitement que pourrait faire la Communauté européenne du mécanisme de résolution des différends entre entreprise et état.
Par ailleurs, le retrait de l’administration américaine des discussions sur le Partenariat transpacifique (PTP) a constitué un désaveu du mouvement de libéralisation envisagé par cet accord. Toutefois, on doit reconnaître que nous ne sommes pas dans la même conjoncture qu’à l’époque de la Zone de libre‐échange des Amériques (ZLÉA) et que ceci ne résulte pas de la mobilisation des mouvements sociaux, bien que ceux‐ci aient tout de même grandement contribué à révéler la nocivité de ces accords. Par ailleurs, la volonté de l’administration américaine de recycler plusieurs dispositions parmi les plus néfastes pour les inscrire dans l’ALÉNA témoigne de son adhésion aux principes fondamentaux et aux prescriptions des politiques néolibérales.
Quant à l’ALÉNA, on peut le situer actuellement à mi‐chemin entre l’AÉCG et le PTP. D’une part, il existe chez les négociateurs une forte volonté de protéger les mesures de dérèglementation et de libéralisation au bénéfice des intérêts des grandes corporations. D’autre part, il semble de plus en plus évident que conclure un tel accord tripartite se transforme en mission impossible.
L’administration américaine veut faire le maximum de gains sans réelle contrepartie, même sur des aspects qui ont peu de conséquences, alors que le gouvernement Trudeau propose des chapitres sur les droits du travail, des autochtones ou de l’environnement qui n’ont rien pour plaire aux négociateurs étatsuniens.
L’approche canadienne s’inspire explicitement de l’AÉCG, présenté comme une version « progressiste » du libre‐échange. L’AÉCG comprend différentes annexes sur le travail et l’environnement, qui n’ont cependant aucune portée juridique.
Par ailleurs, le gouvernement Trudeau est parmi les plus zélés pour faire la promotion des accords commerciaux : il multiplie les consultations sur différents projets, que ce soit avec la Chine, ou avec les pays autres que les Etats‐Unis ayant signé le PTP. La défense que fait le gouvernement Trudeau de tels accords est l’expression d’un choix historique des classes politiques dominantes au Canada qui ne change toujours pas, malgré une vive opposition au libre‐échange ici et dans de nombreux pays.
Un éventuel échec des discussions de l’ALÉNA sera certainement récupéré par l’administration américaine qui n’a de cesse de dénoncer plusieurs des problèmes identifiés par le RQIC dans un mémoire écrit à ce sujet. Si notre opposition aux accords commerciaux reprend certains points des critiques des États‐Unis, il est essentiel de se démarquer des positions de Donald Trump, qui vise finalement à s’attirer des votes parmi les classes populaires par une forte condamnation de l’ALÉNA.
Indépendamment du sort des négociations, il importe à la fois de rejeter l’ALÉNA et de proposer une nouvelle approche commerciale, comme le définit la Déclaration politique de la société civile nord‐américaine de mai 2017. Elle présente des demandes qui permettraient de définir un nouvel accord économique et commercial centré sur les droits sociaux, les droits du travail, le respect de l’environnement, la transparence des discussions et sur la solidarité entre les peuples, les travailleurs et les travailleuses.
La relance des mobilisations anti‐systémiques
Par contre, la conjoncture en regard des mouvements sociaux indique une volonté certaine de maintenir la résistance et de relancer les mobilisations. La tenue de l’Université européenne des mouvements sociaux, en France cette année, a connu un succès important sur le plan de la participation. La mobilisation se poursuit également en Allemagne à l’occasion de la tenue de la 23e conférence des parties sur l’environnement (COP 23).
La tenue des FSM devient quant à elle plus laborieuse dans le contexte international et étant donné les exigences organisationnelles élevées d’un tel événement, dans des conditions financières toujours difficiles, comme en a témoigné le premier FSM dans l’hémisphère nord à Montréal en 2016. Mais le mouvement continue de se développer. Le prochain FSM aura lieu à Bahia au Brésil en mars 2018. Toutefois, le débat se poursuit sur la manière de relancer ces forums et celui de Bahia sera aussi une nouvelle étape dans une longue marche allant en ce sens.
Parallèlement, le mouvement altermondialiste s’est donné rendez‐vous à Buenos Aires en décembre prochain à l’occasion de la onzième rencontre ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), afin de réaffirmer son opposition à une mondialisation profondément inégalitaire. Il se réunira aussi à Montevideo sur le thème de Pour la démocratie, contre le néolibéralisme, qui sera l’occasion de la tenue de journées continentales d’actions et qui coïncidera avec l’activité de sensibilisation que nous tiendrons sur les paradis fiscaux.
L’ensemble de cette conjoncture qui implique les mouvements sociaux en particulier, traduit une volonté certaine de reprendre l’initiative et de relancer les mobilisations anti‐systémiques en tenant compte du nouveau contexte international. Dans cette perspective, le sommet des chefs d’État des sept pays du G7, qui doit se tenir à La Malbaie dans la région de Charlevoix, du 8 au 9 juin 2018, nous offre une occasion de contribuer à ce mouvement.
ATTAC ne peut toutefois s’engager seul dans la tenue d’un tel rendez‐vous de la société civile. Un tel projet ne peut se tenir qu’en alliance avec d’autres réseaux et composantes du mouvement social. Il s’agit d’une condition essentielle au succès d’une telle démarche.
En guise de conclusion
La victoire de Donald Trump ne marque pas la fin du néolibéralisme, mais bien un forme de renouvellement marqué par l’accroissement de la concurrence et des tensions dans le monde. Toutefois, l’opposition aussi se renforce et a trouvé un relai politique très significatif dans de grandes puissances occidentales : aux États‐Unis avec Bernie Sanders, en France avec Jean‐Luc Mélanchon et Benoît Hamon, en Grande‐Bretagne avec Jeremy Corbin, en Espagne avec le parti Podemos. Et malgré les difficultés qui nous attendent, sûrement ne faut‐il pas oublier de fêter nos victoires : l’élimination du projet d’oléoduc Énergie Est ; la fin du PTP et la remise en cause de l’ALÉNA ; les résolutions adoptées par nos gouvernements contre les paradis fiscaux ; et surtout l’existence d’un mouvement social avec une tâche titanesque devant lui, mais toujours actif et qui refuse comme toujours de se taire.
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