Si l’on se fie aux idées qui commencent à circuler en ce moment, cet enjeu risque malheureusement d’être soit noyé sous des promesses racoleuses, soit fortement dilué. Pourtant l’Europe brûle cet été, le nord de l’Inde et du Pakistan ont connu des canicules de 50°C en avril, le dernier rapport du groupe Ouranos montre que le Québec se réchauffe à grande vitesse, le rapport du GIEC parle d’urgence climatique, la biodiversité est en péril : ces constats et bien d’autres démontrent qu’il est essentiel de placer l’environnement au centre de toutes les décisions.
L’outil essentiel pour servir cette cause est un véritable ministère de l’Environnement scientifiquement crédible et politiquement fort, et non un ministère qui sert de paravent à de mauvaises décisions et qui subit l’influence de lobbyistes de tous acabits au service d’intérêts particuliers à court terme et sans préoccupation pour l’avenir. Il faut donc une réforme en profondeur qui permette à ce ministère clé d’influencer les décisions de tous les autres secteurs sans subir de pressions visant à abaisser les cibles et à minimiser sa capacité d’action.
Pour être scientifiquement crédible, ce ministère de l’Environnement doit pouvoir compter sur un personnel hautement qualifié, composé d’experts en climatologie, en hydrologie, en biologie et dans d’autres champs de connaissance. Ces experts doivent aussi avoir la capacité d’entreprendre les études scientifiques essentielles sur les grands enjeux de la province, et ceci en toute liberté d’action, sans subir d’influence externe. S’ils ne peuvent bien sûr à eux seuls produire toutes les études nécessaires pour cerner l’ensemble des dossiers complexes, ces experts doivent être en mesure de commander les études pertinentes à des firmes ou à des groupes externes, pour ensuite analyser les rapports produits, en déterminer la pertinence et en tirer des conclusions permettant d’élaborer des politiques en phase avec les situations observées. Le politique peut ainsi s’inscrire dans le processus en cohérence avec le scientifique. Le GIEC fonctionne exactement de cette façon ; le modèle existe donc, il ne reste qu’à l’implanter au Québec. Malheureusement, l’actuel ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques apparaît plutôt géré par des personnes issues du milieu économique qui semblent incapables de faire des projections hors du cadre de la croissance économique, ce qui entraîne des décisions de myopes où la croissance verte devient un vocable vide.
En plus d’être scientifiquement crédible, un véritable ministère de l’Environnement doit être politiquement capable d’influencer les décisions de tous les autres ministères. Les outils permettant d’analyser l’impact environnemental de chaque décision existent et doivent être utilisés pour minimiser le plus possible les retombées négatives, et ceci sans l’intervention de lobbyistes. Un exemple typique où le ministère de l’Environnement a failli à sa tâche est le cas de l’implantation de la biénergie dans le bâtiment (projet d’Énergir et d’Hydro) : seuls les distributeurs de gaz y gagnent, l’environnement y perd beaucoup. Un ministère de l’Environnement qui aurait eu toute l’influence nécessaire aurait été en mesure de proposer des solutions beaucoup plus avantageuses à long terme, et de les imposer.
Un véritable ministère de l’Environnement doit en outre avoir une fonction pédagogique importante et présenter publiquement l’ensemble des dossiers et des analyses pour permettre à la population de comprendre la logique des décisions. La boîte noire, les secrets et les décisions opaques ne peuvent qu’augmenter la méfiance des citoyens. Le débat public est essentiel pour partager les connaissances et atteindre l’acceptabilité sociale. Le BAPE joue ici un rôle important qui doit être revalorisé afin de solliciter plus amplement la participation citoyenne. Le cas de GNL Québec en est un exemple patent : près de 3000 mémoires ont été déposés, dont la grande majorité par des citoyens informés désireux de s’impliquer. Un exercice démocratique important.
L’enjeu environnemental doit être une priorité pour tous les partis siégeant à l’Assemblée nationale. Un travail fantastique et transpartisan a été accompli dans le cas de la loi encadrant l’aide médicale à mourir : ce sujet délicat méritait une entente basée sur des valeurs humaines. Ce fut une réussite importante pour l’ensemble des élus.es. L’environnement mérite le même sort, c’est-à-dire une recherche de consensus entre tous les partis, qui doivent faire abstraction de leur ligne politique rigide pour travailler ensemble en prenant comme point de départ les connaissances scientifiques imposantes dont on dispose aujourd’hui et qui doivent guider les décisions. C’est un programme politique pour l’avenir.
Tous les enjeux mentionnés au début de ce texte sont importants, mais n’auront que peu de poids si le climat se dérègle encore plus, si les sols continuent de s’appauvrir, si l’eau des rivières et du fleuve charrie des quantités toujours plus importantes de produits toxiques. Une planète où la vie des humains est rendue difficile ne peut qu’être une planète de conflits. Nous respirons tous le même air. La base essentielle de la vie n’est pas le compte en banque, mais la richesse de la nature. Sa destruction causera la pauvreté de tous les humains.
Bruno Detuncq
Professeur à la retraite, Polytechnique Montréal, et membre du RVHQ
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