Natasha Lennard, The Intercept, 3 mai 2022
Traduction, Alexandra Cyr
La fuite sans précédent qui s’est passée lundi (2 mai) qui divulgue un brouillon d’une opinion de la Cour suprême où on trouve sans ambiguïté la fin de l’arrêt en renversant les faibles protections constitutionnelles pour l’avortement sur lequel sa validité était installée, glace le sang même pour ceux et celles qui l’avaient vue venir. Plus de femmes enceintes vont souffrir et mourir surtout les femmes de couleur qui seront affectées en surnombre.
La responsabilité de cette possible décision repose clairement sur la puissante droite chrétienne avec l’aide et l’encouragement des membres cyniques et presque fascistes de la droite qui visent depuis des années les femmes enceintes qui affichent ainsi leur autonomie corporelle. Ils et elles ne répondront pas à notre rage et à nos protestations. Au contraire, cela les poussera à mettre de l’avant encore plus visiblement leur agenda autoritaire. En dépit des appels aux droits des États qui apparaissent dans ce brouillon écrit par le juge Alito, il est très clair que si les Républicains.es reprennent la majorité au Congrès, une loi fédérale bannissant l’avortement sera au programme.
On ne peut pas discuter avec des fascistes. Nous devons engager nos énergies ailleurs : faire pression extrêmement fortement et sans tergiversations sur les Démocrates qui ont tellement été sans colonne vertébrale, pour que cet enjeu soit traité pendant que le contrôle leur appartient encore un peu dans la législature. Nous n’aurions jamais dû en arriver là sans loi fédérale qui assure la protection de l’accès à l’avortement.
Les Démocrates au Congrès, auraient dû, depuis longtemps adopter une loi de ce type comme l’aile de gauche du Parti le demande de toute urgence. Mais ça n’a pas été fait. Ne pas agir maintenant pour éliminer le « filibuster » et passer une loi protégeant l’accès à l’avortement, placera les Démocrates au niveau de responsabilité et de blâme où se retrouvent les Républicains.es qui luttent contre l’avortement.
L’an dernier, le Texas a adopté une loi qui effectivement bannit l’avortement. En décembre 2021, un juge fédéral a statué que cette loi était non constitutionnelle. Le Président Biden s’est engagé à « mobiliser tout le gouvernement dans un effort » pour protéger les droits à l’avortement dans cet État. Cela reste encore à voir. J’ai écrit à l’époque à ce sujet ; un grand nombre de possibilités d’action pouvaient être utilisées immédiatement par cette administration.
Si, et c’est un véritable si, la peur d’un bannissement de l’avortement et le choc du retrait de l’arrêt Roe c. Wade galvanisent l’électorat démocrate en novembre (aux élections de mi-mandat n.d.t.) il pourrait y avoir un vote contre le pire plutôt qu’un vote d’adhésion au programme démocrate. Aujourd’hui, justement, le Parti Démocrate a refusé de prendre la tête de la lutte même si l’accès à l’avortement s’est effondré dans tant de milieux ; il ne sera pas à l’avant-garde. C’est encore à nous d’y être, comme il en a toujours été.
Puisque nous ne pouvons pas faire confiance aux dirigeants.es démocrates pour cette bataille, nous devons, comme les organisateurs.trices sur le terrain le font, contourner la loi, exploiter les interstices juridiques qui surviendront dans le chaos que le retrait de Roe c. Wade va mettre en évidence encore plus clairement. Pour maintenir la justice reproductive vivante, nous devons nous battre sur le terrain au-delà de la loi, en contravention de certaines lois ou dans les zones grises légales dans l’ère post Roe c. Wade.
Le retrait de cet arrêt, comme le note un article extrêmement important de la revue de droit de l’Université Columbia, va ouvrir un tout nouveau champs de bataille soit les conflits juridiques entre les États. Ceux qui soutiennent le droit d’accès à l’avortement vont adopter des lois qui protégeront les dispensateurs.trices qui vont desservir des patientes venant d’autres États pendant que ceux qui sont contre en adopteront pour poursuivre les dispensateurs.trices hors de leurs frontières.
Ces litiges sont déjà en cour : la législation du Connecticut a adopté une loi la semaine dernière qui protégera les dispensateurs.trices d’avortement qui répondront à la demande de patientes cherchant à se protéger de leur État qui bannit la procédure. Il y en aura d’autres.
Actuellement, 26 États ont des projets de loi pour bannir l’avortement chez-eux, fin prêts à être déposés pour adoption dès le moment où Roe c. Wade sera aboli. Ces lois pourraient aller plus loin en criminalisant carrément les avortements, (c’est-à-dire en accusant de meurtre la femme y ayant recours n.d.t.). Déjà une douzaine ont adopté des lois de bannissement. D’autres ont pris de l’avance sur le retrait mais en demeurant dans la légalité pour le moment ; ils pourraient passer à l’action très vite. 16 États dont le District de Washington se sont munis de lois protégeant le droit à l’avortement.
Les batailles juridiques les plus importantes entre les États vont surgir immédiatement après le retrait de l’arrêt. Que ce soit dans le secteur de la surveillance des femmes enceintes se déplaçant hors de leur État, celui des services médicaux par internet qui peuvent fournir des ordonnances pour la médication abortive au-delà des frontières étatiques jusqu’à la criminalisation de ceux et celles qui partagent des ressources matérielles, du soutien en vue d’un avortement.
Les auteurs.trices de l’article de la revue de l’école de droit de l’Université Columbia, soulignent que ces batailles pourront contredire les dires des Républicains.es qui prétendent que l’arrêt Roe c. Wade a compliqué les lois sur l’avortement plutôt que le contraire. Il se peut que la confusion que produira la nouvelle situation ouvre des avantages : des possibilités de donner accès à de nouveaux sites et de créer de plus grands réseaux ; de trouver de nouvelles failles juridiques ; des façons de nous rendre incontrôlables dans l’affrontement aux actions répressives des gouvernements. Nous devrons nous saisir de ces possibilités partout où se sera possible.
Il est très clair qu’il y aura plus d’arrestations, de poursuites et d’emprisonnement des dispensateurs.trices d’avortement, de supporters et de personnes recherchant les services. Récemment, au Texas, une poursuite contre une jeune femme, Lizelle Herrera, pour avortement pratiqué par elle-même, a échoué parce que un tel crime n’existe pas dans la législation de l’État. Nous avons vu à quelle vitesse de telles lois peuvent être adoptées pour le pire.
La règlementation de l’ère post Roe c. Wade nous donne encore plus de raisons d’avoir peur, mais aussi de résister et de nous battre pour les communautés qui ont peu de pouvoir et qui seront les plus visées sans aucun doute.
Il existe déjà des réseaux qui expédient la médication abortive dans les États où c’est illégal. Il faudra les renforcer en utilisant les outils digitaux et techniques, les systèmes postaux et d’assistance pas transport pour nous assurer que celles qui ont le moins de moyens soient desservies.
Toutefois, il faut se joindre à cette lutte, ne pas en inventer une nouvelle. Plusieurs seront choqués.es par ce retrait mais il faut se rendre compte qu’il existe déjà des forces en action sur le terrain tout comme des groupes qui ont besoin d’appuis plus que les grandes organisations comme Planned Patenthood.
Un des aspects très clair dans ce paysage émergeant, c’est que nous ne pouvons pas nous concentrer sur la seule législation. Les tactiques terrorisantes des Républicains.es n’ont pas que mis en pièce la statut actuel (de l’avortement), de nouvelles réalités ont été élaborées et ajoutées aux actions brutales des États envers ce statut, en claire violation du statut constitutionnel de la loi existante et fait en sorte que les connaissances des protections constitutionnelles paraissent en fin de règne. Cette approche républicaine illégale nous renseigne sur les attaques contre les droits des personnes transgenres qui s’amplifient constamment.
Dans son brouillon, le juge Alito critique le jugement de la cause Lawrence c. Texas qui annule les lois sur la sodomie et Obergefell c. Hodges sur le mariage de même sexe. Le juge écrit : « On ne peut invoquer qu’aucun de ces droits soient profondément enracinés dans notre histoire ». Voilà ce pourquoi les fascistes et leurs alliés.es se battent, pas seulement pour la fin du droit à l’avortement pour horrible que ce soit ; mais pour une nation toute entière où seuls les droits autorisés à s’appliquer seront ceux de la protection de la propriété, le patriarcat et la population blanche puisque juge Alito place son cadre d’analyse dans les racines de notre histoire.
Contrairement à la mythologie libérale, la lutte pour l’autonomie sur nos corps et la justice qui doit en découler, n’a jamais été acquise à la Cour Suprême. Elle n’a pas commencé là et elle n’y finira pas. Lundi soir une foule de plusieurs centaines de personnes s’est constituée en face de ce tribunal à Washington. « La racaille fasciste doit partir » y a-t-on scandé. C’est sans doute avec cet esprit antifasciste que la lutte doit se poursuivre.
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