On ne doit pas se surprendre qu’un accord soit intervenu à Paris sur les changements climatiques. Malgré un scepticisme justifié, la pression sur les gouvernements était devenue à ce point importante que l’atteinte d’une entente devenait nécessaire. La faillite des accords de Kyoto, l’échec de Copenhague en 2009 et le peu d’avancée pour contrer les changements climatiques ont accumulé un discrédit énorme sur la capacité des élites politiques de la planète à pouvoir agir sur le climat. C’est pourquoi le tandem Hollande-Fabius avait fixé l’objectif de convenir d’une « entente audacieuse et contraignante ». Les dirigeants de la planète, les États-Unis et la Chine en tête, se sont rendus à Paris suivant cet objectif. Maintenant que l’accord est conclu et célébré, une bataille intense va se poursuivre sur le terrain.
Est-ce un accord qui peut conjurer la catastrophe ?
Alors que Laurent Fabius présentait avec fierté l’entente qui énonce le principe de se limiter à une limite en deçà de 2 degrés C, la plupart des médias constatent que les engagements pris à ce jour par les États membres amèneraient plutôt un réchauffement de 3 degrés C et plus ! Nombreux sont les commentaires qui confirment que cette entente n’est ni audacieuse ni contraignante, et laisse entière la possibilité d’un dérèglement majeur !
À la différence des accords de libre-échange, aucune sanction n’y est prévue. La principale contrainte est l’obligation, pour les états, de publier leur contribution nationale. De plus, 10% des sources émettrices de CO2 ne sont pas prises en compte, étant donnée l’exclusion de l’aviation civile et du transport maritime, domaine caractéristique du commerce mondial qu’on ne peut imputer à un État particulier.
Alors qu’il est urgent d’agir, l’entente entrera en vigueur en 2020, si 55 % des gouvernements consentent à poursuivre les cibles qu’ils définissent. Ainsi, 45% pourront se désolidariser, sans compromettre l’entente. Cinq ans plus tard, soit 2025, on prévoit la révision de ces cibles ainsi que des sommes consenties pour soutenir les efforts de pays du Sud. Il s’agit du seul moment prévu pour donner un coup de barre pour se centrer sur un réchauffement de moins de 2 degrés C, étant donné que les engagements actuels ne visent finalement que 3 degrés C. La révision subséquente viendrait en 2030. Plusieurs considèrent ce calendrier comme relevant de la pensée magique.
De plus, il ne s’agit pas d’une entente qui va assurer la justice environnementale sur la planète. Les efforts de financement ne répondent pas aux exigences identifiées actuellement des pays qui vont en sentir les conséquences. Les Bill Gates de ce monde pourront donner toute leur fortune à la transition, il n’y aura pas de véritable transition tant que les transnationales comme Microsoft feront produire des biens dans les pays du Sud avec des méthodes utilisant le maximum de produits toxiques et pétroliers. Cette entente ne concerne pas le problème systémique.
La reconnaissance d’un réchauffement dû aux énergies fossiles
L’avancée de cet accord ne se trouve pas dans ce qui a été conclu, mais dans ce qu’il représente. Il s’agit de la reconnaissance que le réchauffement de la planète constitue un danger pour l’humanité. Adopté à l’unanimité par les 195 pays participants à la conférence de l’ONU, on peut conclure qu’il n’y a plus un gouvernement, ni aucun climato-sceptique qui peut nier les changements climatiques. Et la source du problème : la consommation sans limites des énergies fossiles. Cette reconnaissance est le résultat de la mobilisation internationale des scientifiques, des écologistes et des militantes et de militants des mouvements sociaux.
Tout en critiquant les limites de cette entente, on doit l’utiliser comme un outil pour mener la bataille, ici comme ailleurs, pour une véritable transition vers un nouveau modèle énergétique et pour la justice climatique et sociale. En chemin, nous allons rencontrer les véritables verrous systémiques à la lutte sur les changements climatiques : le pouvoir du commerce et des entreprises, grandes comme petites, qui ont comme principe de ne tolérer aucune contrainte dans leur activité !
Le réchauffement a déjà commencé
Le réchauffement a déjà commencé. Si les contraintes mises en place dans chacun des États ne sont pas plus importantes et ne se traduisent pas dans les activités économiques, le dérèglement de la nature pourrait conduire à des catastrophes importantes. Rappelons que, pour contenir le réchauffement en deçà de la limite de 2 degrés C, on doit laisser 80% des énergies fossiles connues dans le sol et réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 à 70% d’ici 2050, par rapport à 2010.
Les enjeux au Québec et au Canada passent par le maintien dans le sol des énergies fossiles, que ce soit les sables bitumineux, les plus polluants des exploitations pétrolières dans le monde, mais aussi les gaz de schiste ou toute autre énergie fossile. Le nouveau gouvernement de Justin Trudeau propose un tournant vert, mais accepte d’inverser la circulation du pétrole des sables bitumineux du pipeline no9. La demande de Transcanada pour en construire un nouveau doit être écartée.
Philippe Couillard a émis des réserves concernant l’exploitation des hydrocarbures sur l’île d’Anticosti. Il prétend toutefois ne pas pouvoir agir, étant donné les contrats signés par le Parti québécois ! Il a aussi célébré, lors de la soirée du Canada, la contribution de Gaz métropolitain comme une énergie alternative aux combustibles plus polluants. Nous devons empêcher la fracturation pour extraire le gaz de schiste, mais aussi proposer des investissements dans les énergies renouvelables, véritable levier économique pour engager une transition énergétique viable.
Les accords de libre-échange contre la transition énergétique
Engager une véritable transition énergétique, c’est aussi s’opposer aux accords de libre-échange actuellement en discussion. Non seulement l’entente de Paris ne prévoit aucune sanction, mais la primauté du commerce ici comme ailleurs n’est pas remise en question. La bataille pour limiter les impacts des changements climatiques remet à l’avant-scène l’importance de la réglementation pour encadrer les échanges commerciaux.
Ainsi, le Partenariat transpacifique (PTP) restreint notre capacité à lutter contre les impacts des changements climatiques et les projets de traités transatlantiques (AÉCG-CETA et TTIP-TAFTA) sont aussi nocifs pour l’environnement. Pour atteindre les cibles prévues dans l’entente de Paris, on devra invariablement faire échec au principe de dérèglementation des accords de libre-échange pour assurer l’atteinte des objectifs de justice sociale et environnementale.