Christophe Deroubaix - Samedi, 20 Janvier, 2018 - Humanité Dimanche
Un parfum de rose souffle sur la grande puissance capitaliste. Le système ne fait plus recette auprès des jeunes, de plus en plus nombreux à se pencher vers les idées socialistes. Portées par le populaire sénateur Bernie Sanders, elles séduisent une génération élevée loin de la guerre froide, choquée par l’élection du milliardaire Trump mais surtout par la récession de 2008 et le boom de la précarité.
Preuve de cette nouvelle influence, le nombre d’adhérents au DSA (Democratic Socialists of America) explose, et de jeunes élus émergent, portant haut et fort la critique du système.
Le socialisme dispose-t-il d’un avenir radieux... aux États-Unis ? La question est provocante mais pas inepte.
En tout cas, ce système est plus populaire que le capitalisme dans un pays qui s’appelle l’Amérique des millennials.Un pays de 80 millions d’habitants. Un pays partiel mais réel.
Les « millennials », c’est le nom de baptême donné à la génération qui est née à partir de 1982 et qui a donc commencé à atteindre l’âge de la majorité au début du nouveau millénaire. « Chaque génération est un nouveau pays », constatait Tocqueville.
Et que veut ce « nouveau pays » des millennials ? Une étude rendue publique en novembre 2017 par la société YouGov nous éclaire : 44 % des moins de 35 ans préféreraient vivre dans une société socialiste, contre 42 % dans une société capitaliste et 7 % dans une société communiste. Ironie : cette enquête a été commandée par l’association anticommuniste Victims of Communism Memorial Foundation. Celle-ci trouve les résultats « profondément inquiétants ».
L’alternative à explorer
Comment, en une génération, le pays est-il passé du « mot en s » (le s-word), ce socialisme que l’on ne pouvait nommer car infamant, à sa popularité croissante parmi la jeunesse ? La réponse se trouve en partie dans la réponse : « En une génération... » Les jeunes gens interviewés jouaient encore aux billes ou n’étaient même pas nés au moment de la chute du mur de Berlin. « Les gens n’associent plus le socialisme aux dictatures en URSS et en Chine », pointe dans un entretien à l’AFP Cathy Schneider, professeure à l’American University de Washington.
44% des moins de 35 ans préféreraient vivre dans une société socialiste, contre 42% dans une société capitaliste.
Les millennials ont grandi dans un contexte politique de capitalisme triomphant et... défaillant. Car, la crise de 2008 constitue l’autre élément structurant du « basculement ».
Ils sont les premiers enfants du krach. Nombre d’entre eux, parmi les plus âgés et donc en situation professionnelle active, ont dû retourner vivre chez leurs parents, ce qui leur a valu le surnom passager de « génération boomerang ».
Pour les plus jeunes de la génération, la plus diplômée de l’histoire du pays, le krach et la reprise ont en partie démonétisé la valeur de leur diplôme, souvent obtenu au prix d’un endettement colossal (plusieurs dizaines de milliers de dollars par étudiant en moyenne). À qualification égale, les emplois créés sont largement moins rémunérateurs que ceux détruits.
Délesté de l’expérience soviétique, le socialisme apparaît donc comme « une alternative au capitalisme sauvage à l’américaine qui, pour les jeunes, vaut le coup d’être explorée », selon John Mason, professeur de sciences politiques à l’université William Paterson, dans le New Jersey. Mais, qu’entendent-ils par socialisme ?
Le sondage YouGov cité a donné aux personnes interrogées des définitions de chacun des mots soumis à leur approbation et leur réprobation. Il en ressort « une grande confusion » entre les définitions de socialisme et de communisme, selon l’organisation anticommuniste à la manœuvre qui veut y voir la preuve que les jeunes ne savent pas de quoi il relève.
Pour 31 % des millennials, la « propriété collective des moyens de production » relève du communisme, mais pour 32 % il s’agit de socialisme.
Tandis que la « propriété sociale et d’État » est assimilée au socialisme pour 34 % et au communisme pour 29 %.
Au final, quand les jeunes Américains disent privilégier la vie dans une société socialiste, ils entendent aussi bien l’État providence qu’une forme de collectivisation. La « confusion » se solde par un rapport encore plus « radical » à la nécessité de changement.
Sécu, études et SMIC
« Bernie Sanders n’a pas poussé la jeunesse vers le socialisme. Ils y étaient déjà », analyse Harold Meyerson, éditorialiste au magazine « The American Prospect ».
En d’autres termes, le renouvellement générationnel a été le combustible de la dynamique Sanders. Celle-ci avait d’abord été promise, par nombre de commentateurs, à une extinction rapide, avant d’être ramenée à une « simple » tentative de mettre en oeuvre une forme d’état social-démocrate à la scandinave.
Comme si promouvoir une Sécurité sociale universelle, rendre gratuit l’accès aux universités publiques, doubler le Smic fédéral pour le porter à 15 dollars, réglementer un Wall Street insolent pouvaient être de même nature, en termes de projet politique, dans l’Amérique superinégalitaire du turbo-capitalisme que dans la Suède post-Seconde Guerre mondiale. À se tromper d’époque et de contexte...
Pour la première fois depuis les années 1920, des socialistes proclamés sont élus au suffrage universel.
Le plus radical dans le projet de Sanders dépasse pourtant ces seuls points programmatiques. Il tient en la « révolution politique » qu’il propose : nous ne changerons la société, dit-il en substance, que si nous créons un mouvement qui implique des millions de personnes. La clé du changement a été déclinée en un mot d’ordre : « Us, Not Me » (Nous, pas moi). C’est ce sens de l’action politique collective qui se décline un peu partout dans le pays. Au-delà des enquêtes d’opinion, la réalité de la société est modifiée par des militants et élus dont la conception du socialisme peut en effet varier du communisme originel à une social-démocratie ancestrale.
« Baby-boom socialiste »
Pour la première fois depuis les années 1920, des socialistes proclamés sont élus au suffrage universel (lire portraits ci-dessous), du conseil municipal au conseil d’école, du Minnesota au Maine. Ils s’appuient tous sur des mouvements organisés à la base, plutôt que sur des appareils constitués. Un peu à la façon de Sanders lui-même prenant, en 1981, la mairie de Burlington (Vermont) aux démocrates hégémoniques.
Une organisation cristallise ce regain des idées socialistes : DSA (Democratic Socialists of America). Son emblème : deux mains (une blanche et une noire) solidaires surmontées d’une rose.
Depuis l’élection de Donald Trump, son nombre d’adhérents est passé de 6 500 à 30 000, tandis que l’âge moyen a baissé de 60 à 35 ans. La direction de DSA évoque même un « baby-boom socialiste ».
« Les États-Unis peuvent être tout à coup devenus le foyer de millions de socialistes, mais il manque encore un mouvement socialiste », tempère Harold Meyerson. Il y a des socialistes mais pas encore de socialisme.
Et cent dix ans après, l’œuvre du sociologue allemand Werner Sombart, « Pourquoi n’y a-t-il pas de socialisme aux ÉtatsUnis ? », n’est pas encore tout à fait démentie.
Christophe Deroubaix
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