Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Israël - Palestine

Quelles hypocrisie, immoralité et même sadisme !

Dès qu’Israël allègue que douze membres de l’UNRWA auraient participé dans l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre, Washington suspend immédiatement son financement de cette organisation humanitaire de l’ONU. Et le Canada, ainsi que plusieurs autres pays, emboitent le pas.

Ovide Bastien, auteur de Chili : le coup divin, Éditions du Jour, 1974

Cette allégation apparait le 26 janvier. Le jour même, assez étrangement, où la Cour internationale de justice rend public son jugement, on ne peut plus dévastateur, pour Israël.
L’accusation de génocide que l’Afrique du Sud porte contre Israël est recevable, affirme la Cour. La preuve présentée démontre clairement que c’est possible qu’Israël soit en train de commettre un génocide.

• La Cour énumère en détail les nombreuses déclarations où de leaders israéliens incitent au génocide.
• Elle montre comment le grand nombre de morts et de blessés à Gaza ainsi que la destruction massive d’infrastructure reflètent ces déclarations.
• Elle annonce qu’elle déclenche une enquête et somme Israël de s’abstenir de détruire toute preuve pouvant servir à celle-ci.
• Elle demande à Israël de punir tout leader tenant de futurs propos génocidaires et de s’abstenir de toute action future ayant un caractère génocidaire.
• Elle demande à Israël de mettre immédiatement fin à son blocage de l’aide humanitaire à Gaza.
• Elle somme Israël de faire rapport à la Cour d’ici un mois au sujet du respect de ces mesures.

En apprenant que Washington, mon pays le Canada, ainsi que plusieurs autres pays suspendent leur financement de l’UNRWA, je suis estomaqué.

Comment se fait-il qu’Israël sorte soudainement de son chapeau, en ce moment précis, cette petite bombe médiatique ?

Et pourquoi cet empressement de suspendre le financement de la seule organisation ayant une capacité réelle de venir en aide à une population plongée dans une catastrophe humanitaire incommensurable ?

Remonte en moi, comme un volcan en éruption, une grande émotion de colère et de révolte...

La même que je ressentais au Chili en septembre 1973 lorsqu’Augusto Pinochet renversait le gouvernement de Salvador Allende et écrasait dans le sang, la torture, et les camps de concentration de milliers d’adeptes de l’Unité populaire.

Pinochet décrivait sa prise de pouvoir brutale comme une œuvre sacrée, une intervention divine. Comme Israël aujourd’hui, il cherchait à contrôler le récit, surtout dans les médias. L’exécution sommaire de personnes résistant à son putsch était présentée dans les médias comme l’action de militaires se défendant contre de simples délinquants et terroristes.
La douleur de millions de Chiliens et Chiliennes était énorme. Le coup d’État produisait 3 000 morts... Au moins 40 000 personnes furent soumises à la torture. Entendre, au jour le jour, la description des méthodes de torture utilisées m’était insupportable...

Profondément ému et bouleversé, je tentais de faire entrer dans diverses ambassades des personnes cherchant désespérément à échapper à la terreur. Et je collaborais avec de nombreux journalistes, qui arrivaient à Santiago, afin que le monde sache ce qui se passait au Chili.

Je n’oublierai jamais la fois que l’ambassadeur canadien à Santiago, Andrew Ross, refusait de nous ouvrir la porte.

J’étais avec un médecin chilien, qui occupait un haut poste dans le gouvernement de Salvador Allende, sa femme, et leur nouveau-né de six mois. Nous avions beau expliquer à M. Ross que ce médecin risquait emprisonnement, torture, et même exécution, et le supplier de faire preuve d’un peu d’humanité, il n’y avait rien à faire.

« Les gens ne s’énervent pour rien. Le gouvernement ne fait que sévir contre les malfaiteurs  », insistait-il, en refusant de donner refuge à cette famille.

Cette froideur et hypocrisie devant autant de souffrance humaine me scandalisaient et me révoltaient.

Notre ambassadeur canadien, je le savais, appuyait le coup d’État et s’en réjouissait. Comme d’ailleurs Washington qui avait tout fait, financièrement et diplomatiquement, et ce, depuis longtemps, pour assurer son succès. La CIA offrait même aux militaires chiliens des instructions au sujet des méthodes de torture les plus efficaces.

Lorsque nous écoutions la radio internationale de Washington, Voice of America, ce poste ne faisait que répéter comme un perroquet la version que diffusait quotidiennement les militaires chiliens. Une version incroyablement falsifiée des faits.

Mes amis étatsuniens me racontaient que lorsque certains d’entre eux se présentaient à l’ambassade des États-Unis à Santiago, on leur disait, pour calmer leur désarroi et peur, «  Take a bufferin !  »

Lorsque l’Afrique du Sud, décembre dernier, accusait Israël de génocide et demandait à la Cour internationale de justice d’adopter des mesures provisoires, le président Joe Biden et son secrétaire d’État Antony Blinken firent immédiatement une déclaration en conférence de presse. Cette accusation « ne repose sur aucune base factuelle », ont-ils affirmé.
Et le président israélien Benjamin Nétanyahou a fait de même.

« Nous vivons dans un monde à l’envers  », affirma-t-il. «  C’est le Hamas terroriste qui commet un génocide contre le peuple juif ».

Le jour même où la Cour internationale de justice rend son jugement discréditant complètement, et Washington et Israël, apparaît soudainement, comme par magie, cette allégation au sujet de douze employés de l’UNRWA. Washington suspend immédiatement son financement à cette organisation, et, dans l’espace de quelques minutes, ce qui fait la une dans les journaux des principales puissances occidentales, ce n’est plus l’arrêt de la Cour internationale de justice, mais l’affaire UNRWA et la suspension immédiate du financement de cette organisation, d’abord par les États-Unis et bientôt par toute une série de pays, dont le Canada !

La très réputé BBC, par exemple, consacre huit minutes à présenter les allégations non prouvées d’Israël au sujet de douze employés de l’UNRWA et beaucoup moins de minutes à présenter l’arrêt tout à fait historique de la Cour internationale de justice. La chaîne de télévision CNN, rapporte le Guardian du 5 février, est confrontée à une levée de boucliers de la part de son propre personnel en raison de politiques éditoriales qui ont conduit à une régurgitation de la propagande israélienne et à la censure des points de vue palestiniens dans la couverture de la guerre à Gaza.

Pourquoi le Canada refuse-t-il d’appuyer, comme l’ont fait plusieurs autres pays, l’arrêt de la Cour internationale de justice ? Pourquoi accorde-t-il spontanément crédibilité, par ailleurs, aux allégations non-prouvées d’Israël ? Des allégations possiblement fondées sur des confessions obtenues de prisonniers palestiniens soumis à la torture, ou sur des textos et courriels inventés de toute pièce ? Des allégations, en plus, faites par un pays fort connu pour sa maltraitance des prisonniers palestiniens, incluant la torture, et pour sa production d’affirmations fausses, surtout en temps de guerre, qui s’effondrent par la suite ?

Quelles hypocrisie, immoralité, et même sadisme que de couper les vivres à l’UNRWA ! La principale agence onusienne fournissant de l’aide humanitaire à 6 millions de Palestiniens et qui a 13 000 employés à Gaza, cette bande pas plus grande que la moitié de la ville de New York, et qui se trouve en plein milieu d’une catastrophe humanitaire qui arrache le cœur ?
On peut difficilement se réjouir du fait que le Canada, après avoir suspendu son financement de l’UNRWA, décide d’accorder $40 millions à d’autres organisations qui viennent en aide aux Gazaouis.

«  Il est inacceptable de suspendre le financement humanitaire en pleine crise de la seule organisation capable de fournir un soutien humanitaire efficace à ceux qui en ont besoin, » affirme la députée libérale à la Chambre des communes Salma Zahid. « Ternir l’ensemble de l’UNRWA à cause d’allégations concernant quelques employés équivaut à une punition collective des Palestiniens. »

Aussi encourageant que cela puisse paraître, on peut difficilement se réjouir non plus du fait que Joe Biden décide, le 1 février, d’imposer des sanctions aux colons israéliens accusés d’actes violents en Cisjordanie et que le Canada songe à imiter ce geste.

On doit se rappeler que Washington n’a jamais remis en question la légalité des colonies juives dans les territoires occupés. Ni le système d’apartheid imposé depuis fort longtemps à de millions de Palestiniens dans ces territoires. Depuis 1973, Washington offre à Israël un soutien sans équivoque, utilisant au moins 53 fois son droit de véto à l’ONU pour rejeter des résolutions – pourtant toujours acceptées par une écrasante majorité de pays - condamnant la violence contre les manifestants palestiniens et les colonies israéliennes illégales en Cisjordanie occupée. Sous le gouvernement d’extrême droite de Nétanyahou, et surtout depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, cette violence en Cisjordanie n’a fait qu’augmenter. Le bureau humanitaire de l’ONU recensait 494 attaques jusqu’au 31 janvier, attaques souvent faites avec la complicité grossière des militaires israéliens, lors desquels 1 000 Palestiniens furent expulsés de leurs maisons et leur terre.

À cause des nombreuses colonies illégales, les terres palestiniennes de Cisjordanie se trouvent présentement découpées en 165 enclaves distinctes.

Comment, dans un tel contexte, penser à la création d’un État palestinien viable et d’un seul tenant ?

Joe Biden impose des sanctions à certains colons israéliens, mais pas aux principaux auteurs intellectuels de leur violence, les ministres israéliens Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich. Il n’impose pas de sanctions à Benjamin Nétanyahou. Ni aux généraux qui larguent des bombes de 2 000 lb, gracieuseté de Washington, à Gaza. Il ne s’engage pas à ne point utiliser son veto à une possible résolution du Conseil de sécurité pressant Israël de se conformer aux mesures provisoires de la Cour internationale de justice afin d’éviter de contribuer à un génocide plausible. 

Lorsque je vois Joe Biden demander au Congrès d’approuver une aide de $17 milliards pour Israël, sans exiger que cette aide soit conditionnelle au respect des droits fondamentaux du peuple palestinien... Lorsque je l’entends, dans une conférence de presse où il apparaît envahi d’émotion, s’apitoyer sur le sort des 130 otages toujours détenus par le Hamas à Gaza, en omettant d’exprimer si ce n’est qu’un iota de compassion au sujet des 27 000 Gazaouis tués - la plupart enfants et femmes, des 66 000 blessés, des 25 000 enfants devenus orphelins et des centaines de milliers traumatisés à vie, des dix enfants par jour qui se font amputer un membre sans être anesthésiés, de la démolition par bombe de 70% de l’infrastructure à Gaza, du déplacement forcé de 85% de la population, d’une catastrophe humanitaire d’épidémie et de famine...

Lorsque je vois tout cela, c’est comme si je me retrouvais encore une fois devant Andrew Ross en septembre 1973 au Chili, avec le médecin chilien, Roberto Bellemare et sa famille. J’entends notre ambassadeur dire à Roberto :

« Ta peur d’être détenu, torturé, et peut-être exécuté n’a aucune base factuelle. It is meritless ! »

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