Toute l’Europe semble aux prises avec un grand combat entre la nouvelle gauche radicale [1]i et l’extrême-droite sur la définition et le sens de la résistance nationale face au rouleau compresseur néolibéral de l’Union européenne. Les politiques d’austérité et le capitalisme financier n’ont pas de patrie et s’incarnent dans des structures transnationales comme le FMI ou la Banque centrale européenne.
C’est contre ce carcan anti-démocratique que le peuple grec s’est soulevé lors de l’élection de janvier. Et le gouvernement Syriza ne se gêne pas pour évoquer la fierté nationale face au néocolonialisme de la Troïka. Mais il compte aussi mettre fin à la détention des immigrantes et immigrants considérés comme illégaux. Cette mesure montre bien le peu d’influence réelle du petit parti de droite nationaliste qui donne à Syriza les députés manquant pour une majorité au parlement.
En même temps, en France, c’est le Front national qui est en tête des sondages et cause tout un bouleversement du paysage politique. D’ailleurs, Marine Le Pen, en grande démagogue, est allée jusqu’à applaudir à la victoire de Syriza ! Mais le sens du combat du FN n’est pas démocratique, c’est l’hostilité envers l’immigration et les minorités, combinée à une identification démagogique avec les couches sociales qui souffrent du néolibéralisme et voient dans l’étranger (qu’il prenne la forme du capitaliste allemand ou du travailleur polonais) la source de leurs problèmes.
Tous les États sont issus d’une histoire faite de luttes sociales complexes. Tous les pays ont donc leurs traditions progressistes et démocratiques d’un côté et leurs traditions réactionnaires et autoritaires de l’autre. Au Portugal, la révolution des œillets de 1974 et la constitution très progressive qui en a résulté s’opposent à la tradition conservatrice, autoritaire et colonialiste de la longue dictature de Salazar. La république espagnole des années 1930, avec ses mouvements anarchistes et communistes fait face à l’héritage de Franco et du catholicisme oppressif. La tradition révolutionnaire française, de 1789 à mai 1968, est constamment en lutte avec l’impérialisme brutal de l’État français et le conservatisme social remontant jusqu’à l’Ancien régime.
Chez nous, le militantisme syndical et des mouvements sociaux, de la grève de l’amiante au printemps érable, avec ses traditions internationalistes et féministes, s’oppose au vieux fond bleu du temps de Duplessis avec sa chasse aux communistes et aux Témoins de Jéhovah. Maintenant, la bataille pour la définition du projet national oppose Québec solidaire, avec son projet d’assemblée constituante inclusive et sa stratégie de mobilisation sociale, au PQ de Drainville et de PKP avec leur nationalisme identitaire et un souverainisme géré à partir du bunker d’un éventuel premier ministre péquiste. Il n’y a pas de convergence entre ces deux projets mais au contraire des divergences de plus en plus profondes, n’en déplaise aux péquistes et péripéquistes (en orbite autour du PQ) bien intentionnés qui rêvent à la réconciliation de la « grande famille souverainiste ». Le divorce devrait être consommé depuis longtemps !
À l’ère de l’austérité sans nuances, de la crise climatique et de l’intensification des rivalités inter-impérialistes avec leurs guerres sans fin, il n’y a plus de place pour un grand projet consensuel vague. L’indépendance sera le résultat d’une lutte de la population du Québec contre ses propres élites en même temps que contre la domination impérialiste, ou ne sera pas !
Et Québec solidaire dans tout ça ?
Si on assiste à une polarisation évidente en Europe, il n’en est pas de même au Québec et au Canada, où les différentes nuances de la droite ordinaire et de la gauche sans projet se disputent toujours l’essentiel du paysage politique. Mais le glissement de la droite ordinaire vers l’extrême-droite est bien visible avec le régime Harper (la loi C-51, les récentes déclarations islamophobes, la surenchère sioniste et militariste, etc.) et le glissement du PQ, du Bloc et de la CAQ sur le terrain identitaire (Charte des valeurs, méfiance xénophobe plus ou moins avouée). L’incident récent impliquant des jeunes péquistes bien en vue dans une collaboration étroite avec des gens du FN montre bien jusqu’où est rendue la dérive impulsée par Marois en 2007. Heureusement, on n’en est pas encore à un parti ouvertement xénophobe et anti-immigration de masse comme en Europe, mais le lancement d’une branche de PEGIDA [2]ii au Québec est un signe parmi d’autres qu’une minorité de plus en plus audacieuse rêve d’imiter l’exemple de la droite identitaire européenne.
Du côté de la gauche, Québec solidaire semble encore hésiter à assumer sa rupture avec le système. On parle de dépasser le capitalisme, mais en pratique on propose plutôt de le gérer différemment. On dénonce le racisme et la xénophobie mais on continue à faire des compromis avec les courants xénophobes qui veulent changer nos lois pour rendre la vie encore plus dure à de minuscules minorités sans pouvoir comme les femmes voilées. On veut refonder la démocratie et les institutions avec l’assemblée constituante et l’indépendance, mais on continue à rêver tout haut d’un scrutin proportionnel qui risque de nous embarquer dans le piège des tractations avec les partis traditionnels et les coalitions sans principe.
C’est d’ailleurs l’avertissement le plus clair qui nous venait du représentant du Parti de gauche. Ils ont bien du mal à se démarquer du PS après avoir trop souvent collaboré avec lui. Pour incarner la rupture avec l’austérité et la destruction environnementale que nous promet le capitalisme, il faut éviter toute association avec les partis de la gestion tranquille de la régression sociale. Soyons patients. Aux élections d’octobre 2009, Syriza avait obtenu 4,6% des voix ! Mesurons le succès de Québec solidaire à sa capacité à mettre de l’avant une alternative claire, globale et concrète, à sa capacité de mobilisation et d’implication dans les luttes, sans oublier la réaction allergique que provoquent nos propositions chez les faiseurs d’opinion à la solde des riches et des puissants.