Le gouvernement veut interdire, mais les gens iront voter
Comme la situation change chaque semaine, vous devez commencer par vous rappeler ce qui est arrivé après le 14 octobre, le jour où Artur Mas [président de la Généralité de Catalogne depuis le 27 décembre 2010 et ayant remplacé l’historique et corrompu Jordi Pujol à la tête de la Convergència i Unió, coalition des partis du centre-droit] lors de la convocation de la première consultation [1].
Mas fit la proposition d’un nouveau 9N très décaféiné : non fondé sur une loi adoptée par le Parlement, mais sur « les mécanismes juridiques existants » qui ne sont pas divulgués afin d’empêcher une nouvelle suspension par la Cour constitutionnelle ; consultation pas contrôlée par des fonctionnaires de la Generalitat, mais par des bénévoles ; sans l’existence préalable d’un recensement, mais avec des documents d’identité présentés au moment même du vote ; avec moins de bureaux de vote et sans qu’ils soient communiqués à l’avance, leur localisation devant être recherchée à partir de l’Internet ; etc.
La conséquence immédiate de cette nouvelle rentrée dans le jeu de la part de Mas fut de briser l’unité du bloc favorable à la requête (CiU, ERC, ICV, EUiA, CUP) [2]. Joan Herrera [juriste et secrétaire de Iniciativa per Catalunya Verds ICV] a même annoncé que, dans ces conditions, il n’irait pas voter. Toutefois, les évolutions ayant trait à la situation, comme les autres fois, restent en suspens. En particulier, la réaction du mouvement et celle de la concentration du Congrès national catalan (ANC) ainsi que d’Omnium Cultural [association qui depuis des décennies agit pour promouvoir la langue et la culture catalanes et « pour la liberté de la Catalogne »] qui avaient convoqué, le 19 octobre 2014, la grande manifestation sur la Plaza de Catalunya.
Ce jour-là, une foule conflua sur la place. Et à cette occasion il a été précisé, sans équivoque, que la nouvelle requête de Mas ne correspondait pas au référendum voulu, ni à celui qui avait été annoncé. Mais, de la sorte, on demandait aux partis politiques de reprendre les négociations afin de retrouver l’unité désirée, avec l’objectif que le référendum soit aussi proche que possible du premier, celui convoqué pour le 27 septembre et retiré ensuite par Mas. Il fut affirmé que cette fois il ne pourrait, en aucun cas, y avoir une reculade : « Le 9 novembre on votera et nous allons défier l’Etat inadéquat » [Muriel Casals, professeure émérite d’économie de l’UAB – Université autonome de Barcelone – et présidente d’Omnium central] ; « nous voulons toujours ce référendum et nous allons transformer le 9N en une mobilisation pour dénoncer l’involution démocratique de l’Etat espagnol » [Carme Forcadell, linguiste, présidente de l’Assemblée Nationale Catalane].
Il a également été demandé de convoquer des élections plébiscitaires qui se tiendraient dans les trois mois après le 9N. Les dizaines de milliers de personnes qui remplissaient la place ont scandé : « Unité ! ». Le sens de ce slogan ne consistait pas à exiger une unité à tout prix, mais de ne pas reculer face à une possible nouvelle interdiction de la Cour constitutionnelle. Après la manifestation du 19 octobre, Artur Mas a été contraint d’accepter le mandat portant sur l’organisation du 9N, s’il ne voulait pas courir le risque, très grand, de devenir un cadavre politique. Et les partis politiques favorables au 9N – donc au droit de décider – devraient mettre de côté leur colère justifiée face aux manœuvres de Mas et essayer de reconstruire l’unité de la nouvelle figure qu’avait le 9N. Dès lors, le 9N ne pouvait plus être seulement le jour d’une consultation promise afin de disposer du point de vue des personnes de la Catalogne concernant l’indépendance. Le 9N devait devenir un jour très important de mobilisation et d’expression de la volonté d’exercer le droit de décider.
L’unité autour du nouveau 9N a pu être établie, stabilisée, suite à la réunion du Pacte Nacional pel Dret a Decidir (PNDD), qui a approuvé les grandes lignes de l’orientation proposée par l’ANC et Omnium sur la Plaza de Catalunya.
Pour réaliser l’ampleur du soutien existant, il suffit de rappeler, de manière succincte, les faits suivants : 96% des municipalités, plus de 3000 entités regroupées dans le PNDD, les syndicats (CCOO et UGT, entre autres), les employeurs, les PME, 4000 firmes du troisième secteur, 12’500 les clubs sportifs, les ONG, AMPAS regroupant 500’000 familles, etc.
L’unité vise à faire du nouveau 9N une journée de mobilisation, qui soit expression de la volonté démocratique du peuple de Catalogne et une dénonciation de l’involution démocratique de l’Etat espagnol. Mais, plus important, après le 19 octobre, fut que l’ANC, dans le cadre de son slogan « Maintenant c’est l’heure », accélère la sensibilisation et à la mobilisation de la société civile catalane afin d’assurer une forte participation au 9N, quels que soient les deux scénarios.
Le gouvernement veut interdire 9N
Après l’euphorie initiale – constatant que Mas reculait face à l’exigence d’une consultation populaire – le gouvernement Rajoy a semblé opter pour ridiculiser et enlever de son importance au 9N. Toutefois, suite la manifestation sur Plaza de Catalunya et la réunion du PNDD, il est devenu clair que le 9N était important, très important. Et Rajoy a décidé de l’attaquer. Le 30 octobre, la Commission permanente du Conseil d’Etat a donné satisfaction aux souhaits du gouvernement. Et elle a décidé à l’unanimité que la nouvelle 9N avait les mêmes éléments de non-constitutionnalité que l’ancienne proposition référendaire. Avec cet avenant, le 31 octobre, le Conseil des ministres a décidé de demander à la Cour constitutionnelle de suspendre « tout acte de la préparation de la consultation,ceux ont déjà été réalisés et ceux destiné à être exécutés ». Autrement dit, ils arrêtent tout, quoi que ce soit, sans exception, afin d’éviter que Mas puisse trouver de nouveaux subterfuges juridiques
Nous ne savons pas ce que la Cour constitutionnelle décidera lors de sa réunion en début de semaine prochaine [après le 3 novembre 2014], mais l’opinion générale est qu’elle se conformera à l’exigence du gouvernement et suspendra à nouveau provisoirement le 9N.
Mais cette fois, il est peu probable, mais pas impossible, que se répète la comédie de l’histoire et que Mas recule à nouveau. Cette fois le coût politique serait beaucoup plus élevé. Jusqu’à présent, le président a déclaré qu’il ferait appel de la suspension et a déjà appelé à voter le 9N.
Avec la décision de contester la nouvelle requête, le gouvernement Rajoy vise de plus en plus à convaincre les gens que si vous voulez exercer le droit de décider, il est inévitable d’opérer une rupture avec la loi. Il n’y a pas de subterfuge juridique qui tienne : ou capituler ou désobéir.
Mais les gens iront voter
Le même jour, 30 octobre, l’ANC et Omnium ont fait la clarté : « Quoi qu’il arrive, nous voulons voter. Nous voulons des files d’attente devant les bureaux de vote pour faire valoir notre droit à nous exprimer. Nous voulons que ce soit une dénonciation de cet Etat oppressif. » Ce ne sont pas que des mots. La machine est déjà en place dans tous les coins du pays, même si l’essentiel de l’effort va tomber sur l’ANC, tous les partisans du droit à décider vont se serrer les coudes. Parmi les principales activités il y aura : un marathon d’appels téléphoniques pour encourager le vote ; une distribution dans les boîtes aux lettres afin d’atteindre 70% des ménages, la publication d’un demi-million de brochures, et enfin la grande assemblée centrale, le 7 novembre, avenue Maria Cristina à Barcelone, à partir de 20 heures.
Le 9N, deux choses peuvent se produire. Si la Cour constitutionnelle a la sagesse, improbable, de ne pas accepter la proposition du gouvernement Rajoy, ce dernier sera discrédité. S’accumuleront d’autres éléments d’une crise, et des millions de personnes vont aller tranquillement et paisiblement voter. Ce qui donnera une majorité confortable au Oui-Oui et une petite minorité au Non-Non, parce que les partisans de cette option (PP et Ciutadans : une plateforme d’intellectuels opposés au nationalisme catalan) appellent au boycott, donc à ne pas voter.
Si la Cour constitutionnelle se conforme au pronostic le plus probable, et ainsi suspend la nouvelle exigence de référendum, des centaines de milliers de personnes vont également se rendre aux urnes pour tenter de voter, dès neuf heures du matin. Elles vont y rester paisiblement et essayeront de montrer au monde – au moyen de photos, de vidéos, de messages et de tous les types de médias – que l’Etat espagnol réprime la liberté et la démocratie. La mobilisation sera massive parce que l’interdiction va augmenter l’indignation ; et cela pas seulement contre le gouvernement, mais aussi contre la Constitution et ceux qui approuvent l’interdiction, y compris PSOE (Pari socialiste ouvrier espagnol).
Le 9N sera une date décisive qui va marquer la situation politique en Catalogne et peut-être dans tout l’Etat espagnol. Y aura-t-il des élections anticipées en Catalogne ? Qu’elles aient lieu et sous quelle forme, cela dépendra également du 9 novembre.