Édition du 12 novembre 2024

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Féminisme

Réponses du RQCALACS à Sophie Durocher sur les allégations d'agressions sexuelles

Le 22 octobre dernier, Sophie Durocher signait un texte (1) dans le Journal de Montréal à propos des récentes allégations d’agressions sexuelles qui visent le député Gerry Sklavounos. Le billet consiste en une série de questions et la journaliste assure qu’elle ne pose ces questions ni pour juger, ni pour condamner, ni pour faire procès, mais bien pour comprendre. Le Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS) a cru bon lui répondre. Nous ferons donc comme si la journaliste avait bien fait son travail et qu’au lieu de donner une voix à tous ses préjugés sur les agressions à caractère sexuel, elle avait appelé celles qui travaillent depuis plus de 35 ans auprès des survivantes, et avait publié l’entrevue que nous lui aurions accordée.

Voici le billet que ça aurait donné  : 

Sophie Durocher (SD)  : Pourquoi raccrocher au téléphone quand une enquêteure de police appelle mais répondre au téléphone aux  appels de journalistes qui demandent des entrevues (radio, télé, journaux) ?

RQCALACS  : Il est très fréquent que des femmes ayant été victimes d’agression à caractère sexuel portent plainte à la police, puis décident de retirer leur plainte, ou de simplement cesser de donner suite aux appels des policiers. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce type de comportement  : les sentiments de honte et de culpabilité que ressentent la très grande majorité des victimes, la peur de ne pas être crues, la peur que l’agresseur ne soit pas condamné, la peur des représailles de la part de l’agresseur, la réception des policiers, la peur de devoir raconter leur histoire à plusieurs reprises, l’envie de passer à autre chose, de ne plus penser aux agressions subies. Alice l’explique d’ailleurs très bien dans ce billet paru dans le Devoir le 24 octobre. 

SD  : Pourquoi affirmer dans trois entrevues différentes 1-«  je ne sais pas si j’ai dit non  », 2- «  j’ai clairement dit non  », 3-«  si je ne dis pas oui, c’est non  ».

RQCALACS  : Encore une fois, il est très fréquent que les victimes d’agression à caractère sexuel aient des souvenirs flous de ce qui leur est arrivé. La plupart d’entre elles vivent l’agression comme un traumatisme. Certains éléments sont refoulés, d’autres sont très clairs. Avec le stress qu’une entrevue avec un policier ou avec un-e journaliste peut créer, il n’est pas étonnant que l’histoire des victimes d’agression se contredise à certains égards. Il faut aussi noter que la notion de consentement est extrêmement mal comprise par l’ensemble de la population. Il est possible qu’Alice ait mentionné à un-e journaliste qu’elle avait clairement dit non pour être certaine que les gens la croiraient. Il est également possible que sa parole ait été remise en question à un point tel qu’elle ne sache plus elle-même si elle a dit non ou pas. Mais au fond, qu’est-ce que ça change ? Faut-il encore répéter que «  sans oui, c’est non  » ? Qu’elle ait dit non clairement ou pas, le simple fait qu’elle n’ait pas exprimé un oui enthousiaste lors de ce rapport sexuel est suffisant pour parler d’agression sexuelle. Si des journalistes bien informés lui avaient posé des questions plus adéquates, Alice ne se serait peut-être pas contredite. 

SD  : Pourquoi laisser entendre que les policiers l’ont dissuadée de porter plainte pour affirmer moins de 24 heures plus tard que les policiers ne l’ont jamais dissuadée de porter plainte et que ce sont plutôt ses proches ?

RQCALACS  : Il faut comprendre, comme Alice l’indique elle-même dans ce billetparu dans le Devoir (nous ne vous tiendrons pas rigueur de ne pas en avoir pris note, Mme Durocher, puisque ce billet est sorti après le vôtre), que sa prise de parole était spontanée, et probablement très émotive, puisqu’elle visait à soutenir les survivantes des agressions commises dans les résidences de l’Université Laval. Il ne s’agissait donc pas d’un discours de première ministre, rédigé par des spécialistes et où chaque mot est pesé et réfléchi. Alice n’a jamais dit que les policiers avaient tenté de la dissuader ; elle a dit que la plainte n’avait pas abouti. Nuance. Il nous semble que d’interpréter les propos d’Alice de cette manière, en plus de se baser sur cette interprétation pour affirmer qu’elle se contredit, relève de la mauvaise foi et d’un manque de sensibilité à l’égard des survivantes d’agression sexuelle.

SD  : Pourquoi évoquer des «  points de suture  » qu’elle aurait dû subir suite à sa présumée agression pour «  reculer moins de 24 heures plus tard, après une discussion avec ses avocats  » ? La question qu’on devrait se poser, ici, puisqu’on ne peut répondre pour Alice, c’est qu’est-ce que ça change, réellement, qu’elle ait eu des points de suture ou non ? On banalise énormément les agressions à caractère sexuel qui n’occasionnent aucune blessure physique. Combien de fois les intervenantes des CALACS ont entendu, dans leur bureau  : «  moi, ce n’est pas si grave, ce qui m’est arrivé, c’était juste des attouchements, ce n’était pas vraiment violent  ». Pour qu’une victime d’agression soit crue, au Québec comme un peu partout dans le monde, il faut qu’elle montre que c’était violent physiquement. Autrement, on remettra en question qu’elle ne désirait pas le rapport sexuel en question. La preuve  : vous accorder beaucoup d’importance à ces points de suture. Il semble qu’il faut, une fois de plus, répéter que «  sans oui, c’est non  », peu importe le degré d’agressivité de son agresseur. C’est la manipulation que les agresseurs utilisent pour arriver à leur fin, pas la force physique. 

SD  : Pourquoi affirmer que la deuxième rencontre a eu lieu pour confronter le député à ce qu’il avait fait pour ensuite dire que la deuxième rencontre a eu lieu parce que «  je suis un peu masochiste  ». 

RQCALACS  : En quoi ces deux affirmations sont-elles contradictoires ? Confronter son agresseur, pour certaines, peut être un comportement masochiste. En effet, avez-vous vraiment besoin d’explications pour comprendre qu’il n’est jamais facile de confronter un homme qui nous a agressé sexuelle. Ne seriez-vous pas en train de chercher des problèmes là où il n’y en a pas, Mme Durocher  ? 

SD  : [L]e danger quand on dit d’emblée «  On vous croit  » ou qu’on utilise le mot-clé "on vous croit" c’est qu’on se met la main dans le tordeur  : peut-on vraiment croire une version si elle est contredite le lendemain  ? 

RQCALACS  : Tout à fait, pour toutes les raisons évoquées plus haut. 

SD  : Quand on dit à une présumée victime  : «  On vous croit », on fait quoi quand elle-même se dédit de certains éléments de son témoignage  ? 

RQCALACS  : On la croit toujours, parce qu’on comprend bien tous les mécanismes impliqués dans le phénomènes des agressions à caractère sexuel (la manipulation, la peur, la honte, etc). Et, de toutes façons, on comprend bien quelles attitudes adopter [http://www.rqcalacs.qc.ca/projets/31-resume-des-12-attitudes-aidantes] auprès des survivantes, alors on ne lui a pas posé de questions inutiles sur l’agression sexuelle, on l’a laissée nous en parler au moment où elle s’en sentait prête, et on l’a écoutée [http://www.rqcalacs.qc.ca/projets/20-attitude-aidante-2-ecouter-sans-juger] sans la juger. 

Vous dites, Mme Durocher, que vous écrivez ce billet «  pour faire ce que font les journalistes  ». Plusieurs journalistes ont effectivement couvert la question, c’est effectivement «  ce que font les journalistes  ». Mais les journalistes ont le devoir de choisir un angle d’approche pour leurs articles qui sera pertinent et fera avancer les débats, plutôt que de les faire reculer. Et certains-es journalistes font des choix plutôt questionnables à cet égard. Vous, par exemple, qui remettez en doute la crédibilité d’une femme qui a vécu un traumatisme et qui est sollicitée, de tous bords tous côtés, pour parler de cet événement traumatique vécu deux ans plus tôt. Mais également Denise Bombardier, qui choisit de «  conscientiser  » les femmes en leur disant que «  [n]’importe quelle femme est susceptible d’être agressée par un prédateur. En fait, aucune femme, aussi forte et puissante soit-elle socialement, n’échappe à la loi de son sexe, qui est d’avoir peur sans protection masculine » . Lise Ravary aussi, a choisi de nier l’existence de la culture du viol parce que notre «  société ne le mérite pas  ». En effet, Mme Ravary mentionne qu’«  [a]u Québec en 2013, 3789 agressions sexuelles de niveau un (sans violence), 48 de niveau deux (agressions sexuelles armées) et 18 de niveau trois (intention de blesser) ont été rapportées  » et «  [qu’]il serait exagéré de dire que nous sommes aux prises avec un problème qui dépasse l’entendement.  » Heureusement, d’autres journalistes ou chroniqueurs-ses ont fait de meilleurs choix éditoriaux  : Marie-Michèle SiouiTamara AltérescoMichel ViensBoucar DioufLaurence RicardHugo DuchaineMartine DelvauxLouis-Denis EbacherDominic Tardif et plusieurs autres. 

Mme Durocher, ce n’est pas de gants blancs dont vous aviez besoin pour parler de «  l’affaire Alice Paquet vs Gerry Sklavounos  », ni de tourner «  sept fois [vos] doigts au-dessus de [votre] clavier  », vous aviez tout simplement à être mieux informée sur la problématique des agressions à caractère sexuel. La prochaine fois que vous écrirez sur la question, appelez-nous donc ! Il nous semble que si vous aviez réellement voulu comprendre la situation, ça aurait été plus productif de nous appeler que de publier vos questions dans le journal.

1- http://www.journaldemontreal.com/2016/10/22/alice-quelle-version-croire

Stéphanie Tremblay

Militante Regroupement québécois des CALACS 

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