À l’instar du collectif qui a écrit mardi l’article « choisissons la voie du pragmatisme », la récente conversion verte de Philippe Couillard nous a surpris et porte à réflexion. Comme lui également, nous sommes préoccupés par le développement économique du Québec. Contrairement à lui, enfin, nous ne pensons pas qu’exploiter de façon responsable nos hydrocarbures soit compatible avec nos ambitions en matière de changement climatique.
Car il faut parler d’ambition : nous devons atteindre des cibles tournant autour de 1,5 degré de réchauffement à la fin du siècle. Compromettre cet objectif serait consentir à la disparition pure et simple de plusieurs populations et de leurs territoires. Les entreprises québécoises que représente ce collectif ne peuvent ignorer cette réalité. Il n’y a pas que les populations qui doivent s’adapter.
Le virage vert du premier ministre est certes louable mais manque de concret pour contribuer réellement à ce qui se joue à Paris. L’Institut de recherche et d’information socio-économiques (IRIS) rappelle que pour respecter son budget carbone de même que la cible des 2°C, le Québec devrait plutôt viser une cible entre 42 % et 53 % d’ici 2030. Or nous en sommes seulement à 37,5%.
L’heure doit donc être au désinvestissement sans complexe des hydrocarbures si on souhaite remplir nos objectifs. Pour exemple, la Caisse de dépôt investit 9 milliards en placement fossile : 4 milliards $ d’actions d’entreprises exploitant les sables bitumineux albertains, 4 milliards $ dans le pétrole conventionnel, les pipelines et le gaz et comble du comble, 1 milliard $ dans le charbon. Sans compter le fait qu’Investissement Québec a mis sur pied un fonds de 1 milliards en juin dernier, le Fonds Capital Mines Hydrocarbures.
Tout le monde pourra comprendre que désinvestir tous ces milliards dégagerait des sommes colossales pour donner un élan à des projets durables dans nos régions qui en ont bien besoin pour recréer des emplois d’avenir. Les voies de la biométhanisation, de l’éolien, du solaire et de l’efficacité énergétique ont un potentiel de création d’emplois que nos grandes sociétés devraient regarder d’un oeil plus favorable. Malheureusement, quand les industries pétrolières et gazières s’installent, elles font le vide autour d’elles.
D’un point de vue environnemental, la plus grande contribution du Québec et du reste du Canada au respect du budget carbone mondial serait donc de se désinvestir de projets climaticides mais aussi de laisser ses propres hydrocarbures dans son sous-sol. Il faut avoir recours aux hydrocarbures qui ont l’empreinte carbone la moins élevée que possible avant que d’autres formes d’énergies viennent les remplacer.
Rappelons que les hydrocarbures présents au Québec sont d’abord du gaz et du pétrole de schiste, deux formes très polluantes d’énergie. Les exploiter, comme le font les États-Unis, serait donc un non-sens, d’autant que l’on sait qu’un développement massif de cette industrie augmenterait le bilan d’émission de GES de 23%. Tout comme le fait d’autoriser l’approvisionnement des deux raffineries québécoises en pétrole issu des sables bitumineux. Sans parler de l’ineptie d’exploiter le gisement Old Harry qui expose notre Golfe et les îles de la Madeleine, deux joyaux de notre territoire, à une catastrophe.
En somme, nous réclamons un véritable moratoire sur l’exploration des énergies fossiles accompagné d’un désinvestissement massif de cette économie révolue. De nombreux endroits dans le monde l’ont compris et se montrent responsables. Il est là, l’avenir de nos enfants. Il est là, le seul vrai pragmatisme.
Les signataires sont des membres du collectif de la société civile québécoise présente à la COP21 : Manon Massé, Ana Pranjic, Michel Forgues, Raphaël Canet, Valérie Langlois, Sylvie Lemieux, David Welch, Martin Groleau, Jacqueline Romano-Tramanian, Fanny Beaulieu-Cormier. Linda Gagnon, Geneviève-Gaëlle Vanasse, Yasmina Britel, Marie-Noëlle Foschini.