Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Quel est l’enjeu du contrôle de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem ?

Une fois encore, l’esplanade des Mosquées de Jérusalem, violemment envahie par les forces israéliennes dans les derniers jours du ramadan 2022, se retrouve au cœur du conflit israélo-palestinien. L’histoire du lieu est complexe, comme le montrent ses différents noms. Pour les juifs, il s’agit du mont du Temple (Har haBayit en hébreu). Pour les musulmans, c’est le Haram Al-Sharif, le « Noble Sanctuaire » où se trouvent le dôme du Rocher avec sa coupole dorée, et la mosquée Al-Aqsa (« la lointaine »). L’expression « esplanade des Mosquées » n’est apparemment utilisée qu’en France.

Tiré de Orient XXI.

C’est là que se serait trouvé le premier temple juif construit par le roi Salomon, tradition qu’aucune preuve archéologique n’a confirmée jusqu’ici. En revanche, l’existence au même endroit du second temple est avérée. Entièrement rasé par l’empereur romain Titus en l’an 70 de notre ère, il en subsiste un mur qui est devenu le lieu le plus sacré du judaïsme, le « Mur occidental » (HaKotel HaMa’aravi). L’appellation « mur des Lamentations » employée par des écrivains chrétiens est considérée comme méprisante par le judaïsme. Les juifs du monde entier viennent y prier. Les musulmans l’appellent le « mur de Bouraq » (al-Ḥa’iṭu ’l-Buraq), car selon la tradition c’est là que le Prophète a attaché son cheval ailé Bouraq, qui l’avait transporté de La Mecque à Jérusalem. Mohammed s’est ensuite envolé vers les cieux où il a rencontré Adam et les prophètes, y compris Jésus, puis Dieu lui-même.

Après la destruction du second temple, l’esplanade est plus ou moins délaissée par les différents occupants de Jérusalem, Romains, Byzantins ou Perses. L’islam la remet en valeur. Les califes omeyyades construisent au VIIe siècle la mosquée Al-Aqsa puis le dôme du Rocher, sur la pierre d’où le Prophète serait parti pour son « voyage nocturne ». Pendant le règne des croisés au XIIe siècle, le Dôme devint une église et Al-Aqsa un palais.

Ce lieu de religion est surchargé de signification politique. « C’est là que réside l’irréductibilité du conflit […] avec une confusion totale du national et du religieux chez les Israéliens comme chez les Palestiniens », écrit l’historien Henry Laurens dans le dernier tome de sa Question de Palestine (Fayard, 2015).

Ce rectangle de 0,15 km2 situé dans la Vieille Ville est toujours en attente d’un statut définitif, aucune des deux parties ne voulant renoncer à sa souveraineté. À l’issue de la guerre de 1967, l’armée israélienne conquiert la partie est de Jérusalem, jusque-là sous domination jordanienne. En une nuit, elle rase le « quartier maghrébin » adossé au Mur pour le remplacer par un parvis dallé. Le grand rabbin de l’armée veut aller plus loin : faire sauter le dôme du Rocher et reconstruire le temple. Conscients du risque de déflagration majeure avec le monde musulman, le gouvernement israélien institue le statu quo qui perdure aujourd’hui : Israël assure la « sécurité » de l’esplanade, qui est gérée par un waqf (fondation religieuse) jordanien. C’est ce dernier qui autorise ou non les non-musulmans à visiter les lieux. Mais en aucun cas les fidèles d’une autre religion n’ont le droit d’y prier.

Ce qui n’empêche pas des groupes juifs fanatiques de s’y rendre régulièrement pour en revendiquer la propriété. Les forces israéliennes, pour leur part, ne se privent pas d’exercer leur droit d’assurer la « sécurité ». Le Haram Al-Sharif a ainsi souvent servi de point de départ des révoltes palestiniennes. En 1990, le mouvement ultranationaliste juif des Fidèles du Mont du Temple veut se rendre sur l’esplanade pour prier et poser la première pierre d’un nouveau temple. Les Palestiniens manifestent en masse. Les policiers israéliens ouvrent le feu sur la foule ; bilan : 22 morts. En 1996, le creusement par Israël d’un tunnel archéologique le long de l’esplanade déclenche des émeutes : 70 morts palestiniens, 17 militaires israéliens tués.

Et c’est là que démarre en septembre 2000 la seconde Intifada, appelée « Intifada al-Aqsa » par les Palestiniens. La révolte répond à une provocation israélienne : la « visite » sur l’esplanade du futur premier ministre de droite Ariel Sharon, alors dans l’opposition, entouré de centaines de policiers. Un geste hautement politique, alors que les négociations pour une solution à deux États sont en train d’échouer, principalement sur le statut du Haram Al-Sharif/Mont du Temple. Le lendemain, à l’issue de la prière du vendredi, de jeunes Palestiniens lancent des pierres sur les fidèles juifs priant en contrebas au pied du mur. La police israélienne envahit l’esplanade et tue 7 personnes. C’est le début d’une révolte qui a fait environ 1000 morts côté israélien et plus de 3 000 côté palestinien. Depuis, l’esplanade des mosquées est toujours régie, en théorie, par le statu quo de 1967. Qui semble bien fragile sous un gouvernement nationaliste israélien de plus en plus radical.

Pierre Prier

Journaliste. Son premier contact avec le Proche-Orient date de 1987, avec la première intifada. Il vient de quitter Le Figaro après 21 ans passés à couvrir le Proche-Orient et l’Afrique. Il a couvert la deuxième intifada en tant que chef du bureau de Jérusalem de 2000 à 2004.

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