Le cycle de Doha, entamé en novembre 2001, visait officiellement à intégrer les pays les moins avancés au « système commercial multilatéral ouvert ». Face à la multiplication des critiques, y compris du mouvement altermondialiste, il s’agissait de faire la preuve que la libéralisation des échanges n’était pas la finalité ultime des négociations et pouvait s’accompagner du développement économique des populations et des pays les moins « développés ».
Une négociation commerciale classique
Le cycle de Doha s’est finalement transformé en négociation commerciale classique : accès aux marchés, suppression des barrières non tarifaires etc. L’accord sur la « facilitation des échanges » obtenu en 2013 à Bali, seul accord en quinze années de négociations, en témoigne : il facilite la vie des multinationales sans résoudre les problèmes soulevés par les pays en développement (voir notre analyse sur ce même site).
Le directeur général de l’OMC, Roberto Azevedo, ne semble pas avoir la volonté de changer. Au lendemain de la conclusion de l’accord de Paris, il signait une tribune pour expliquer qu’il faut « faire du commerce un allié dans la lutte contre les changements climatiques ». Objectif ? Poursuivre la libéralisation du commerce mondial, notamment pour le secteur des « biens et services environnementaux », supposée faciliter la diffusion « des technologies de pointe (...) à un coût beaucoup plus bas ». Qu’importe que cette théorie du « soutien mutuel » soit très discutable sur le plan théorique et pas vraiment vérifiée dans les faits .
Quand le commerce mondiale prime sur l’urgence climatique...
Qu’importe également que les règles qui organisent le commerce mondial priment sur l’urgence climatique. La Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique, établie en 1992 à Rio de Janeiro, sacralise ainsi la libéralisation du commerce et de l’investissement. Il n’est pas question que « les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques [...] constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce », exprime clairement son article 3.5.
En amont de la COP21, la Commission européenne avait d’ailleurs clairement explicité dans un document secret - rendu public suite à une fuite - qu’elle ne voulait voir aucune « mention explicite du commerce » dans l’accord de Paris, de même que des questions de propriété intellectuelle. Objectif atteint : le paragraphe qui donnait les moyens aux pays pauvres de ne pas être contraint par les droits de propriété intellectuelle pour accéder aux technologies « vertes » a été supprimé, tout comme celui visant à inclure l’aviation et le transport maritime dans l’accord.
Une dichotomie intenable
L’UE a donc obtenu le maintien de cette dichotomie intenable : à l’OMC et aux accords bilatéraux / régionaux tout ce qui concerne le fonctionnement de l’économie mondiale. A l’ONU et aux négociations climat tout ce qui se trouve en aval de cette machine à réchauffer la planète, c’est-à-dire ce qu’il se passe en bout et au delà de là cheminée quand les émissions de GES sont relâchées dans l’atmosphère. A l’OMC les accords contraignants avec mécanismes de sanction. A l’ONU les accords additionnant des engagements volontaires sans mécanisme de sanction.
Comme s’il était possible de polluer drastiquement drastiquement moins sans toucher à l’organisation de l’économie mondiale.
Ce pare-feu, que l’accord de Paris entérine, désarme les meilleures volontés et entrave les politiques de lutte contre les dérèglements climatiques et/ou de transition énergétique. Comme s’il était possible de réduire drastiquement les émissions de GES sans toucher à l’organisation même de l’économie mondiale. C’est impossible. Les exemples ne manquent pas. Ainsi la province canadienne de l’Ontario avait décidé de fermer des centrales thermiques au charbon pour développer des énergies renouvelables à l’aide d’un dispositif de tarif préférentiel de rachat de l’électricité pour les entreprises utilisent majoritairement de la main d’œuvre locale et des matériaux locaux. Ce dispositif, qui avait créé 20 000 emplois, a été jugé non conforme aux règles commerciales par l’Organisme des Règlements des différends de l’OMC et a du être démantelé.
Un résultat nocif
Le résultat est extrêmement nocif : les règles du commerce prévalent, même au prix de la planète. Comme le montrent les résultats de trente ans de politiques de lutte contre les dérèglements climatiques, une telle approche atteint ses limites. N’est-il pas temps que les règles et principes d’organisation de l’économie mondiale et du commerce international soient soumises à l’objectif climatique ? Les principes de l’économie mondiale - et ses dirigeants - peuvent-ils rester dans le déni de l’état d’urgence climatique auquel nous sommes confrontés ?
L’accord de Paris sur le climat a montré que le multilatéralisme onusien n’était pas mort. Encore faudrait-il le doter des outils pour qu’il ne reste pas une coquille vide. Inverser la hiérarchie des normes, intégrer l’OMC dans le giron de l’ONU, confier aux négociations sur le réchauffement climatique la possibilité d’intervenir sur les principes mêmes de l’économie mondiale, voilà quelques pistes dont il faudrait débattre urgemment. C’est un vaste chantier. Mais la « révolution climatique » annoncée par François Hollande n’est-elle pas à ce prix ?
* « Négociations commerciales et COP21 : une dissociation aberrante ». La Tribune. 21/12/2015, 9:22 :
http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/negociations-commerciales-et-cop21-une-dissociation-aberrante-537441.html
* Maxime Combes, économiste et membre d’attal France, a publiéSortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, coll. Anthropocène.