Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Guerre et révolution en Ukraine

Une Ukraine en guerre s'apprête à reprendre le chemin des urnes

C’est une Ukraine en guerre et en profonde récession qui s’apprête à voter, cinq mois après l’élection du président Porochenko. Cette fois-ci, il s’agit d’élire l’assemblée nationale, dont la composition actuelle date de la présidence Ianoukovitch.

05 octobre 2014 | tiré de mediapart.fr

Dans à peine plus de trois semaines, le 26 octobre, les Ukrainiens iront voter. Tous ? Probablement pas. Dans l’est, dans les républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk, comme pour l’élection présidentielle de mai dernier, le scrutin n’aura pas lieu. Des élections législatives s’y tiendront en revanche le 2 novembre, et des élections locales le 7 décembre, ont annoncé les séparatistes — comme pour creuser encore un peu plus le divorce avec la capitale ukrainienne. Les autorités pro-russes ont en effet rejeté le « statut spécial » proposé par Kiev début septembre, qui devait conférer aux provinces de l’est davantage d’autonomie et une amnistie sous conditions pour les combattants. Revendication du mouvement du Maïdan cet hiver, l’élection d’une nouvelle Rada va donc se dérouler dans un pays aujourd’hui amputé de deux régions — la Crimée, annexée depuis par la Russie, et cette partie de l’est autour de Donetsk et Lougansk, sous contrôle séparatiste —, et dont l’avenir est plus qu’incertain.
 Une vaste recomposition politique en cours

À Kiev, l’atmosphère a bien changé ces derniers mois. Désormais, la guerre est dans toutes les têtes et le patriotisme se manifeste au quotidien : du coktail aux couleurs du drapeau ukrainien servi dans les bars aux stands de recrutement d’engagés volontaires dans les rues, la capitale a basculé dans la guerre. Comment, dans ce contexte, les électeurs vont-ils voter ? Bien malin qui peut prédire le résultat de ce scrutin inédit, tant la scène politique ukrainienne est en train de se remodeler. Moins d’un an après le début du mouvement du Maïdan, déclenché par le refus soudain du président d’alors, Viktor Ianoukovitch, de signer l’accord d’association avec l’Union européenne, le Parti des régions, qui était majoritaire au parlement, n’est plus que l’ombre de lui-même. Plusieurs députés issus de ses rangs ont créé chacun de leur côté de nouvelles formations.

Depuis l’indépendance, la scène politique ukrainienne s’est de toute façon toujours caractérisée par une extrême fluidité. Il suffit de se souvenir combien de députés comptait le bloc Ioulia Timochenko à la fin de la dernière législature, en 2012 : tout juste une centaine… contre 156 au lendemain des élections, cinq ans plus tôt. Aujourd’hui, dans un contexte où a été élu un président (Petro Porochenko) issu d’un parti (Solidarité) sans représentation au parlement, les lignes bougent à nouveau.

Le premier ministre Arseni Iatseniouk, démissionnaire en juillet et finalement toujours en poste dans l’attente des législatives anticipées, s’est désolidarisé du président : il prend la tête d’une nouvelle formation, le Front populaire. Ces dernières semaines, de fait, ont vu apparaître un certain nombre de divergences entre les deux hommes. Sur l’attitude à adopter face à la Russie, Iatseniouk s’est montré plus offensif que Porochenko. « La Russie veut éliminer l’Ukraine en tant que pays indépendant », a-t-il ainsi déclaré à la mi-septembre. De son côté, Ioulia Timochenko continue de défendre l’idée d’une Ukraine dans l’OTAN, contrairement à toutes les autres formations, qui n’ont pas cette ambition. Mais les différences de vision politique s’arrêtent là. « Pour l’heure, les partis ne parlent pas de leur programme, seulement des noms des candidats », explique la sociologue Iryna Bekeshina, jointe par Mediapart.
Il n’empêche, les élections apporteront sans conteste du renouveau : « Un seul parti de l’ancienne assemblée se retrouvera dans la prochaine, c’est le parti de Ioulia Timochenko, Batkivchtchina (“patrie”).  » La chercheuse, qui travaille à Kiev à l’Institut international de sociologie, rappelle que le Parti des régions, premier de la Rada au début de la législature (187 députés fin 2012), a explosé, qu’un grand rassemblement s’est désormais formé autour du président (le « Bloc Porochenko »), et que la droite nationaliste de Svoboda («  Liberté  ») tout comme le Parti communiste ont peu de chance de passer le seuil des 5 %. De son côté, Oudar – Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme, le parti de l’ancien boxeur Vitali Klitchko devenu maire de Kiev au printemps dernier – s’est fondu dans le Bloc Porochenko : il ne représentait plus grand-chose au niveau de l’électorat.

«  Les nouvelles candidatures représentent environ 60 % de la liste du Bloc Porochenko, précise la sociologue. Ce qui veut dire qu’il y aura aussi beaucoup de têtes déjà connues : de nombreux anciens élus du Parti des régions se présentent sans étiquette. » Et certains ont toutes les chances d’être élus, car la moitié des 450 députés de la Rada sont élus dans leur circonscription suivant un scrutin uninominal à un tour, suivant une loi qui date de 2011 (l’autre moitié est élue suivant un scrutin de liste national, à la proportionnelle).

Les élections vont-elle permettre de tourner la page de l’ancien système ? «  Certainement pas !  », lâche la sociologue. «  Les Ukrainiens ne peuvent pas espérer un complet renouvellement de la Rada, même si c’est ce que souhaitait le Maïdan », estime de son côté l’hebdomadaire Ukrainian Week, qui ajoute : « Même si un certain nombre de nouvelles personnalités vont apparaître au parlement, dont la plupart au sein du parti de Porochenko et du Parti radical de Oleg Liachko, ils seront contrôlés par les anciens bien connus de la politique. » Parmi les nouvelles têtes qui ont rejoint le Bloc Porochenko, on retrouve plusieurs militants du Maïdan ainsi que des journalistes, comme Mustafa Nayyem, que Mediapart avait rencontré en mai dernier.

Une future assemblée confrontée à d’immenses défis

La nouvelle Rada aura non seulement à faire avec un conflit qui n’est pas éteint dans l’est, mais elle devra en outre engager un certain nombre de réformes impopulaires, tant l’état des finances du pays est aujourd’hui critique. Pour Igor Burakovsky, directeur à Kiev de l’Institut pour la recherche économique et le conseil politique 3, le PIB ukrainien sera en recul de 7 à 10 % à la fin de l’année. «  Ce n’est toutefois pas la pire récession qu’aura connu l’Ukraine, tempère l’économiste. En 2009, le PIB s’était rétracté de 14 %. »

Difficile d’estimer la part de la guerre dans cet effondrement de l’économie ukrainienne. Le mois dernier, le premier ministre Arseni Iatseniouk estimait que le conflit avait coûté depuis le début 1 milliard de hryvnias (environ 61 millions d’euros) par mois à l’État ukrainien. « En réalité », précise Igor Burakovsky à Mediapart, «  ce conflit n’est pas seulement coûteux en termes de mobilisation militaire. Il entraîne aussi une chute de la production dans les régions concernées. Il nécessitera 5 à 10 ans de travaux pour reconstruire toutes les infrastructures et habitations détruites et il exigera des efforts considérables pour faire repartir l’économie de cette région. Autrement dit, le coût réel est impossible à évaluer. Selon les estimations, il varie de 1 à 8 milliards de dollars.  »

Un montant exorbitant dans tous les cas de figure, pour un pays au bord de la faillite et qui doit se serrer la ceinture à tous les niveaux. Le budget 2015 voté par Arseni Iatseniouk doit entraîner en effet d’importantes coupes dans les dépenses publiques – santé et éducation notamment. La fonction publique a par ailleurs déjà réduit la voilure, même si pour l’heure, les salaires des fonctionnaires ont été préservés : certains ministères ont été supprimés et le personnel a été réduit. Ces mesures d’austérité – et beaucoup d’autres à venir – font partie de l’accord passé entre le gouvernement ukrainien et le FMI qui, en échange d’une ligne de crédit de 13 milliards d’euros (en plusieurs versements, le prochain devant intervenir à la mi-décembre), a exigé un certain nombre de réformes de la part de l’État ukrainien.

Pour Igor Burakovsky, ces mesures sont «  impossibles à mettre en œuvre dans la situation actuelle, il va falloir attendre ». Surtout, ce qui sera déterminant, « ce sera le nouvel accord durable avec Gazprom sur le prix du gaz ». Élément-clef de l’économie ukrainienne, le gaz importé de Russie était, depuis la chute de Ianoukovitch, facturé à Kiev deux fois plus cher qu’aux autres partenaires commerciaux de Moscou. Si un accord semble avoir était trouvé ces jours-ci, le gaz est resté coupé depuis la mi-juin et des mesures draconiennes ont été prises pendant l’été en prévision de l’hiver avec des coupures d’eau chaude. La population s’attendait en outre à la fermeture des écoles et des universités pour des « vacances » prolongées au milieu de l’hiver afin de faire des économies de chauffage…

Désaccords au sommet de l’État

Dans le nouvel accord qui se dessinait en fin de semaine, le prix du gaz accordé à Kiev reste très élevé, compte tenu des capacités financières de l’Ukraine et la question de la dette du pays à la Russie n’est pas complètement résolue – source de nouveaux affrontements à venir… Or tant que l’Ukraine n’aura pas résolu la question de son approvisionnement en gaz, son économie aura bien du mal à redémarrer. Sans parler du conflit armé qui touche la région la plus industrielle du pays. Dans sa dernière conférence sur l’Ukraine, le mois dernier, le FMI a d’ailleurs estimé que si le conflit continuait, le pays serait à nouveau obligé de lui emprunter de l’argent…

Des idéaux remis aux calendes grecques

Le rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne, qui faisait partie au départ des revendications du Maïdan, ne s’est pas concrétisé pour l’instant. Certes, le 16 septembre, le parlement européen a ratifié l’accord d’association UE-Ukraine tandis que la Rada faisait de même à Kiev. Petro Porochenko a d’ailleurs renchéri une semaine plus tard, au cours de sa première conférence de presse, en allant jusqu’à promettre, contre l’avis européen, une candidature de l’Ukraine à l’intégration européenne en 2020… Mais pour l’heure, l’accord d’association reste une coquille vide : la mise en œuvre du volet partenariat commercial a aussitôt été reportée. « Cette décision », écrit le Conseil européen dans un communiqué , « reporte au 1er janvier 2016 l’application provisoire du titre “Commerce et questions liées au commerce” de l’accord, y compris la mise en place d’une zone de libre-échange. »

Les idéaux portés par le Maïdan sur la fin du système oligarchique, la lutte contre la corruption ou encore la mise en place d’une justice équitable sont eux aussi remis à plus tard. Et les désaccords au sommet de l’État se font jour. Le ministre de l’économie, Pavlo Cheremeta, a ainsi jeté l’éponge à la fin de l’été, prétextant que les réformes étaient impossibles à mettre en œuvre. Il s’est montré très critique à l’égard du gouvernement, auquel il reproche de préserver un système de gestion corrompu. Le mois dernier, c’est l’ancienne journaliste, figure du Maïdan, Tetyana Chornovil, qui démissionnait de la direction du bureau anticorruption : la jeune femme a dénoncé le manque de volonté politique qui l’empêchait d’agir. Dans une interview publiée la semaine dernière dans la presse ukrainienne, l’ancienne journaliste – aujourd’hui candidate à la Rada – explique en outre que la loi anticorruption pour laquelle elle s’est battue a finalement été dépouillée de son contenu.

Cette loi a été votée la semaine dernière, au terme d’une intense bataille politique. C’est un premier pas vers davantage de transparence dans la vie publique : désormais, les fonctionnaires et ministres ukrainiens sont tenus de justifier leur patrimoine et leurs revenus, au risque de se voir exclus de la fonction publique pendant au moins cinq ans. Mais toutes les tentatives d’en faire davantage ont été enrayées, et les moyens financiers affectés à la lutte contre la corruption sont pour l’heure ridicules : les parlementaires n’ont pas voté la création d’une brigade anticorruption pour enquêter largement sur les plus hauts dirigeants du pays. «  La Rada a échoué à soutenir les projets de lois anticorruption du gouvernement et la réforme fiscale, a dénoncé le premier ministre Arsenyi Iatseniouk sur Twitter. C’est une honte. Je vais tout faire pour faire passer ces réformes malgré l’hystérie pré-électorale. »

Amélie Poinssot

Après des années de correspondances en Pologne puis en Grèce, expérience qui l’a amenée à travailler pour des médias aussi divers que La Croix, RFI, l’AFP... et Mediapart, elle rejoint la rédaction de Mediapart en février 2014.

https://www.mediapart.fr/biographie/amelie-poinssot

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