Signer ou ratifier un accord, ce n’est pas la même chose !
L’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de l’ONU sont invités à New-York, le 22 avril prochain, au siège de l’ONU, pour une cérémonie officielle de signature de l’accord de Paris adopté lors de la COP21 (voir la lettre d’invitation envoyée par Ban Ki-Moon, secrétaire général de l’ONU, François Hollande et Ségolène Royal). Selon l’ONU, 60 chefs d’Etat et de gouvernement pourraient se rendre à New York, pour un total de 130 pays représentés, sur les 196 parties (195 Etats plus l’Union européenne) que comptent les négociations sur le réchauffement climatique.
Au lendemain du 22 avril, les Etats auront alors un an pour signer l’accord de Paris. Cette signature indique, selon les principes de la Convention de Vienne sur le droit des Traités (1969), un soutien politique et l’engagement à ouvrir un processus de ratification conforme aux dispositions internes du pays. Cette ratification, qui vient donc dans un second temps (article 20 de l’Accord de Paris), peut prendre des formes très différentes selon les pays : les Etats-Unis prévoient un simple décret exécutoire pris par la Maison-Blanche ; en France c’est le Parlement qui devra voter une loi de ratification tandis que l’UE, bien que partie prenante à part entière des négociations, ne pourra ni signer ni ratifier l’accord avant que chacun des 28 Etats-membres ne l’ait fait.
L’exemple du Protocole de Kyoto
Ce n’est que 30 jours après la ratification par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) que l’Accord de Paris entrera en vigueur et deviendra un Traité international (article 21). Comme l’a montré l’histoire du protocole de Kyoto, cela peut prendre un certain temps. Aucune date limite n’a été fixée. Signé le 11 décembre 1997 lors de la COP3 à Kyoto, le protocole de Kyoto n’est entré en vigueur que le 16 février 2005, soit huit ans plus tard. Pourtant, seulement quatre pays n’ont pas signé le protocole de Kyoto (Andorre, Afghanistan, Taïwan, Vatican) et un seul pays, les Etats-Unis, l’a signé sans le ratifier : plus de 180 pays ont ratifié, accepté, accédé ou approuvé le protocole de Kyoto.
Au cours des huit années qui ont précédé son entrée en vigueur, de nombreux pays ont chèrement monnayé leur ratification. Le Japon, l’Australie, le Canada, la Russie et d’autres, pleinement conscients que leur ratification était essentielle pour que le protocole de Kyoto entre en vigueur, ont ainsi utilisé ce moment pour affaiblir un certain nombre de dispositions (règles de conformité, de transparence et de vérification par exemple) qu’ils jugeaient contraires à leurs intérêts. La Russie a même monnayé sa ratification au fait que l’UE décide d’appuyer son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce. Ce que la Russie a obtenu (voir ici), lui permettant d’intégrer officiellement l’OMC le 22 août 2012.
Retarder la signature de l’accord de Paris pour créer un rapport de force ?
Agiter une possible non-ratification comme un moyen d’instituer un rapport de force n’est donc pas nouveau en matière de diplomatie climatique. C’est dans cette optique qu’une ONG travaillant avec les pays en développement, le Third World Network vient d’inviter les pays du Sud, à travers un document qui a été rendu public par la presse, à ne pas se presser pour signer l’Accord de Paris. L’ONG considère ainsi que « ne pas signer maintenant permet de maintenir une pression sur les pays développés afin qu’ils tiennent leurs promesses et afin d’obtenir des résultats jugés vitaux pour les pays en développement ».
Les arguments énumérés par l’ONG ne sont pas dénués de fondements. Un nombre conséquent de pays du Sud ont pris des engagements dans le cadre de l’accord de Paris (pour l’après 2020) à la condition que les pays historiquement les plus émetteurs de GES remplissent leurs propres pour la période pré-2020. Il est notamment demandé aux pays les plus émetteurs de ratifier un amendement du protocole de Kyoto, rédigé et validé en 2012 à Doha : alors que le paragraphe 105 des décisions prises lors de la COP21 exhorte les pays à ratifier cet amendement au plus vite, l’UE, par exemple, ne l’a toujours pas fait.
« Si les pays développés sont réticents à honorer leurs engagements pré-2020, comment peut-il ne pas y avoir de doute sur le fait qu’ils remplissent les objectifs fixés dans le cadre du protocole de Kyoto » s’inquiète l’ONG ? Alors que de nombreux pays du Sud ont besoin d’un soutien financier accru, y compris pour pouvoir s’engager pleinement dans le cadre de l’accord de Paris, le Third World Network rappelle à juste titre que de nombreux engagements financiers ne sont pas tenus : sur les 10 milliards de dollars par an promis pour le Fonds Vert pour le climat, à peine 6,8 milliards sont à ce jour disponibles. Et personne ne sait d’où viendront les 100 milliards de dollars qui doivent être mobilisés d’ici à 2020. Pour l’ONG, ne pas signer tout de suite l’Accord de Paris permettrait aux pays du Sud d’être en position de force sur tous ces sujets, y compris lorsqu’il sera question de définir le processus de travail post-COP21.
A New-York, une photo pour masquer les inerties politiques et économiques ?
Quel que soit l’avis que l’on peut porter sur ces recommandations du Third World Network, y compris sur la dichotomie (pour partie) dépassée entre pays développés et pays en développement, le document de l’ONG nous rappelle qu’un processus de ratification d’un Traité international ne peut se réduire à une procédure technique ou juridique. Une ratification reste fondamentalement un moment politique où se jouent des arbitrages, des rapports de force et des décisions importantes pour l’avenir et la mise en œuvre dudit Traité. Rien ne dit à ce stade que le processus de signature et de ratification de l’Accord de Paris ne sera pas l’objet de marchandages similaires, désistement et renoncement, que pour le protocole de Kyoto.
L’exemple des Etats-Unis qui ont signé mais qui n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto rappelle également que ce sont les ratifications, et non les signatures, qui importent dans l’optique de l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris. Il ne fait guère de doute que la photo qui sera prise à New York, le 22 avril, sera belle et, qu’à grands renfort de communication, on ne manquera pas d’embellir l’engagement de la communauté internationale pour « la mise en œuvre des résultats de Paris ». Histoire d’en rajouter une couche sur le caractère historique de l’accord de Paris et masquer les inerties politiques et économiques actuellement à l’oeuvre aux quatre coins de la planète.
Ratifier vite au détriment de l’ambition climatique ?
Une photo que François Hollande et Ségolène Royal ne manqueront pas non plus d’utiliser pour montrer leur leadership international et tenter de camoufler les reculades du gouvernement français, pourtant désormais visibles au grand jour, en matière de transition énergétique (voir ce CP d’Attac France). Mais il y a plus grave. En faisant de la ratification rapide de l’accord de Paris l’unique axe de mobilisation du gouvernement français, François Hollande et Ségolène Royal sont en train de bafouer un engagement clef de l’Accord de Paris : réviser au plus vite les engagements de réduction d’émissions pour limiter le réchauffement de la planète en deçà de 2 °C, et si possible en deçà de 1,5 °C.
Le point 2.17 de la décision de la COP 21 est pourtant extrêmement clair à ce sujet : « les niveaux d’émissions globales de GES en 2025 et 2030 estimés sur la base des contributions [nationales] ne sont pas compatibles avec les scénarios […] prévoyant une hausse de la température de 2 °C ». En conclusion de la COP21, François Hollande s’était d’ailleurs engagé à « réviser les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre » de la France au plus vite. Un tel engagement nécessiterait une mobilisation de tous les instants au niveau européen pour faire bouger les lignes et obtenir des politiques européennes plus ambitieuses.
A ce jour, pour faciliter la ratification du texte, le gouvernement français a préféré entériné les propositions de la Commission européenne qui refuse de se donner plus d’ambition d’ici à 2030 (voir ce décryptage). Ce qui revient à institutionnaliser la procrastination et à saboter l’objectif des 2°C de réchauffement maximal. Vouloir ratifier à tout prix, au plus vite, plutôt qu’utiliser ce moment pour élever l’ambition des politiques climatiques, ne saurait faire une politique. Ratifier c’est bien, changer de politique, ce serait mieux.
Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.
Auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition,Seuil, coll. Anthropocène.
@MaximCombes sur twitter