Le BAPE a reçu du gouvernement Charest le mandat d’étudier l’industrie des gaz de schiste et de faire des recommandations sur les modalités d’un « développement durable » (sic) des gaz de schiste et son développement sécuritaire. Il lui était donc impossible de poser la question de la pertinence de l’exploitation des énergies fossiles. Or, c’est la question centrale du débat. A t-on besoin de cette ressource ? La politique énergétique du Québec ne devrait-elle pas s’appuyer sur les énergies vertes et renouvellables ? Voilà les questions qui devraient faire l’objet du débat qui est devant nous.
Or, le mandat alambiqué du gouvernement Charest ne permettait pas d’en discuter. Si les Chambres de commerce ont dénoncé la pause que suggère le rapport du BAPE, l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ) déclarait lundi dernier qu’elle se pliera aux recommandations du BAPE. Un pas en arrière pour mieux sauter lorsque l’orage sera passé sans doute et lorsque les prix du gaz auront bondi sur le marché mondial.
L’APGQ par le biais de son porte-parole Lucien Bouchard, fait de nouveau miroiter des retombées importantes pour le Québec si la filière des énergies fossiles est favorisée. Or, les retombées annoncées n’ont pas été au rendez-vous dans les cas déjà entrepris aux États-Unis et les dégâts causés par l’exploitation sont sous évalués. Pire, il est largement démontré que les efforts déployés pour aller dans ce sens fait en sorte de retarder les mesures nécessaires au virage vers les énergies renouvelables. La voie suggérée par l’APGQ est sans issue. L’APGQ déclare qu’elle offre sa collaboration à l’ÉES. Les groupes écologistes et les comités de citoyenNEs seront alors en droit de réclamer les informations jusqu’ici considérées protégées par le secret commercial comme, par exemple, la composition des eaux de fracturation.
Quant aux groupes écologistes, s’ils saluent la mise en place d’une Étude Environnemntale Stratégique (ÉES), ils sont plusieurs à souligner les carences du rapport et les failles que l’industrie et le gouvernement peuvent exploiter pour maintenir leurs activités en attendant que les prix soient à la hausse sur les marchés mondiaux.
Les réactions des comités citoyens et les groupes écologistes
Les réactions n’ont pas tardé. Elles se divisent en au moins deux courants : un qui ouvre la porte à l’exploitation des énergies fossiles avec un meilleur encadrement et de meilleures retombées pour la société québécoise et l’autre qui propose de profiter de l’occasion pour remettre en question l’exploitation des énergies fossiles pour se tourner dès maintenant vers les énergies vertes et renouvelables. Les uns veulent une pause d’ici au dépôt de l’étude scientifique alors que d’autres appellent à demeurer mobilisés car les activités en cours de l’industrie se poursuivent et que rien ne permet de croire que les dangers reliés à son activité sont maintenant choses du passé.
Parmi les tenants de l’exploitation sécuritaire, la FTQ insiste sur une révision de la loi des mines et une sérieuse révision de la politique de redevances liée à l’exploitation des ressources naturelles tout en ajoutant : « Nous sommes particulièrement contents du cadre suggéré par le BAPE afin que cette évaluation scientifique prenne en compte le respect des communautés et de l’environnement, dans la perspective du développement durable. Il s’agit là d’un impératif incontournable », a souligné le président de la FTQ, Michel Arsenault.
À la CSN, on s’interroge davantage sur le processus démocratique que suppose un tel débat et insiste « sur la place réservée aux citoyens et aux municipalités dans la prise de décisions lors de l’arrivée d’un projet de forage dans leurs cours. Les mesures d’acceptation sociale proposées par les commissaires telles que la mise sur pied de comités régionaux de concertation, la tenue obligatoire de consultations auprès de la population et le rôle accru donné aux municipalités dans l’encadrement du développement de cette filière, répondent à plusieurs questionnements de la centrale » et « souligne aussi la pertinence des avis de la commission du BAPE sur l’optimisation des retombées économiques pour le Québec ». La centrale conclut en invitant à « un large débat public sur les enjeux de la filière gazière ».
Rappelons que tant la FTQ que la CSN possèdent des intérêts dans l’exploration des gaz de schiste par le biais de leur bras financiers (Fond de solidarité de la FTQ, FondAction de la CSN).
La Coalition Maîtres chez nous au 21e siècle est demeurée silencieuse sur le sujet lors de sa déclaration du 3 mars dernier. Cette déclaration signée plusieurs dizaines de personnalités publiques dénonce « le gouvernement actuel (qui) a cédé à des entreprises privées et souvent étrangères, sans en avoir le mandat, à notre insu et manifestement pour une bouchée de pain, les droits sur notre pétrole, notre gaz et même le développement de notre vent » (Déclaration Maîtres chez nous 21e siècle), insistant sur l’importance de contrôler les ressources naturelles du Québec sans laisser le privé les dilapider à son seul profit. Elle réclame un « débat afin que notre avenir économique et écologique soit clair et solide pour tous et que toute velléité de privatisation de nos ressources énergétiques allant à l’encontre du précédent créé, aurait dû faire l’objet d’une consultation populaire où la volonté de redonner le contrôle de nos ressources énergétiques à des intérêts particuliers (…) aurait dû être clairement énoncée ».
À Greenpeace Canada, on s’inscrit dans le courant anti-énergies fossiles. « Le ministre Arcand a voulu gagner du temps et faire baisser la pression face à la mobilisation contre le gaz de schiste en décrétant une évaluation environnementale stratégique, mais il ne se demande toujours pas si on a besoin du gaz de schiste ou non au Québec », commente Virginie Lambert Ferry, responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace. « Même si elles mettent un frein immédiat aux nouvelles explorations gazières, les mesures annoncées par le gouvernement ne résolvent rien au fond du problème ». « Bravo aux citoyens mobilisés ! Cependant, ne rentrez pas trop vite dans vos chaumières ! », poursuit Éric Darier, directeur de Greenpeace Canada. « Il faut maintenant continuer le travail commencé par la forte mobilisation citoyenne autour du gaz de schiste, forcer le gouvernement à adopter une politique éco-énergétique cohérente et sortir des énergies sales. Il faut empêcher que le gouvernement du Québec tombe dans l’attentisme » poursuit-il et conclut par un retentissant « Restons mobilisés ! ». Sage recommandation…
Le Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME) questionne le fait que le rapport du BAPE n’ait pas recommandé une hausse du niveau des redevances à être versées, insiste sur les effets néfastes que cette exploitation pourrait causer en engendrant d’importantes émissions de gaz à effet de serre (GES) de même qu’en posant des risques considérables de contamination des eaux et des sols et qu’il est déplorable que le rendement de l’investissement énergétique de la filière des gaz de schiste n’ait été ni abordé, ni démontré.
L’IRIS s’attarde quant à elle aux aspects économiques du dossier. S’avouant « surpris de constater que le BAPE a adhéré au scénario de l’industrie en matière de création d’emplois et de retombées économiques sans en faire une évaluation critique. Pourtant, lorsqu’on observe les emplois indirects qui ont effectivement été créés par l’industrie dans l’État de New York, on constate que la manne d’emplois indirects prévus ne sera pas au rendez-vous. En se fondant sur cette expérience et contrairement aux 5 000 emplois prévus par l’industrie, l’IRIS prévoit au total la création d’un peu plus de 1 200 emplois » Les porte-paroles de l’organisme poursuivent en déclarant que « le BAPE sous-estime largement l’importance des émissions de gaz à effet de serre de cette industrie. Le rapport évalue l’ensemble de ses émissions à 0,7 million de tonnes de CO2 sans tenir compte des récentes révisions à la hausse des émissions fugitives pour la phase de fracturation hydraulique ». L’IRIS conclut en soulignant qu’il est étonnant « de constater que le rapport du BAPE n’aborde pas certaines données importantes pour les finances publiques telles que les coûts de réparation des routes ou les généreux crédits d’impôt accordés à l’entreprise ».
Des estimations évaluent les pertes à 5 milliards$ pour l’État en redevances dans le régime actuel. Le loyer exigé au Québec pour un hectare de territoire à explorer est fixé à 0,10$ et pouvant aller à 0,50$ alors que la Colombie-Britannique exige entre 1 000$ et 10 000$ pour ces mêmes droits. En 2009, les sociétés pétrolières et gazières ont versé 893 millions$ au Trésor de la Colombie-Britannique pour obtenir le droit d’y faire de la prospection. En 2008, elles ont versé 2,7 milliards$. En comparaison, en 2008-2009 et en 2009-2010, au Québec, les permis d’exploration pétrolière et gazière ont rapporté en tout 3,5 millions$ depuis deux ans (La Presse 4 septembre 2010). Pendant ce temps, l’industrie demande une réduction des redevances à un taux de 2% (Radio Canada 10 novembre 2010).
L’AQLPA considère toujours que le gouvernement doit décréter un moratoire en raison du grand nombre d’incertitudes et des risques bien réels reliés à l’exploitation et l’exploration des gaz de schistes. En ne décrétant pas de moratoire immédiat sur les activités de l’industrie du gaz de schiste, le gouvernement du Québec néglige le principe de précaution présent dans sa propre loi sur le développement durable. L’organisme poursuit en soulignant « qu’avec seulement 31 puits de nombreux problèmes existent et que ces problèmes doivent avant tout être réglés » et conclut que « pour être adéquate, l’Étude Environnementale Stratégique (ÉES) devra également examiner et évaluer la justification des actions envisagées par rapport à des solutions de rechange comme l’économie d’énergie, l’efficacité énergétique et les autres énergies renouvelables (biométhanisation, éolien, géothermie, etc.) ».
La Coalition Québec meilleure mine ! souligne que plusieurs recommandations sont directement applicables à la réforme actuelle du secteur minier, notamment en matière de redevances sur les ressources et à la protection accrue des droits des citoyens, des municipalités et de l’environnement (…) et souhaite que le gouvernement démontre la même attitude concernant l’ensemble des ressources naturelles au Québec. Québec meilleure mine ! félicite également la mobilisation citoyenne qui a cours présentement un peu partout au Québec et encourage les citoyens à maintenir leur mobilisation pour les mois à venir. ».
La Ligue des Droits et Libertés ajoute que « la saga des gaz de schiste montre qu’il est grand temps de reconsidérer la manière dont les décisions sont prises en matière de développement. Nous demandons au gouvernement de s’appuyer sur la Convention d’Aarhus, considérée sur le plan international, comme le cadre juridique le plus avancé pour la mise en oeuvre du droit des populations à prendre part aux décisions qui les concernent en matière environnementale.
Cette convention impose que les États garantissent les droits d’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ». La LDL poursuit en soulignant que « le gouvernement s’est engagé en 1976 à respecter les pactes internationaux dont l’article 1 stipule : 1- Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ; 2- Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles.
Maintenir la mobilisation
Il serait tentant dans ce contexte de mettre en veilleuse la mobilisation planifiée à la mi-avril. En effet, le rapport appelle à une pause scientifique alors que l’industrie maintient ses activités d’exploration en cours. La manifestation annoncée pour le 22 avril doit être maintenue. Une pause dans la vigilance des comités citoyens et les groupes écologistes serait le signal pour l’industrie à aller de l’avant avec les opérations d’exploration qui ont démontré leur degré de dangerosité alors que 19 puits sur 31 ont déjà fait la preuve des risques de ses travaux.
Et c’est sans compter sur les risques de division du mouvement citoyen entre ceux et celles qui verront dans les propositions d’exploitation équitable (sic) une avenue de développement pour le Québec et ceux et celles qui s’opposent à l’exploitation des énergies fossiles et veulent une réorientation de la politique énergétique vers des énergies vertes.