La préparation devant cette pandémie était presque nulle3, ce qui a amené les décideurs politiques a empruner des sentiers peu connus lors du choix de leurs mesures. En ce sens, pour éviter que l’expérience soit en vaine, il est essentiel d’analyser le contexte actuel afin d’en tirer des leçons et tenter de les mettre à profit dans l’émergence d’une situation similaire. Examiner les réactions des différents acteurs permettra d’accroitre les précautions en santé, mais aussi tout simplement d’améliorer les dispositifs qui régulent nos collectivités.
Pauvre système de santé…
La caractéristique majeure de l’épidémie de COVID-19 est qu’elle a considérablement mis en evidence les faiblesses de notre société. Autant au niveau du système de santé4, de la gestion des itinérants5 6, de la disparité de richesse grandissante7 ou encore pour les soins en santé mentale8. Je n’ai même pas besoin d’ajouter à cette liste l’échec des CHSLD9, mais je le fais quand même. Absence de soins adéquats, malnutrition, conditions d’hygiène épouvantables, manque de personnel etc. etc. Inutile de le répéter, on le sait depuis longtemps que l’organisation médicale au Québec est défaillante, hélas, la situation a été négligée.
Un article de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) observe déjà en 2000 la présence d’un « sentiment d’insatisfaction, d’épuisement et de morosité » et de détresse psychologique au sein du système de santé10. En 2013, c’est le nombre d’absences liées à des troubles d’ordre mentaux et a des problèmes musculosquelettiques qui augmentent fortement11. Pourtant la proportion du budget de la santé au Québec accordée aux salariés du réseau (les médecins n’étant pas considérés comme des salariés) a chuté de 43 % à 37 % entre 2006 et 2016 12. Ainsi, on se retrouve avec une crise qui met en évidence cette négligence du gouvernement. En effet, selon plusieurs études, le personnel des services de santé est actuellement parmi les plus touchés par la hausse des cas de détresse psychologique au Québec13 14.
Puis, il me semble important de souligner une autre faille de notre gestion de la santé qui a été accentuée par la pandémie. L’institut national de santé publique du Québec (INSPQ) défend l’idée selon laquelle le système de soins n’est pas le facteur le plus significatif de l’état de santé de la population15. En effet, leur étude conclut que d’autres éléments sont à prendre en compte pour s’assurer d’un état de santé populaire élevé : l’environnement social, économique et physique ainsi que la biologie et la génétique16. De plus, les environnements sociaux, physique et économique seraient responsables de 60 % du niveau de santé tandis que le réseau de santé ne couvrirait que 25 %17. Selon ces données, on peut donc considérer qu’il est illogique de consacrer une majorité des investissements en santé pour les soins et de peu se préoccuper des autres types de déterminants.
C’est également une tendance qui s’est accentuée avec la pandémie alors que de nombreuses mesures ont été mises en place pour protéger le réseau de santé (confinement, distanciation sociale, couvre-feu), tandis que très peu ont été élaborés pour défendre les autres déterminants de la santé (protéger l’environnement économique notamment les PME, favoriser un mode de vie actif, favoriser une alimentation saine, augmentation de salaire du personnel médical, etc.) pourtant plus importants. Comme le démontre l’article, la conception selon laquelle un système de soins développé est l’unique vecteur d’un niveau de santé élevé est fausse18, et il est essentiel que les données par rapport aux différents types d’environnement soient prises en compte.
C’est encore une fois ce qui a été oublié ici, en privilégiant la protection de nos systèmes de soins (avec le confinement notamment), il a été omis de considérer les autres facteurs de la santé comme des éléments susceptibles d’affecter l’état de la population ; supprimer l’environnement social augmenta la détresse psychologique19, confiner les familles accentua les violences conjugales ainsi que la maltraitance envers les enfants20, le ralentissement économique et la fermeture de centre de services sociaux a nuit à la capacité des plus vulnérables à subvenir à leurs besoins21, etc.
Les systèmes de soins ne constituent pas le déterminant de santé le plus important et il est questionnable de sacrifier tous les autres (environnements sociaux, économiques et physiques) pour tenter de le protéger. Certes, avoir un système de santé solide est essentiel, mais agir sur les déterminants de la santé permet de prévenir et de diminuer la nécessité de guérir. Ceux-ci devraient donc occuper plus de place lors de la prise de décisions pour protéger l’état de santé de la population.
Le gouvernement, ennemi du peuple
Ce point m’amène à la prochaine tendance qu’il est possible d’observer actuellement, soit le cynisme face aux gouvernements et à l’establishment. Le désintérêt et la méfiance de la population par rapport à notre démocratie s’approche d’un niveau que l’on pourrait qualifier de dangereux pour la cohésion de notre société. Un sondage Léger effectué en 2018 fournit des chiffres accablants quant aux croyances à l’égard des institutions démocratiques ; 10% de confiance envers les promesses électorales, 57% considèrent que les politiciens travaillent davantage pour leurs intérêts que pour ceux de la collectivité, 55% estiment que ces derniers sont plutôt menteurs22.
Cette dynamique est d’autant plus observable actuellement alors qu’une étude de la firme CROP démontre que les Québécois attribuent la note peu satisfaisante de 6.5 sur 10 à la gestion de crise de François Legault23. En conséquence, la crédibilité des décisions gouvernementales est fortement affectée et leur efficacité diminue drastiquement. Pour illustrer le problème, rappelons simplement la tentative du gouvernement du Canada d’informer la population de leur possible contact avec une personne infectée via l’application Alerte COVID. Malgré les recommandations du premier ministre d’utiliser l’application, les résultats de cette tentative sont peu convaincants. En effet, les chiffres d’un sondage de l’Institut national de la santé publique du Québec démontrent que seulement 58% des répondants ont téléchargé ou ont l’intention de télécharger l’application24. Or, on sait que l’efficacité d’une telle mesure dépend fortement du taux de participation de la population. Lorsque la confiance envers l’état est à un niveau critique, il n’est pas surprenant d’observer une réticence à installer une application gouvernementale, même si celui-ci assure que « votre vie privée est protégée »25.
Et encore aujourd’hui, le parti de François Legault pose des gestes qui alimentent la méfiance. L’idéal démocratique défend l’idée selon laquelle le peuple possède le droit fondamental de la liberté d’expression. Chacun devrait être en mesure de partager sa position par rapport à un sujet qu’on soit d’accord ou non. Cependant, on assiste en ce moment à une suppression des avis divergeants. On s’empresse d’identifier les opinions critiques de complotistes sans même entendre leur point de vue, qui peuvent parfois être pertinents pour diversifier le débat public. Pensons simplement au refus du premier ministre de rencontrer l’association de médecins qui proposait une modification de la gestion de système de santé26.
La démocratie libérale promeut la liberté d’expression pour tous, peu importe les allégeances. La négligence au niveau de la transparence dont fait actuellement preuve le parti au pouvoir alimente et légitimise les doutes à son égard27. Depuis, le début de la crise, l’opposition demande au gouvernement des clarifications sur leur choix des mesures sanitaires. Ils dénoncent notamment la non-accessibilité des recommandations de la santé publique ainsi qu’un manque de cohérence28. Encore au cours des dernières semaines, nos inquiétudes ont été confirmées alors qu’on a appris que les directives de la santé publique n’ont pas été suivies… et avec fierté…29.
Toutefois, cette critique ne surgit pas dans les débats publics de manière inattendue. En effet, il s’agit encore une fois d’une situation qui ne fait que perdurer puisque déjà en 2018, la CAQ était mise sous pression pour les mêmes raisons30. À nouveau, le facteur COVID accentue les problèmes que nous laissons traîner depuis trop longtemps.
Un système désuet
En ce sens, ce texte amène une seule conclusion possible ; c’est tout le système qui est malade. Ce ne sont pas uniquement la santé physique et mentale qui sont menacées, mais aussi la cohésion populaire. Une population unie est la moindre des choses si on veut espérer un minimum de mobilisation dans les situations importantes comme celle que l’on vit actuellement. Dans des moments où la réactivité est déterminante, l’efficacité des mesures dépend fortement de la cohésion populaire. Chaque individu qui défie le reste de la population entrave le bon fonctionnement des décisions prises.
Toutefois, il est vrai que l’état présent de la démocratie se dirige vers une impasse. La confiance se dégrade continuellement, mais elle est pourtant vitale au système démocratique libéral. Celui-ci prévoit que le peuple choisisse les élus, il est ainsi illogique de constater que la foi qu’on leur accorde s’effrite avec le temps. Des changements radicaux afin de rétablir cette situation devront être entrepris sans quoi le futur de la province est gravement menacé. Une meilleure représentation des minorités, la division des circonscriptions pour favoriser la proximité avec la population, l’ajout d’un aspect de proportionnalité pour l’élection des représentants, plus de transparence, l’amélioration des systèmes de contestation ne sont que quelques exemples de ce à quoi ressemblerait une démocratie plus vraie.
Que faire ? Profiter de la crise. Elle met clairement en évidence les changements qui doivent être faits pour faire grandir le Québec. Il faut savoir mettre à profit les embûches que nous rencontrons et les tourner à notre avantage. Promouvoir un mode de vie sain et actif signifiera nécessairement un désengorgement du système de santé, repenser la consommation de masse diminuera l’effet d’une crise économique, laisser de côté les énergies fossiles réduira notre dépendance face au prix du pétrole, bref revoir le modèle économique et choisir le plus adéquat pour le futur du Québec. La stratégie du choc, concept développé par l’essayiste Naomi Klein, assure qu’au tournant d’une crise, il en ressort souvent de majeures restructurations. Celles-ci sont élaborées afin de remettre le territoire sur pied et d’adapter les institutions au « nouveau présent ». Il faut profiter du désordre créé par la crise pour favoriser des mesures plus adéquates. Il est grand temps de laisser derrière nous l’élitisme qui nous dirige actuellement et de réinstaurer une démocratie pour le peuple et ainsi de pouvoir avancer vers une nouvelle ère.
Bibliographie
1Lamontagne, N.T. 2020. Un 1er cas positif à la nouvelle souche de COVID-19 au Québec. Le journal de Québec. https://www.journaldequebec.com/2020/12/29/covid-19-la-nouvelle-souche-detectee-au-quebec
2Bellerose, Patrick. 2021. Hausse importante des cas : l’Ontario ferme ses frontières et appelle a l’aide. Le journal de Québec.
https://www.journaldequebec.com/2021/04/16/plus-de-12-000-cas-par-jour--des-projetions-qui-inquietent-en-ontario-1
3Morhard, Ryan. 2020. Coronavirus : Il n’est pas trop tard pour agir. Forum Économique Mondial. https://fr.weforum.org/agenda/2020/03/une-simulation-a-new-york-a-montre-que-nous-netions-pas-prepares-au-coronavirus-mais-il-nest-pas-trop-tard-pour-agir/
4Potloc. 2020. Étude Potloc : Au coeur de la pandémie de COVID-19, les professionnels de santé canadiens nous font part de leurs ressentis. POTLOC INSIGHTS. https://potloc.com/blog/fr/etude-potloc-pandemie-covid-19-professionnels-de-sante-canadiens-ressentis/
5 Agence QMI, 2021. Montréal : Hausse de la COVID-19 chez les itinérants. Le journal de Montréal. https://www.journaldemontreal.com/2021/01/12/montreal-hausse-de-la-covid-19-chez-les-itinerants
6 Sioui, Marie-Michèle, 2021. Québec n’entend pas exempter les itinérants des pénalités liées au couvre-feu. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/societe/593105/un-itinerant-montrealais-mis-a-l-amende-pour-non-respect-du-couvre-feu
7 Cucchi, Maud. 2021. Oxfam : Des inégalités abyssales accentuées par la crise de la COVID-19. Radio-Canada.ca. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1765571/oxfam-rapport-inegalites-davos-economie-ong
8 Ouellete-Vézina, Henri. 2021.Nouveau confinement « On parle encore très peu de santé mentale ». La Presse. https://www.lapresse.ca/covid-19/2021-01-05/nouveau-confinement/on-parle-encore-tres-peu-de-sante-mentale.php
9 Villeneuve, C. 2020. CHSLD : Échec collectif, facture collective. Le Journal de Québec. https://www.journaldequebec.com/2020/12/05/chsld-echec-collectif-facture-collective
10 Hébert, Guillaume. 2014. La gouvernance en santé au Québec. Institut de recherche et d’informations socioéconomiques. https://iris-recherche.qc.ca/publications/gouvernance-sante
11Ibid
12Habel-Thurton, Djavan. 2018. Le fossé de la rémunération se creuse entre médecins et infirmières. Radio-Canada.ca https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1097297/remuneration-medecins-infirmieres-systeme-de-sante-quebec
13 Université de Sherbrooke. 2020. L’anxiété et la dépression : Une deuxième catastrophe au Québec. Actualités | Université de Sherbrooke. https://www.usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/sante/sante-details/article/43540/
14 Potloc. 2020. Étude Potloc : Au coeur de la pandémie de COVID-19, les professionnels de santé canadiens nous font part de leurs ressentis. POTLOC INSIGHTS. https://potloc.com/blog/fr/etude-potloc-pandemie-covid-19-professionnels-de-sante-canadiens-ressentis/
15 Institut national de santé publique du Québec. 2017. Les Déterminants de la santé. INSPQ. https://www.inspq.qc.ca/exercer-la-responsabilite-populationnelle/determinants-de-la-sante
16 Ibid
17 Ibid
18 Ibid
19 Brooks, Samantha K et al. 2020. The psychological impact of quarantine and how to reduce it : rapid review of the evidence. The Lancet, Volume 395, Issue 10227, 912 - 920
20 Lavergne, Chantal et al. 2020. La COVID-19 et ses impacts sur la violence conjugale et la violence envers les enfants : ce que nous disent la recherche et la pratique. Intervention. Hors-série no.1 : 27-35
21 St-Pierre, Rosa. 2020. Un virus catastrophique pour les plus pauvres | La COVID-19 en Atlantique. Radio-Canada.ca https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1698589/coronavirus-pauvrete-inegalites-sociales-laurent-bourque
22Leger, 2018. La politique provinciale au Québec. Rapport. Léger Opinion. http://www.ledevoir.com/documents/pdf/sondage_polqc052018.pdf
23 CROP. 2021. FOTO – COVID-19. Rapport. Institut CROP https://files.lpcdn.ca/lapresse/crop/crop.pdf
24 Institut national de santé publique du Québec. 2020. Covid-19 – Sondages sur les attitudes et comportements des adultes québécois. Centre d’expertise et de référence en santé publique https://www.inspq.qc.ca/covid-19/sondages-attitudes-comportements-quebecois/29-octobre-2020
25Gouvernement du Canada. 2020. Téléchargez Alerte COVID dès maintenant. Canada.ca : Maladie a coronavirus (COVID-19). https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies/maladie-coronavirus-covid-19/alerte-covid.html
26Bergeron, Patrice. 2020. Le gouvernement dit non à des médecins qui s’unissent pour obtenir des changements. Le Soleil. https://www.lesoleil.com/actualite/le-gouvernement-dit-non-a-des-medecins-qui-sunissent-pour-obtenir-des-changements-d844a9e1b494c33a84bc102aff6ec4e8
27Radio-Canada. 2020. Le gouvernement manque d’éthique et de transparence, selon l’opposition. Radio-Canada.ca https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1756362/bilan-session-pq-qs-plq
28Bélair-Cirino, Marco. 2020. Québec doit être plus transparent, dit l’opposition. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/586222/coronavirus-quebec-doit-etre-plus-transparent-dit-l-opposition
29Plante, Caroline. 2021. François Legault se félicite d’avoir été plus prudent que la Santé publique. La Presse. https://www.lapresse.ca/covid-19/2021-02-23/francois-legault-se-felicite-d-avoir-ete-plus-prudent-que-la-sante-publique.php
30Bergeron, Patrice. 2018. Le manque de transparence de la CAQ dénoncé. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/politique/201812/05/01-5206878-le-manque-de-transparence-de-la-caq-denonce.php
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