Édition du 19 novembre 2024

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Québec

Éditorial

Québec solidaire, recentrage programmatique et posture « réaliste » ont construit l’impasse actuelle

La campagne électorale de Québec solidaire a été un moment d’un recentrage programmatique qui a nui à la clarté du message et de l’identité de Québec solidaire. Sa posture « réaliste » qui a conduit à refuser d’identifier et à critiquer ouvertement la classe dominante et ses partis qui s’opposent à une lutte effective contre les changements climatiques et à refuser clairement toute redistribution de la richesse n’a pas contribué à clarifier le caractère de réelle alternative que pouvait constituer Québec solidaire dans ces élections. Si on ajoute à cela, le silence gêné qui a amené Québec solidaire à refuser de faire de l’indépendance le cadre essentiel de la réalisation de son projet de société, nous avons là les causes majeures de son piétinement actuel. Ces carences nous indiquent en négatif les corrections essentielles qui devront être opérées pour sortir de l’impasse dans laquelle Québec solidaire s’est laissé entraîner.

1. Québec solidaire se donne une plate-forme qui se veut « réaliste » et « crédible »

À son 15e congrès de novembre 2021, Québec solidaire opte pour une plate-forme « réaliste » en battant les amendements à caractère quelque peu anticapitalistes, radicaux ou perçus comme tels. Ainsi, la résolution visant à nationaliser les grandes entreprises minières et forestières n’a pas été retenue. La gratuité scolaire des études supérieures était reportée à un avenir non défini. La plate-forme proposait de défendre un Québec inclusif, mais écartait une campagne contre la discriminatoire loi 21qui empêche des femmes de trouver des emplois dans le secteur public.

Les propositions adoptées démocratiquement par les membres du parti marquaient une rupture avec ce que proposaient les partis néolibéraux : défense des services publics et nécessité d’un réinvestissement massif en santé et en éducation ; volonté de redistribution des richesses ; défense de l’indépendance comme perspective incontournable et volonté d’enclencher un processus menant à l’indépendance par l’élection d’une constituante dans un premier mandat. En environnement, la plate-forme annonçait la volonté d’un gouvernement solidaire de réduire les émissions de 55% d’ici 2030, répondant ainsi aux vœux de nombres de groupes écologistes.

2. Québec solidaire se présente comme le défenseur de la « classe moyenne »

La campagne de Québec solidaire s’est ouverte sur une surprise. Le parti s’est présenté comme le parti défenseur de la « classe moyenne », réduisant ainsi l’inégalité profonde qui caractérise notre société à la seule question de revenu. Le parti ne se présentait pas comme le parti de la grande classe majoritaire des travailleurs et des travailleuses - le parti de tous ceux et der toutes celles dont la subsistance dépend du travail salarié subalterne et qui subissent donc la domination économique et politique du capital. Cette thématique de la domination du capital dans l’économie et dans l’État n’a vraiment pas été touchée par la campagne.

Si la présence des personnes racisées et la parité entre les hommes et les femmes ont été des préoccupations importantes dans le choix des candidatures, la présence de membres des classes ouvrières et populaires et de militant·e·s du mouvement syndical et d’autres mouvements sociaux n’a pas été au centre des préoccupations.

3. De la plate-forme aux choix programmatiques du comité électoral, des glissements qui ont affaibli la campagne

La plate-forme adoptée au congrès de QS comprenait 20 thèmes, chaque thème présentant 5 revendications, souvent plus. Les priorités à mettre de l’avant n’ont pas été discutées collectivement dans le parti. Ces dernières ont été laissées au Comité électoral.

Le plus bel exemple de cela a été le plan de lutte aux changements climatiques. Les membres en ont pris connaissance en même temps que les autres électeurs et électrices. Il a d’abord été présenté comme l’œuvre d’experts. Il comprend plusieurs propositions intéressantes, particulièrement en ce qu’a trait à ce qui a été nommé la révolution dans les transports. Mais, curieusement, ce plan reste muet sur la question de l’énergie. La revendication sur la nationalisation des énergies renouvelables n’a pas été l’objet d’une sortie médiatique. Ce plan accorde une place importante au secteur privé et s’ouvre par un appel à la concertation. Le plan Vision 2030, le plan climat de Québec solidaire s’ouvre par cette invitation « C’est pourquoi nous convoquerons l’ensemble des acteurs et actrices de la société civile québécoise à un grand sommet national sur le climat. Les représentant·e·s du monde des affaires et des syndicats, les élu·e·s des villes, les groupes écologistes, les leaders autochtones, les associations étudiantes,et les associations d’ainé·e·s : l’ensemble des forces vives de la société québécoise seront réunies afin de lancer les grands chantiers pouvant nous permettre de relever le défi climatique. »  

Cet appel à la concertation sociale présente le monde des affaires comme une force vive dans la lutte aux changements climatiques. C’est plus qu’étonnant, alors que les organisations patronales et les partis politiques à leur service freinent des deux pieds une véritable mise en œuvre d’un plan climatique à la hauteur de ce qui serait nécessaire et tentent de transformer la crise climatique en occasion d’affaires.

Dans le plan climatique, l’importance d’une vision écoféministe fait défaut. Pourtant. la pandémie Covid a bien démontré l’importance du « prendre soin » fait par les femmes pour préserver la vie en communauté. Tout ce travail s’est souvent fait en exploitant les femmes racisées. Sans vision écoféministe, tout le travail gratuit des femmes à la maison est passé sous silence.

Les revendications contre l’inflation écartaient l’indexation des salaires. L’insistance sur la construction des logements était un point fort à ce niveau, tout en privilégiant l’accès à la propriété. Mais une réelle explication de la responsabilité de grandes entreprises énergétiques et de la grande distribution dans la brusque montée des prix n’a pas été réellement dénoncée. La suspension des taxes sur des produits de première nécessité y compris sur les moyens contraceptifs et d’hygiène féminine aurait dû être présentée comme une mesure permanente de façon à offrir une réelle mesure de redistribution de la richesse.

Les propositions sur la taxation des millionnaires manifestaient la volonté de favoriser la redistribution de la richesse. Mais elles ne visaient que des individus plus fortunés et non les grandes entreprises et les banques qui font des superprofits dans ce contexte inflationniste. Ce sont ces surprofits que font les grandes surfaces par exemple qu’il fallait viser. Et ciblant des personnes plus riches, tels les producteurs agricoles, la classe des cadres et des experts (dont les responsables des grands médias) s’est sentie visée. La campagne de QS a ouvert le flanc aux attaques méprisables de Legault sur les « taxes oranges ». Ce choix n’a pas été sans conséquence sur les difficultés de sa campagne.

Durant la campagne, le positionnement sur l’immigration a intégré la logique des seuils et des niveaux d’accueil. Ce qui est resté comme trace dans l’électorat, c’est que Québec solidaire est plus ouvert que le PQ ou la CAQ, mais moins ouvert que les organisations patronales ou le gouvernement Trudeau. Ce biais a encore une fois exposé le parti aux attaques des nationalistes conservateurs, qui ont eu beau jeu d’associer l’immigration aux menaces contre la langue française. Au lieu de promouvoir cette logique de seuil, il fallait d’abord défendre le droit de circulation et d’installation des personnes migrantes. Il fallait insister sur les contraintes à l’immigration provoquée par l’exploitation du Sud global et les changements climatiques et la nécessité de se préparer à les accueillir. Il fallait dénoncer le sort fait aux personnes migrantes exploitées comme travailleurs·euses précaires et temporaires ou discriminées par la non-reconnaissance de leur qualification. C’est toute la logique profiteuse de la politique du capital face à l’immigration qui aurait dû être la cible de nos dénonciations et la volonté de mettre fin à cette surexploitation qui aurait dû être les axes de nos propositions en cette matière.

Les interventions en défense des revendications des femmes et particulièrement de la nécessité de la lutte et des moyens à fournir contre les violences sexistes n’ont pas été à la hauteur de ces problèmes dans la société québécois Ce n’est pas la première campagne électorale où QS minimise les revendications féministes. Il faut croire que prioriser les droits des femmes n’est pas nécessairement gagnant sur le plan électoral.

4. L’indépendance et sa défense n’a occupé pratiquement aucune place dans la campagne solidaire

Alors que la plate-forme adoptée définissait correctement l’importance de l’indépendance et une démarche de sa réalisation dans un premier mandat, le silence quasi total sur cette question a amené la campagne solidaire à reprendre la voie antérieure du PQ et à refuser de faire de la réalisation de l’indépendance un enjeu central du moment électoral. Depuis le référendum de 95, le PQ n’a jamais fait de l’indépendance un enjeu central de leur campagne électorale. Dans toutes les autres élections, les Bouchard, Landry, Boisclair, Marois ou Lisée ont fait leur campagne autour de la nécessité d’élire un bon gouvernement provincial. En négligeant de placer l’indépendance au centre de sa campagne, les porte-parole ont emprunté le même chemin. Non seulement ils se sont inscrits dans une logique provincialiste, mais ils ont laissé Paul St-Pierre Plamondon occuper l’ensemble du terrain de la lutte pour l’indépendance permettant ainsi au PQ de récupérer de multiples électeurs et électrices qui avaient rejoint Québec solidaire en 2018. C’est ainsi que le PQ a pu occuper la deuxième rang des votes dans 61 comtés et d’en gagner trois alors que Québec solidaire n’a réussi à décrocher une deuxième place que dans 16 comtés. Et cela est d’autant plus dommageable pour la perspective d’indépendance elle-même alors que Paul St-Pierre Plamondon a repris à son compte une démarche d’identité nationale présentant l’immigration comme un danger pour la société québécoise.

Plus important encore, il faut avoir tous les pouvoirs pour pouvoir réinvestir dans le secteur public, pour pouvoir réorganiser le système ferroviaire, pour pouvoir restructurer l’ensemble du secteur énergétique… Il faut avoir tous les pouvoirs pour en finir avec la surexploitation des immigré-e-s. Il faut défendre l’indépendance pour pouvoir instaurer des rapports égalitaires avec les Premières Nations. Il faut avoir tous les pouvoirs pour légiférer sur la défense de la langue française sans permettre à la Cour suprême de s’attaquer à nos droits linguistiques. Il faut disposer de tous les pouvoirs pour en finir avec l’utilisation de notre argent dans les programmes de remilitarisation de l’économie canadienne. La logique provincialiste, c’est taire notre lutte d’émancipation nationale. Et cela n’est même pas payant sur le terrain électoral.

5. Les résultats électoraux qui font l’affaire de la classe dominante

Il faut le dire la grande gagnante de cette élection c’est la droite et l’extrême droite. Québec solidaire a fait élire plus de député·e·s qu’en 2018, malgré un léger recul au niveau des votes. On a présenté ce résultat comme la résilience propre au parti qui a été capable de résister à la vague caquiste. Mais avec une progression d’à peine 3,75%, le vote de la CAQ ne représente pas une avancée redoutable. La CAQ profite du caractère hautement injuste de notre mode de scrutin. Le parti qui a connu l’avancée la plus fulgurante, c’est le Parti conservateur du Québec. Outre les habiletés de son chef, cette croissance repose sur la rente qu’il s’est construite en s’opposant à la gestion autoritaire faite d’improvisation de la crise sanitaire. Ce que révèle cette progression, c’est que pour progresser dans l’électorat, on ne peut se contenter de faire des propositions « raisonnables et crédibles ». Il fallait démontrer que la Coalition Avenir Québec au pouvoir n’a pas travaillé dans l’intérêt de la majorité populaire, tout au contraire.

Le gouvernement de la CAQ a refusé de s’attaquer de façon urgente à la crise climatique et à ses conséquences ; il a géré la pandémie de la COVID19 de façon autoritaire et manipulatrice ; il a refusé d’investir en éducation et en santé et a favorisé une privatisation rampante de ces secteurs ; il a distribué des fonds sans compter à ses amis du monde des affaires et a contribué au développement des inégalités dans la société québécoise ; il a rejeté de nombreuses demandes des Premières Nations et a refusé de reconnaître l’existence du racisme systémique ; il a stigmatisé l’immigration et favorisé une politique de division de la population avec sa démagogie identitaire. Bref, le gouvernement Legault a imposé des politiques calamiteuses à la majorité populaire. Plus important, les politiques de ces gouvernements répondaient aux demandes de la classe dominante.

6. Les voies du dépassement de la situation actuelle pour Québec solidaire

Pourtant, la campagne de Québec solidaire se contentait de faire des propositions crédibles sans démontrer quel système la majorité populaire doit affronter, le capitalisme, et quelles politiques mènent les partis et le gouvernement à son service.

Un parti comme Québec solidaire se construira sur la base de la remontée des luttes sociales des mouvements syndical, écologique, féministe et jeunes. Ces mouvements sont appelés à clairement identifier les forces réactionnaires qu’elles devront confronter. Quand les directions syndicales appellent le gouvernement de la CAQ à renouer avec le dialogue social, elles ne se donnent pas les moyens et les perspectives pour construire la mobilisation nécessaire à la transformation de la situation, à la lutte aux changements climatiques et à la redistribution des richesses.

Le cas de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda et la défaite de notre candidate grâce notamment à la campagne menée par le syndicat affilié à la CSN en faveur du candidat caquiste, ex-libéral et lobbyiste de l’industrie minière, montre que les mouvements sociaux sont traversés par des différentiations politiques et que QS doit être présent dans ces mouvements pour y défendre ses propositions en toute indépendance pour ces organisations. Penser que ces mouvements seront spontanément favorables à QS parce que son programme répond positivement à plusieurs de leurs revendications est une erreur. QS doit se doter d’une politique encadrant sa présence dans les luttes populaires, avec les mouvements qui les animent.

Affirmer, encore dans ce contexte que nous serons les partenaires d’un gouvernement si ce dernier pose des gestes progressistes, c’est entretenir des illusions et éviter d’identifier l’ampleur des luttes qui sont devant nous et les obstacles que nous devrons affronter.

Le chantier pour « relever le défi climatique », le chantier de la lutte à l’inflation, pour le logement social et pour la redistribution des richesses, le chantier de la défense des revendications des minorités racialisées et des peuples autochtones, et enfin la lutte pour l’indépendance, passeront par l’unité de la majorité populaire du Québec contre les projets et politiques de la classe dominante qui défend un tout autre projet, soit la défense des intérêts de la minorité dominante. Ce sont autour de ces 4 thématiques que Qs doit avancer son projet de société dans les quatre prochaines années. De même les revendications des femmes et des personnes LGBT + autour des violences et de l’avortement demeurent d’une actualité importante dans ce contexte québécois et international de la montée de la droite. Sans indiquer clairement qu’il faudra, en alliance avec les mouvements sociaux anti-systémiques, s’en prendre à leur domination. Québec solidaire tombera inévitablement sur le même chemin piégé emprunté par les partis réformistes qui ont échoué sur la voie d’une transformation sociale véritable.

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