Édition du 17 décembre 2024

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Question nationale

Réflexions sur l'Allocution de Monsieur Jacques Parizeau sur le bilan du mouvement souverainiste

Dimanche le 21 septembre dernier, un discours de Jacques Parizeau était diffusé en circuit fermé à plus de 800 indépendantistes réunis au théâtre de l’Olympia. Il fut reçu par l’assistance avec enthousiasme. Ce discours a cependant déplu à certains députés péquistes. Stéphane Bédard, chef de l’opposition officielle et député de Chicoutimi, a caractérisé le discours de Parizeau d’éteignoir. Jean-François Lisée a, pour sa part, déploré le caractère trop sévère des critiques adressées au Parti québécois. Nous essaierons de rendre compte de ce discours et de réfléchir sur les solutions proposées par Monsieur Parizeau pour la relance du mouvement souverainiste. Nous allons en profiter pour identifier les angles morts et autres points aveugles de l’analyse de la démarche qu’il propose.

Question 1 : Sur quelles bases propose-t-il de reconstruire le mouvement souverainiste ?

Il parle de reconstruction, car “les souverainistes sont un champ de ruines ” et il se désole de l’existence d’une confusion dans les esprits, mais il ne cherche pas à expliquer cette situation en faisant un bilan le moindrement serré des différentes péripéties historiques qui aurait engendré la situation actuelle du mouvement souverainiste.

Il attribue à l’ambiguïté, à l’irrésolution de l’état-major péquiste une désorientation néfaste et destructrice. Il faut rebâtir à partir d’idées claires. Il faut dire clairement l’objectif qui est poursuivi : indépendance, séparation, souveraineté, c’est une seule et même chose. Et il reprend la définition historique que l’on peut trouver dans les différents programmes du Parti québécois : la souveraineté, c’est le pouvoir de faire toutes ses lois, de prélever tous ses impôts et de signer tous ses traités. Mais, il ajoute que ce point de vue n’est pas unanimement partagé, car certains péquistes comptent sur une “fièvre souverainiste ” pour obtenir un meilleur deal d’Ottawa. Se rappelle-t-il la concession qu’il avait dû faire à Lucien Bouchard au référendum de 95 sur le partenariat avec le Canada : “... le partenariat recherché du fédéralisme par Bouchard pourrait facilement faire glisser le Québec sur la pente savonneuse d’un nouveau pacte fédératif plutôt que de mener à son indépendance. [1] Bouchard envisageait, en effet, que dans l’éventualité d’un oui, les négociations avec Ottawa “auraient pu déboucher sur quelque chose de moins que la souveraineté.” [2] “Il y a des gens des deux bords maintenant” déclare Jacques Parizeau pointant l’ambiguïté dans le camp souverainiste sur cette question. Faut-il comprendre cette affirmation comme une critique de la gouvernance souverainiste ? Peut-être. Mais, on comprend mieux son expression “champ de ruines” alors que même sur l’objectif central du mouvement souverainiste, l’ambiguïté s’est installée.

Cette confusion dans le discours péquiste a une longue histoire cependant : de l’indépendance à la souveraineté-association, de la souveraineté-partenariat en passant par l’affirmation nationale, toute l’histoire du PQ a été marquée par une constante valse-hésitation à cet égard, et particulièrement lors des moments décisifs, référendums ou négociations constitutionnelles... Par son appel à la clarté, Parizeau éclaire la pointe de l’iceberg, mais il n’explique en rien l’épaisseur historique des ambiguïtés du discours de son parti et de ses fondements.

Question 2 Par quels moyens parvenir à la souveraineté du Québec ?

Jacques Parizeau affirme qu’il existe trois moyens, soit trois hypothèses stratégiques et seulement trois :

 La violence qu’il rejette, car le Québec veut une approche démocratique.

 Un vote au parlement. Ce moyen de parvenir à la souveraineté, il y a cru et il mentionne que dans nombre de pays, l’indépendance s’est faite suite à un tel vote.

 Un référendum... C’est le choix qu’a fait le Parti québécois et il a accepté pour sa part cette décision démocratique.

En fait, les hypothèses stratégiques soulevées sont rachitiques. Pour parvenir à la souveraineté, il faut indiquer les obstacles. L’État canadien va-t-elle accepter une indépendance à froid ? Les dirigeants canadiens vont-ils se comporter comme de grands démocrates respectueux de l’expression de la volonté politique du peuple québécois ou au contraire, tenter de miner le droit du Québec à l’autodétermination ? Qu’est-ce qui pourrait amener l’État canadien à accepter la perte de son contrôle sur le Québec ? Quel niveau de mobilisation et de détermination de la majorité de la population québécoise rendra possible l’accession à l’indépendance ? Quelles formes d’actions pourraient exprimer cette détermination au-delà d’un simple vote ? Ces questions stratégiques essentielles demeurent hors champ.

Le silence demeure total sur le passage de l’hypothèse de l’accession à l’indépendance par un simple vote au parlement à la question du vote référendaire. Et pourtant, Monsieur Parizeau n’a pas été étranger à ce débat. Et il sait très bien que l’adoption du modèle référendaire permettait d’opérer la séparation entre la mise en place d’un bon gouvernement de la démarche souverainiste elle-même ? Toute l’histoire du Parti québécois, par la suite, sera marquée, par l’importance de plus en plus grande accordée à la conquête du pouvoir provincial, comme si la capacité démontrée d’administrer correctement un gouvernement provincial par des souverainistes devenait la voie royale de la légitimation de l’indépendance. Cette aspiration à la formation d’un gouvernement provincial deviendra la préoccupation essentielle, et la volonté d’éviter de faire de chaque élection une élection référendaire sera de plus en plus ouvertement affirmée et appliquée. Avec la gouvernance souverainiste et un éventuel référendum remis aux calendes grecques, le PQ franchissait le Rubicon et sa crise stratégique devenait évidente aux yeux d’une grande partie de la population.

Question 3 : Pourquoi les élections sont un moment essentiel de la légitimation de la démarche souverainiste d’un gouvernement indépendantiste ?

Pour l’ancien chef péquiste, les élections sont essentielles parce que ce sont les élections qui donnent le mandat pour agir. Il peut y avoir des mouvements citoyens pour l’indépendance, mais on ne peut changer les choses sans passer par la politique, par le parti politique et par l’action parlementaire... Cela pourrait, dit-il se faire par la révolution, mais on n’en veut pas. Quand on fait une élection, quand on est prêt et quand les circonstances s’y prêtent, il faut demander un mandat pour agir pour l’indépendance du Québec. Il faut demander un mandat pour faire un référendum. À l’époque, rappelle-t-il, j’ai dit à la population : « si vous votez pour le Parti québécois, vous savez qu’il va y avoir un référendum dans les 8 à 10 mois. » Avec un tel mandat, on peut utiliser les ressources gouvernementales pour faire la promotion de l’indépendance et pour se préparer dans cette direction.

Il est clair que dans la stratégie de Jacques Parizeau, la démarche souverainiste appartient au parti politique souverainiste. La souveraineté populaire, la prise de parole du peuple n’est pas au centre de l’exercice. Comme l’affirmait Jean-Pierre Charbonneau à la journée de DestiNation, le mot au d’ordre au PQ, a toujours été : “sortir, parler convaincre”. Écouter n’était pas dans le slogan... Même l’exercice des comités sur l’avenir durant la campagne référendaire de 95 était encadré de telle façon que les conclusions étaient déjà tirées. Tu ne convies pas un peuple à préparer son avenir, si tu as décidé de l’orientation que tu veux qu’il prenne...ajoute Jean-Pierre Charbonneau.

En fait, il faut que la souveraineté populaire soit au centre de la démarche souverainiste. La souveraineté populaire affirme que le seul pouvoir légitime vient du peuple. Elle repose sur la diversité des expressions de la souveraineté populaire et s’inspire de la démocratie participative. Ainsi, un parti indépendantiste doit chercher à créer les conditions de la libération de la parole, pour que le peuple puisse décider de la suite des choses. La mise en place de vastes exercices de démocratie participative et l’élection d’une assemblée constituante sont essentielles à cet égard. Cette démarche de souveraineté populaire va permettre au peuple de faire les choix essentiels : proposer des institutions, définir des valeurs et des droits individuels et collectifs. Le référendum ne doit pas être l’essentiel du processus, mais la conclusion d’une véritable mobilisation populaire pour un Québec indépendant voulu par le peuple.

Question 4 : Dans le discours de Parizeau, que signifie se préparer à la souveraineté ?

Il faut être clair avec la population qu’on veut réaliser la souveraineté. Il faut préciser comment cela va se produite nous dit Parizeau. Il ajoute, de façon significative : les gens ont besoin de savoir où on va les amener. Jacques Parizeau insiste sur l’honnête, la droiture, l’esprit de décision des états-majors d’un mouvement indépendantiste qui n’hésite pas à aller chercher les mandats nécessaires pour enclencher ces processus. Mais la place qu’il donne à la vaste majorité du peuple n’est pas au centre de sa démarche. La façon qu’il conçoit la préparation du référendum est révélatrice à cet égard.

Les préparatifs mis en oeuvre découlent de cette approche : “constitution d’une réserve de dix-sept milliards de dollars pour permettre au Québec d’intervenir sur les marchés afin d’amortir le choc initial d’un vote Oui sur les obligations de la province.”, établissement de liens internationaux pour favoriser la reconnaissance du Oui au niveau international, mise sur pied d’une équipe de négociation avec l’État fédéral avec des mandats très clairs... [3]

Nous ne sommes pas dans la logique de permettre au peuple, dans une démarche de souveraineté populaire, de devenir maître de son destin. Nous sommes dans la logique d’une direction capable de mobiliser et de convaincre et de faire face aux différents aléas du combat. Essentiel à un niveau, mais qui laisse de côté le renforcement, la mobilisation et la cohésion des différentes organisations de la société civile pour qu’elles puissent faire face au travail de déstabilisation de l’État fédéral.

Question 5. Dans une tel cadre stratégique, quel type de parti veut-il essayer de reconstruire ?

a) reconstruire le Parti québécois d’antan

Jacques Parizeau n’hésite pas à poser une question centrale : est-ce que le Parti québécois est encore le bon véhicule ? Faut-il envisager de construire un autre parti ? Et sa réponse est claire : il propose la reconstruction du PQ comme parti indépendantiste, comme parti unique du mouvement souverainiste. Il parle de reconstruction, car son diagnostic est sévère. Plus, pour lui, il faut que tout le monde se retrouve dans le Parti québécois. Il faut un parti du monde ordinaire qui ne favorise aucun groupe de la société. Il faut un parti qui favorise l’harmonie qui sait unir organisations patronales et organisations syndicales.

Cette vision du parti qui unit la gauche et la droite néglige de rappeler que cette unité de la gauche et de la droite s’est toujours faite fait sur un terrain favorable à la droite. Depuis le tournant des élites québécois, le Parti québécois a toujours soutenu le libre-échange, la privatisation des services publics, l’exploitation du pétrole dans le St-Laurent, le passage des oléoducs transportant le pétrole des sables bitumineux sur le territoire québécois. La gauche sociale qui s’y est laissée entraîner s’y est retrouvée entravée. Les mesures progressistes n’ont été ressorties que durant les campagnes électorales.

b) redéfinir le projet politique et expliquer à la population que la constitution canadienne travaille contre elle

Il fait un constat qui le navre : il n’y a pas beaucoup d’idées qui circulent dans le parti amiral. Il faut, martèle-t-il encore, définir le projet poursuivi et pour cela, il est nécessaire de déterminer ce qui va se négocier et ce qui ne se négociera pas, d’établir où vont passer les frontières, de préciser comment on va administrer la machine et éliminer les doublons, d’élaborer ce que sera la politique internationale d’un Québec indépendant. Il faut des études et attirer des recherchistes pour ce faire. Il faut également utiliser les questions d’actualité pour dénoncer les politiques fédérales et en quoi elles s’opposent aux intérêts du Québec. Il dénonce le passage d’oléoducs sur le territoire du Québec qui ne répond nullement aux intérêts du Québec alors que ce dernier prend tous les risques écologiques. On n’a pas le pouvoir de s’y opposer, déplore-t-il. Ils ont tous les pouvoirs constitutionnels pour le faire...

Ici aussi, Parizeau, dénonce, mais n’explique pas. Quand, les principales préoccupations d’un parti et d’un gouvernement se concentrent sur l’administration d’une province du Canada, la place du projet d’indépendance occupe bien peu de place. Et depuis, 96, c’est essentiellement les tenants d’une ligne néolibérale et autonomiste qui occupent le haut du pavé dans ce parti. Les Bouchard, Boisclair, Marois, Legault et autres Facal ont, chacun à leur façon pris leur distance avec l’indépendance du Québec... Mais plus grave, en fait, le Parti québécois est devenu un parti verticaliste instrument de production d’une oligarchie ayant comme principale aspiration de produire une équipe capable d’assurer l’alternance au pouvoir à Québec. Plus fondamental cependant, encore une fois, le projet politique sera l’oeuvre, pour Jacques Parizeau, des recherchistes, de spécialistes, d’une élite au pouvoir à laquelle il faudra gagner la population du Québec. Ici, encore, alors qu’on parle de définir le projet d’indépendance, la souveraineté populaire, l’ensemble du peuple n’est pas convié à l’exercice... Pour ce qui est des mouvements indépendantistes, leur rôle est étroitement défini, ils doivent entretenir la flamme souverainiste en attendant que soit achevé le travail de reconstruction du navire amiral.

c) Redonner une place aux membres

Sur le caractère antidémocratique du Parti québécois, il se moque. À son dernier congrès, cela faisait six ans que le Parti québécois n’avait pas eu de congrès. Il n’y a pas beaucoup d’idées qui ont circulé au Parti québécois, s’étonne-t-il. Il faut se remettre à étudier les pompes et les oeuvres du gouvernement fédéral. Les associations de comté sont devenues des machines à ramasser de l’argent. .Il faut que le parti politique redevienne le parti de ses membres. Il faut un parti qui respecte ses membres. Il est inadmissible que des résolutions adoptées soient rejetées par la direction le soir même d’un congrès comme cela se fait prétend-il. Une partie effarante de ce discours, c’est sa présentation comme un geste démocratique du coup de force de René Lévesque visant à remettre en question des propositions dûment adoptées par un référendum interne au parti, pour imposer sa volonté en passant outre aux instances démocratiques que s’était donné le parti.

Mais ici aussi les constats sont clairs, mais les explications manquent. Les partis politiques sont dominés par des chefs tout puissants. Le vote de confiance au chef ou à la cheffe est un véritable sacre qui confirme que la souveraineté du chef-fe est élevée au-dessus de la souveraineté des membres sur les orientations du parti. Quand ce chef ou cette chef conduit le parti au pouvoir, quand se développe une députation, le parti politique devient une structure à étages où le pouvoir se redistribue inégalement entre le étages les plus près du pouvoir d’État. Alors, les membres pèsent de moins en moins lourd sur l’orientation du parti. C’est la pente naturelle d’un tel type d’organisation. La résistance à ce type d’évolution implique la mise en place d’une culture organisationnelle radicalement démocratique qui s’oppose explicitement à la professionnalisation de la politique de parti, et à la marginalisation du poids des membres dans la prise de décision...

Monsieur Parizeau fait des constats dévastateurs de l’évolution du Parti québécois des dernières années. En bref, le mouvement souverainiste est devant un champ de ruines. Mais, il n’explique aucunement les dynamiques qui ont conduit à une telle situation. Il propose comme toute solution de recommencer, et de faire plus rigoureusement, ce qui a été déjà fait et qui a conduit à l’impasse actuelle. Il oublie la nécessaire souveraineté populaire, les aspirations du peuple à définir le Québec indépendant qu’il veut comme la voie essentielle de la relance du mouvement indépendantiste. Il ne peut, par là, que nourrir le désarroi...


La vidéo de l’allocution


[1Chantal Hébert et Jean Lapierre, Confessions post-référendaires, Les Éditions de l’homme, 2014, page 35

[2ibid., page 38

[3ibid, pages 55-67

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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