Édition du 17 décembre 2024

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Amérique latine

Quelques réflexions sur les élections en Équateur

Rafael Correa a écrasé l’opposition de droite, comme cela avait d’ailleurs été prédit par Alberto Acosta, le candidat à la présidence de la liste Unidad Plurinacional de Las Izquierdas (Unité Plurinationale des Gauches) dans l’interview réalisée par Franck Gaudichaud.

Cette coalition regroupe une dizaine d’organisations, du centre-gauche à la gauche radicale, parmi lesquelles Pachakutik (bras politique de la Confederación de Nacionalidades Indígenas de Ecuador, CONAIE) et le Mouvement Populaire Démocratique, d’origine maoïste et fort implanté dans le syndicat enseignant. Elle n’a pourtant réalisé qu’un résultat inférieur aux prévisions, qui au moment où nous écrivons (moment où le scrutin se base sur +/-70 des bulletins) ne semble pas dépasser les 3%. C’est là l’effet de la candidature de Correa et de sa force d’attraction, qui a dépassé les 56% et se retrouve nettement en tête dans 22 des 24 provinces du pays.

Ces deux dernières années, Correa avait perdu le soutien des certains des plus prestigieux de ses supporters d’origine et cela à cause de ses tendances autoritaires, de sa dramatisation pour chaque action contraire qui est tout suite taxée de « putschiste », mais aussi par l’arrestation de jeunes, accusés de terrorisme dans un pays qui n’a pas connu de révolte armée depuis des décennies. Il a par contre consolidé sa renommée auprès des couches populaires qui lui sont reconnaissant pour les mesures sociales qui ont réduit la pauvreté sans pour autant attaquer la richesse des grands propriétaires terriens et des multinationales - qui s’est même accrue. Il a, de même, relativement amélioré la situation de la santé publique et de l’instruction.

Il y a eu par contre des mesures plus controversés, comme les corridors terrestre de Manaus, au Brésil, jusqu’à Manta sur le Pacifique, qui représente un désastre pour de vastes zones forestières de l’Amazonie. Ces mesures ont suscité l’opposition des milieux écologistes et indigènes mais ont par contre reçues l’approbation de certaines communautés qui considèrent comme acceptable l’impact environnemental, à la fois parce qu’elles sont intéressées par l’élargissement des contingents de fonctionnaires gouvernementaux, et parce qu’elles sont prises dans l’illusion que cette démarche peut apporter un développement futur pour ces zones.

Le plus grand danger du succès de Correa, qui ne rencontre pas de contrepoids significatif, est incarné par sa tendance autoritaire de plus en plus affichée et par le fait que la Constitution, qu’il avait pourtant défendu seul dans les premières périodes de son gouvernement, semble maintenant le déranger parce qu’il la considère maintenant comme offrant trop de « garanties » environnementales. Ce qui représente un danger, non seulement parce que cela pourrait donner lieu, comme au Venezuela, à un bras de fer avec les grands journaux bourgeois et les grandes chaînes télévisées, mais aussi parce que cela encourage le président à tenter à nouveau une attaque contre les principales associations environnementales du pays - ce qu’il avait déjà fait par le passé et à les déclarer illégales en prétendant qu’elles représentants des intérêts extérieurs en contestant sa politique d’extraction.

La Constitution de l’Equateur est en effet très en avance dans la reconnaissance des droits de la Terre Mère - la Pachamama -, mais les pratiques du gouvernement et celles des directions des entreprises pétrolières écrasent souvent ces droits pour pouvoir assurer le développement maximum de l’industrie extractive, que ce soit aux dépends de l’environnement ou des communautés indigènes.

Une situation plus ou moins similaire se déroule en Bolivie, au Venezuela et, surtout, au Brésil. L’exigüité des résultats électoraux de l’opposition de gauche à ces politiques ne doit pas piéger ceux qui s’obstinent à prendre leurs désirs pour des réalités : il ne s’agit pas ici de socialisme, pas même du 21è siècle, mais d’un projet de développement et de renforcement du capitalisme national, comme l’avait tout simplement admis le vice-président bolivien Alvaro Garcia Linera.

Cependant, si les résultats de l’opposition de gauche sont en dessous des attentes, ils ne sont pas non insignifiants. Non seulement parce que le 3,13% de Acosta doit être mis en opposition avec les 3,64% du richissime magnat bananier Alvaro Noboa, qui était le challenger de Correa aux présidentielles précédentes, mais aussi parce qu’il faut tenir compte de sa répartition géographique inégale. Dans certaines provinces, par exemple, Acosta obtient jusqu’à 19,87% (Morona Santiago), 17,93% (Zamora Chinchipe), tandis que dans d’autres encore il atteint des niveaux tout à fait respectables (Pastaza, 9,32%, Cotopaxi 8,25%, etc.). Il obtient donc des pourcentages qui lui permettent de consolider dans ces régions une force capable de peser politiquement à l’avenir.

S’il y arrive, ce n’est pas rien. Certaines données, comme le modeste 6,47% obtenu par la liste dans la Province de Esmeraldas, qui était un bastion maoïste, laisse penser que certains secteurs qui avait initialement adhéré à l’Unidad Plurinacional de Izquierdas se sont ensuite laissés attirés par les faveurs du pouvoir central. On peut penser la même chose pour plusieurs secteurs de la CONAIE. Avec ce modeste résultat, il a été rejoint par l’ex-président Lucio Gutierrez (6,53%), qui n’est pas de gauche mais se présentait comme tel, et qui avait de par le passé reçu le soutien de Pachakutik. (…)

De toute façon, au-delà des contributions des corrupteurs (qui désiraient retirer d’importants intérêts par rapport à leurs contributions) ; les plans sociaux, l’assistance, les subsides et les œuvres publiques sont essentiellement financés par les taxes sur les exportations. Sans pour autant réussir à se détacher réellement d’une dépendance aux multinationales et au capital financier international, ni à substituer avec l’appareil d’Etat une bourgeoisie nationale pratiquement inexistante. De cette manière, le gouvernement est donc condamné à continuer les exportations de bananes, de pétrole, de minéraux bruts, sans réussir récupérer ne serait-ce que sa propre monnaie puisqu’en Equateur la monnaie nationale reste le dollar.

Ces 3% ne doivent cependant pas être méprisé. Cela n’assurera sans doute pas de sièges au parlement, étant donné la nouvelle géographie des collèges, mais il n’empêchera pas non plus la bataille politique. (…) Pour évaluer toute l’ampleur du résultat, il faudra donc attendre et observer pour voir si, pour la première fois en Equateur, une petite force de gauche peut se consolider, sans se laisser impressionner par les rapports de force initiaux, qui dans certaines provinces ne sont pas forcément défavorables. Ce qui est indispensable, c’est de faire pression sur Correa pour qu’il reprenne la route qu’il avait initialement prévu de prendre.

Source : http://antoniomoscato.altervista.org/index.php?option=com_content&view=article&id=1264:prime-riflessioni-sul-voto-in-ecuador&catid=8:lamerica-latina&Itemid=16
Traduction française pour Avanti4.be : Sylvia Nerina

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