Tiré du site du CADTM.
Il y a presque un an on écrivait qu’un des objectifs de Netanyahou et de ses acolytes était de nous accoutumer « à un monde ressemblant de plus en plus à une jungle où règne uniquement le droit du plus fort et où sont « permises » les pires atrocités contre les plus faibles ! ». Aujourd’hui, et tenant compte du bilan de douze mois d’atrocités et de crimes qui dépassent souvent l’imagination, on peut dire que l’État sioniste est en train de nous accoutumer à quelque chose de bien plus grave : à la perversité, au sadisme de masse et à la violence aveugle et sans limite contre les civils, lesquelles sont tolérées, reconnues et même acceptées dernièrement comme des comportements « normaux » par ceux d‘en haut ! Ce qui fait que sont bestialisés non seulement ceux qui commettent ces crimes innommables, mais aussi tous ceux qui les tolèrent et les encouragent feignant de ne pas les voir…
On se trouve ici devant un « phénomène qui n’a aucun précédent historique, qui est totalement nouveau. Car s’il y a eu dans le passé des crimes aussi ou peut être plus graves que ceux commis aujourd’hui par Israël, il n’y a jamais eu l’indifférence et l’apathie, et même la tolérance et la bienveillance montrées à leur égard par les gouvernants, les centres de décision, les médias et même la majorité des opinions publiques du monde entier ! Donc, aucune comparaison avec les réactions des contemporains des nazis face aux crimes perpétrés par le Troisième Reich. Même si la majorité de leurs réactions étaient motivées non pas par l’antifascisme mais par un patriotisme anti-allemand, le fait est que, quand ils étaient connus, les crimes des nazis étaient presque unanimement condamnées, comme d’ailleurs ceux perpétrés plus tard par les États-Unis au Vietnam ou la France en Algérie.
Et maintenant ? Comment réagit la soi-disant « communauté internationale » face aux crimes en série d’Israël ? Dans la majorité des cas, elle réagit par un silence assourdissant. Pas un mot. Ses médias et ses autorités préfèrent ne rien dire. Alors, on parle à dessein de tout sauf des hécatombes quotidiennes en Palestine. On commente abondamment des histoires à dormir debout, on s’exaspère du sort des otages israéliens, et on s’apitoie a longueur de journée sur une victime d’un fait divers mais on passe sous silence la mort des dizaines, des centaines et des dizaines de milliers de Palestiniens de Gaza et des Territoires Occupées. Car manifestement il y a des morts qui pèsent bien moins que d’autres... ou ne pèsent rien du tout…
Mais, il y aussi ceux qui en parlent. Sauf qu’ils le font d’une façon bien... bizarre. En réalité, ils en parlent pour ne rien dire. À l’instar de leurs collègues poutinistes qui pérorent sur la guerre... « défensive » que mène la Russie en Ukraine, ils abondent eux aussi en « analyses » truffées de très savantes considérations « géostratégiques » sur le prétendu sens profond des opérations (militaires et autres) d’Israël, mais évitent soigneusement de parler de l’essentiel : des victimes humaines et de leurs bourreaux, des civils, surtout des femmes et des enfants bombardés et massacrés par dizaines de milliers. En somme, ils brouillent les cartes, afin de semer la confusion et ne pas nommer ni le criminel et ses crimes, ni ses victimes et leurs souffrances indicibles . Faisant preuve d’un cynisme et d’un amoralisme sans pareil, ces « analystes » et autres journalistes et « experts » en mission commandée, inaugurent ainsi une ère nouvelle : celle des sociétés monstrueuses où sont mal vues sinon bannies et criminalisées la compassion, la fraternité et la solidarité entre les humains. En somme, des sociétés totalement inhumaines condamnées à disparaître tôt ou tard dans un paroxysme de violence aveugle...
Ceci étant dit, il reste de réfléchir sur le présent et l’avenir des protagonistes de cette tragédie sans fin : les Israéliens et leur État. La parole donc à l’indomptable Israélien qu’est le célèbre journaliste et écrivain Gideon Levy, dont les prises de position plus que courageuses et toujours contre le courant ne font que sauver l’honneur non seulement des Juifs mais aussi de toute l’humanité. Voici donc son dernier et si terrible texte que nous avons traduit en français, publié il y a quelques jours dans le quotidien Haaretz. Il assène des vérités premières et existentielles à ses compatriotes...
Les Israéliens doivent se demander s’ils sont prêts à vivre dans un pays qui vit dans le sang
Il faudra des générations pour que Gaza se rétablisse, si tant est qu’elle le puisse.
par Gideon Levy
Israël se transforme, à une vitesse alarmante, en un pays qui vit de sang. Les crimes quotidiens de l’occupation ont déjà perdu de leur pertinence. Au cours de l’année écoulée, une nouvelle réalité de massacres et de crimes d’une toute autre ampleur est apparue. Nous sommes dans une réalité génocidaire ; le sang de dizaines de milliers de personnes a coulé.
C’est le moment pour tous les Israéliens de se demander s’ils sont prêts à vivre dans un pays qui vit dans le sang. Ne dites pas qu’il n’y a pas de choix - bien sûr qu’il y en a un - mais nous devons d’abord nous demander si nous sommes prêts à vivre ainsi.
Sommes-nous prêts, nous les Israéliens, à vivre dans le seul pays au monde dont l’existence est fondée sur le sang ? La seule vision répandue en Israël aujourd’hui est de vivre d’une guerre à l’autre, d’une saignée à l’autre, d’un massacre à l’autre, avec des intervalles aussi espacés que possible. Les gens pleins d’espoir promettent de longs intervalles, tandis que la droite promet une réalité sanguinolente permanente : la guerre, les massacres, la violation systématique du droit international, un État paria, se répétant dans un cycle sans fin.
Les Palestiniens continueront à être massacrés et les Israéliens continueront à fermer les yeux ? Difficile à croire. Un jour viendra où davantage d’Israéliens ouvriront les yeux et reconnaîtront que leur pays vit dans le sang. Sans effusion de sang, nous dit-on, nous n’avons pas d’existence - et nous sommes en paix avec cette horrible déclaration.
Non seulement nous croyons qu’un tel pays ne peut pas exister éternellement, mais nous sommes convaincus que sans l’offrande de sang, il n’a pas d’existence. Tous les trois ans, une saignée à Gaza, tous les quatre ans, au Liban. Entre les deux, il y a la Cisjordanie et, occasionnellement, une sortie de sang vers d’autres cibles. Il n’y a pas d’autre pays comme celui-là dans le monde.
Le sang ne peut pas être le carburant du pays. De même que personne n’imaginerait conduire une voiture alimentée par du sang, aussi bon marché soit-il, il est difficile d’imaginer que 10 millions d’habitants acceptent de vivre dans un pays qui fonctionne au sang. La guerre à Gaza marque un tournant. Est-ce ainsi que nous continuerons ?
Les médias tentent de nous faire croire qu’il s’agit d’une nécessité. Grâce à des campagnes qui diabolisent et déshumanisent les Palestiniens, un chœur unifié et monstrueux de commentateurs réussit à nous vendre l’idée que nous pouvons vivre pour l’éternité dans le sang. ’Nous tondrons l’herbe’ à Gaza tous les deux ans, nous exécuterons génération après génération de jeunes opposants au régime, nous emprisonnerons des dizaines de milliers de personnes dans des camps de concentration, nous expulserons, nous abattrons, nous exproprierons et, bien sûr, nous tuerons, et c’est ainsi que nous vivrons : dans le pays du sang.
Nous avons déjà tué le peuple palestinien. Nous avons commencé par le massacre de Gaza, et maintenant nous nous tournons vers la Cisjordanie. Là aussi, le sang coulera à flots, si personne n’arrête le bataillon. Le massacre est à la fois physique et émotionnel. Il ne reste plus rien de Gaza.
Les détenus, les orphelins, les traumatisés, les sans-abri ne redeviendront jamais ce qu’ils étaient. Les morts ne le seront certainement pas. Il faudra des générations pour que Gaza se remette, si tant est qu’elle le puisse. Il s’agit d’un génocide, même s’il ne répond pas à la définition légale. Un pays ne peut pas vivre sur une telle idéologie, et certainement pas s’il a l’intention de continuer à le faire.
Supposons que le monde continue de l’autoriser. La question est de savoir si nous, les Israéliens, sommes prêts à l’accepter. Combien de temps pourrons-nous vivre en sachant que notre existence dépend du sang ? Quand nous demanderons-nous s’il n’y a vraiment pas d’alternative à un pays de sang ? Après tout, il n’y a pas d’autre pays comme celui-ci.
Israël n’a jamais sérieusement essayé une autre voie. Il a été programmé et dirigé pour se comporter comme un pays qui vit du sang, et ce encore plus après le 7 octobre. Comme si ce jour terrible, après lequel tout est permis, avait scellé son destin de pays du sang.
Le fait est qu’aucune autre possibilité n’a été évoquée. Mais un pays de sang n’est pas une option, tout comme une voiture alimentée au sang n’est pas une option. Lorsque nous nous en rendrons compte, nous commencerons à chercher des alternatives, ne serait-ce que par manque d’autres options. Elles sont là et attendent d’être testées. Elles peuvent nous surprendre, mais dans la réalité actuelle, il est impossible même de les suggérer.
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