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Réaction à un article publié par La Presse le 23 avril 2019

Un article au titre fracassant a attiré notre attention le 23 avril dernier : Projet-pilote en chirurgie : la productivité bondit au privé. D’abord, d’où viennent les données permettant de faire une telle déclaration ? Quels sont les indicateurs de productivité qui sont évalués ici ? L’article est très vague, et ce sont les dernières lignes qui nous renseignent : il s’agit d’un sondage(1), commandé par l’une des cliniques dudit projet-pilote, auprès des médecins qui y œuvrent. 66% des médecins y ont répondu leur perception de leur productivité. Clairement, ces « données » doivent être prises avec un grain de sel.

Ensuite, l’article mentionne « qu’une majorité de médecins qui ont pris part au projet-pilote du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) visant à réduire les listes d’attente en chirurgie ont été plus productifs au privé qu’à l’hôpital », alors qu’il s’agit plutôt d’un projet-pilote sur le financement à l’activité, c’est-à-dire un projet visant à évaluer le coût de diverses interventions, pour ensuite financer les établissements de santé selon ces coûts calculés. Comme le mentionne notre réaction à l’annonce de ce projet-pilote(2) , ce genre de financement entraîne inéluctablement une sélection des patients : comme les chirurgies du projet-pilote sont faites hors hôpital, les patients les plus malades (patients qui ont des problèmes cardiaques, pulmonaires, rénaux par exemple) ou qui ont des besoins spéciaux (soit en terme de mobilité, de santé mentale ou de soins post-chirurgicaux) ne sont pas « sélectionnés » et restent sur les listes d’attentes de l’hôpital. Les patients opérés par ces projets-pilotes sont donc en meilleure santé et à moindre risque de complications, ce qui rend leur passage à la clinique plus rapide et rend ainsi la clinique plus « productive ».

Le cas des examens endoscopiques (gastroscopie et coloscopie) qui est abordé est très intéressant car c’était un des domaines où les frais accessoires, avant leur interdiction, étaient les plus fréquents. Les patients pensaient aller « au privé » alors que leur médecin était pourtant rémunéré par la RAMQ. Les frais accessoires que les patients payaient étaient souvent de plusieurs centaines de dollars, le tout pour avoir leur endoscopie plus rapidement en cabinet externe qu’à l’hôpital (puisque c’est le même médecin qui fait la même procédure). C’est un domaine où l’accès en établissement est assez restreint et pour lequel une augmentation de l’offre de service public et gratuit pour le patient est nécessaire(3). Or cette offre de service n’est pas obligée de se faire « au privé ».

Cela étant dit, les méga-fusions et les compressions budgétaires dans les CISSS et CIUSSS, les conditions de travail très difficiles des infirmières, préposés aux bénéficiaires et préposés à l’entretien ménager, la situation des blocs opératoires pour les chirurgies dites électives est actuellement loin d’être idéale. L’on peut donc se demander si un modèle d’établissement dédié aux chirurgies électives, mais public, ne constituerait pas un atout pour notre système… mais comme le constate une des médecins qui est favorable au projet : « Quand Sacré-Cœur réussira à embaucher – et garder – suffisamment d’infirmières et de préposés, on les fermera, ces centres de chirurgie là, mais pour l’instant, c’est une soupape nécessaire et sécuritaire ». Même les médecins qui défendent le projet-pilote sont d’accord que toutes les interventions pourraient être faites dans le système public si on pouvait assurer un nombre suffisant d’infirmières et de préposés ! Car le cœur du problème est réellement là : nous ne manquons pas de locaux pour faire les chirurgies au public. Il est de notoriété publique que les salles d’opérations sont sous-utilisées, qu’il y a des inefficacités dans la façon dont les chirurgies sont programmées et que plusieurs chirurgies sont annulées faute de personnel ou de lits post-opératoires disponibles et ce sont des questions qui doivent être abordées.

Finalement, il nous semble inacceptable que l’argent public soit utilisé pour donner une marge de profit à des cliniques privées alors que notre système est sous-financé. Si on donnait 10% de financement de plus aux hôpitaux pour les chirurgies, comme c’est le cas avec les cliniques prenant part au projet-pilote, combien plus « productifs » seraient-ils ? Pourquoi n’a-t-on pas tout simplement investi davantage dans nos hôpitaux pour engager les infirmières et préposés manquants ? L’article mentionne que « depuis mai 2016, le MSSS a payé près de 44 millions pour 48 066 opérations réalisées au privé, [..]. Le budget de départ du projet-pilote de 4 millions par an a été largement dépassé. Le MSSS verse un profit de 10 % à la clinique sur chaque intervention ». Si le budget de départ est de 4 millions par année et qu’en moins de trois ans on a dépensé 44 millions de dollars, que s’est-il passé ? Était-ce une hausse prévue ? Et acceptée par le ministère ? Il faudra être attentif aux rapports officiels faisant suite au projet-pilote et il serait important d’y trouver des réponses à plusieurs de ces questions.

Notes

(1) Méthodologie : Le Centre RocklandMD a réalisé un sondage auprès de 130 médecins entre le 16 et le 25 mars 2019. Le taux de réponse est de 66 %.

(2) https://www.newswire.ca/news-releases/mqrp-rejette-la-concurrence-en-sante-567839751.html

(3) Pour plus d’information au sujet de ce dossier, lire la réponse de Dr Vadeboncoeur à Dr Bensoussan sur les frais facturés aux patients en gastroentérologie : https://lactualite.com/sante-et-science/des-cliniques-qui-ne-font-plus-leurs-frais-accessoires/

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