Édition du 25 mars 2025

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Israël - Palestine

« Que doivent faire les Palestiniens ? Mourir en silence ? »

Israël a repris la guerre contre la bande de Gaza mardi 18 mars, tuant dans ses bombardements des centaines de personnes. Mediapart s’est entretenu avec Raji Sourani, avocat gazaoui, fondateur du Centre palestinien pour les droits humains, de passage à Paris.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
19 mars 2025

Par Gwenaëlle Lenoir, Raji Sourani

Une fois de plus, des enfants, des femmes, des hommes massacrés par dizaines, des structures de santé déjà en miettes débordées, des blessé·es et des survivant·es couvert·es de cette poussière grise du béton fracassé par les bombes israéliennes. Une fois de plus des familles à pied, le corps ployant sous les quelques biens qu’elles peuvent emporter, fuyant après en avoir reçu l’ordre de l’armée israélienne. Une fois de plus, la bande de Gaza en territoire martyr.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a donc décidé, dans la nuit de lundi 17 mars à mardi 18 mars, de lancer l’aviation israélienne contre une population, à Gaza, qui tentait tant bien que mal, au milieu des privations imposées, des deuils sans fin, de célébrer le mois de ramadan, propice aux longues veillées et au rassemblements familiaux.

Mercredi soir, Nétanyahou a pleinement assumé. Ces nouvelles frappes ne sont « que le début », a averti le premier ministre israélien. Le Hamas «  a déjà ressenti notre force ces dernières vingt-quatre heures. Et je veux vous assurer, à vous et à eux : ce n’est que le début », a affirmé Benyamin Nétanyahou dans une allocution télévisée.

Du nord au sud, l’enclave a été écrasée sous les bombes mardi. Un des correspondants de la chaîne qatarie Al Jazeera en anglais sur place, Tareq Abou Azzoum, a déclaré à son média : « La plupart des bombardements aériens ont visé des quartiers densément peuplés, des écoles de fortune et des immeubles résidentiels où les gens se sont réfugiés.  »
En fin de matinée mardi, le ministère de la santé à Gaza annonçait 404 morts en quelques heures, ajoutant que de nombreuses victimes se trouvaient toujours sous les décombres. Ces nouvelles tueries interviennent après près de deux mois de trêve, durant lesquels le niveau de violence infligé à la population de Gaza avait considérablement baissé.

Un communiqué du gouvernement israélien indique que ces bombardements «  font suite au refus répété du Hamas de libérer [les] otages ainsi qu’à son rejet de toutes les propositions qu’il a reçues de l’envoyé présidentiel américain Steve Witkoff et des médiateurs ».

C’est pourtant bien Benyamin Nétanyahou qui, le premier, a rompu l’accord de cessez-le-feu signé avec le Hamas le 15 janvier, grâce aux médiations qatarie et égyptienne et sous forte pression des émissaires de Donald Trump, qui avait promis un arrêt de la guerre pour son investiture le 20 janvier.

L’accord, contraignant, prévoyait trois phases. La première, du 19 janvier au 1er mars, prévoyait un arrêt des hostilités, la libération des otages israélien·nes les plus fragiles encore retenu·es dans Gaza et celle de dizaines de prisonnières et prisonniers palestiniens, le retrait des soldats de l’État hébreu de la plupart des zones du territoire palestinien et le retour possible dans le nord de l’enclave de la population qui en avait été chassée.

Seule cette phase a été respectée.

La deuxième comprenait la libération du reste des captifs et captives, le retrait total de l’armée israélienne de la bande de Gaza et l’arrêt définitif des hostilités, avant le début de la reconstruction, durant la troisième phase.

Condamnations

Plusieurs jours avant le 1er mars, au lieu de négociations sur la mise en œuvre de la deuxième étape du cessez-le-feu, Benyamin Nétanyahou l’a remise en cause, exigeant la prolongation de la première phase et la libération, en une fois, de tou·tes les otages. Il a été appuyé par l’envoyé spécial américain Steve Witkoff.

Devant le refus du Hamas de céder à ces nouvelles exigences, le gouvernement israélien a, en violation du cessez-le-feu et du droit international, décidé d’interrompre toute entrée d’aide humanitaire dans l’enclave palestinienne, puis a coupé l’approvisionnement en électricité qui permettait le fonctionnement de la plus grande centrale de dessalement d’eau de Gaza.

Au moins cent personnes ont également été tuées par l’armée israélienne pendant la trêve. À chaque fois, Tel-Aviv a affirmé qu’il s’agissait de militants armés, ce que des témoins, sur place, ont, dans une partie des cas, démenti.

De nombreuses fois, le gouvernement israélien a brandi la menace d’une reprise de la guerre, alors que les familles des otages exigeaient, elles, une application de la deuxième phase pour obtenir la libération des captives et captifs vivants et le retour des dépouilles de celles et ceux qui sont morts à Gaza.

Le premier ministre a donc mis cette menace à exécution, en soulignant que les États-Unis avaient été prévenus et avaient approuvé les bombardements. Mardi dans l’après-midi, l’ambassadrice états-unienne aux Nations unies par intérim a, devant le Conseil de sécurité, rejeté l’entière responsabilité de la reprise de la guerre sur le Hamas.

Nombre d’autres États, dans le monde entier, les ONG, l’ONU ont condamné l’action israélienne ou s’en sont inquiétés.

Sur le plan intérieur israélien, sans surprise, les formations d’extrême droite se sont félicitées de la reprise des bombardements. Le parti d’Itamar Ben-Gvir, qui a quitté le gouvernement en janvier pour protester contre le cessez-le-feu, a annoncé son retour au sein du cabinet.

Les familles des otages, déjà en colère à l’annonce, dimanche, du limogeage du chef du Shin Bet, ont appelé à manifester à proximité de la résidence du premier ministre à Jérusalem, alors que plusieurs captifs récemment libérés critiquaient la décision de bombarder à nouveau Gaza, et accusaient le gouvernement d’avoir « condamné à mort » celles et ceux qui sont encore détenus dans le territoire palestinien.

Les opposants au premier ministre soulignent que ce nouvel épisode belliqueux lui évitede comparaître à son procès au pénal pour corruption, Benyamin Nétanyahou arguant de réunions urgentes de sécurité alors même que sa demande de report avait été retoquée par le parquet il y a deux jours.

Mediapart a rencontré à Paris Raji Sourani, avocat, fondateur et directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR), principale organisation de défense des droits humains de la bande de Gaza. Il est quelques jours en France pour une série de rencontres qu’il mène avec Yuli Novak, présidente de l’organisation israélienne B’Tselem, et Shawan Jabarin, directeur de l’organisation Al-Haq, de Ramallah.

Mediapart : Êtes-vous surpris par la reprise des bombardements israéliens sur la bande de Gaza et le massacre perpétré la nuit dernière ?

Raji Sourani : Absolument pas. Le génocide est en cours depuis dix-huit mois et quelques. Même le cessez-le-feu du 19 janvier n’y a pas mis fin, il a simplement fait baisser le niveau des tueries. Maintenant les Israéliens les reprennent à plein régime. Et cela est possible parce que personne ne demande de comptes à Israël. Personne ne critique le génocide en cours. Personne ne veut mettre fin au génocide. Israël juge donc qu’il a le droit de tuer et de faire ce qu’il veut.

Vous avez travaillé avec l’Afrique du Sud pour la constitution et la présentation de la plainte pour génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ). Pour l’instant, les décisions de cette instance et celles de la Cour pénale internationale (CPI), les mandats d’arrêts émis contre Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant, n’ont aucun résultat concret. La justice internationale est-elle mise en échec ?

Tout d’abord, je pense que l’Afrique du Sud s’est bien comportée et qu’elle est entrée dans l’histoire lorsqu’elle a présenté le cas à la CIJ au nom de la Palestine et des Palestiniens, et qu’elle a porté la notion d’État de droit à l’attention du monde entier. Je pense que cette leçon a été très dure pour les pays occidentaux coloniaux et racistes qui, non contents de regarder le génocide sans rien faire, l’ont soutenu en disant qu’Israël pratiquait l’autodéfense.

En janvier, février et avril 2024, trois mesures provisoires consécutives ont été prises, demandant l’entrée immédiate de l’aide humanitaire et de la nourriture dans la bande de Gaza. Mais Israël ne s’y est pas plié, et le monde, une fois de plus, n’a pas agi pour mettre en œuvre ces mesures. Ensuite, nous avons eu le mémoire déposé par l’Afrique du Sud en octobre 2024. Cela signifie que vous compilez les crimes d’une année. Après cela, nous devons attendre encore six mois pour la réponse israélienne à ce sujet.

Pendant ce temps, Israël a lancé une attaque criminelle contre le nord de Gaza, une attaque sans précédent, même pour Gaza. Ensuite, ils ont entamé la deuxième phase de la guerre génocidaire en Cisjordanie. Elle a commencé à partir du nord et au-delà. Troisièmement, le blocus de Gaza a repris. Et même avec l’accord qu’ils ont conclu [le cessez-le-feu du 15 janvier – ndlr], ils ont bloqué Gaza à nouveau. Même le peu de nourriture qui était censé entrer, ils l’ont bloqué. Cela fait vingt jours.

D’un point de vue juridique, quelque chose bouge. Mais la justice est lente dans ces tribunaux, et on ne s’attend pas à ce que les choses soient conclues en six mois ou un an.

© Photo Palestinian Centre for Human Rights

La justice n’est-elle pas impuissante ? Nous avons entendu plusieurs pays, dont la France, affirmer qu’ils n’arrêteraient pas Benyamin Nétanyahou si celui-ci venait sur leur territoire, malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale.

La CPI et la CIJ n’ont pas d’armée ni d’organe chargé de l’application de la loi. L’armée et l’organe chargé de l’application de la loi pour la CIJ et la CPI, ce sont les États. Donc si les démocraties occidentales éclairées ne respectent pas les décisions les plus importantes des tribunaux, qui va les appliquer ? Nous sommes au bord d’une situation sans précédent, où le droit international devient sélectif et politisé. Quelle serait la réaction si 17 000 enfants, des Israéliens, étaient tués, quelle serait la réaction si 14 000 femmes, des Israéliennes, étaient tuées ? C’est ce qui se passe à Gaza.

Avez-vous le sentiment que le peuple palestinien se voit dénier le droit au respect du droit international ?

Les Américains ont introduit la terminologie du droit à l’autodétermination, qui a ensuite été adoptée par l’ONU et est devenue partie intégrante du droit international. L’autodétermination signifie que tout peuple soumis à la répression, à l’oppression, au colonialisme a le droit de décider de son destin et de son avenir par tous les moyens. C’est exactement ce à quoi l’Ukraine a eu droit lorsqu’elle a été envahie et occupée par la Russie.

Que doivent faire les Palestiniens ? Être de bonnes victimes ? Mourir en silence ?

Devrions-nous alors être blâmés lorsque nous avons recours au droit, au droit international ? La CPI et la CIJ ne sont pas des inventions des Palestiniens, le droit international, le droit international humanitaire non plus. Ni la Convention pour la prévention du génocide. Nous y avons eu recours et nous l’avons utilisée efficacement. Mais il semble que nous vivions dans un monde où règne la loi de la jungle, et non l’État de droit.

Mais quelle est la différence entre des terroristes, des criminels et des gens civilisés ? C’est la loi. Si vous ne respectez pas la loi, si vous violez la loi, si vous commettez un crime, vous êtes le terroriste, vous êtes le criminel et c’est vous qui devriez être tenu responsable. Mais nous sommes dans Kafka : la pratique de l’occupation, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, la persécution, le génocide, tout cela est couvert.

Que doivent faire les Palestiniens ? Être de bonnes victimes ? Mourir en silence ?

Le droit international est-il mort à Gaza ?

Ils le veulent. Ils veulent que Gaza soit le cimetière du droit international.

Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les déclarations et positions du nouveau président états-unien fragilisent encore plus la loi internationale. Comment réagissez-vous à cela ?

Je ne pense pas que le monde doive agir en fonction de l’humeur de Son Excellence M. Trump. Trump a lancé une attaque sévère et sans précédent contre le système judiciaire mondial. Les deux tribunaux les plus importants de la planète, la CPI et la CIJ, sont l’objet de ses attaques. Déjà lors de son mandat précédent, il a menacé de poursuivre le procureur et les juges de la CPI. Il le refait aujourd’hui.

Aujourd’hui, les dirigeants français disent, en plein génocide, que si Nétanyahou venait en France, il serait le bienvenu et ne serait pas tenu responsable de ce que suggère la plus importante cour de justice au monde.

Nous ne voulons pas que le monde soit l’otage d’un pays, d’un président en particulier. Ils sont du mauvais côté de l’histoire. La communauté internationale, après les très dures leçons des deux guerres mondiales, a dit qu’il existait des crimes et que ceux qui les commettent doivent en répondre. Nous devons nous battre pour cela, et nous devons faire ce que nous avons à faire en tant que communauté internationale.

Vous avez reçu plusieurs récompenses honorifiques en France, de la main des présidents Jacques Chirac et Emmanuel Macron. Comment vous sentez-vous aujourd’hui vis-à-vis de ces honneurs ?

Mal, très mal. J’étais très fier d’avoir reçu ces prix dans le pays qui a diffusé mondialement la devise «  liberté, égalité, fraternité  ». Je pensais que c’était une reconnaissance non pas de ce que je fais personnellement, mais une reconnaissance des victimes que nous défendons, des droits que nous mettons en avant, du droit de faire respecter la justice et la dignité de l’homme dans cette partie du monde, et d’avoir notre droit à l’autodétermination. Nous avons appris de la France que la résistance, ce n’est pas seulement un droit, mais une obligation pour tout peuple libre.

Et aujourd’hui, les dirigeants français disent, en plein génocide, que si Nétanyahou venait en France, il serait le bienvenu et ne serait pas tenu responsable de ce que suggère la plus importante cour de justice au monde. Nous ne vous demandons pas d’envoyer des armes en Palestine. Nous ne vous demandons pas d’envoyer des volontaires pour prendre les armes et lutter à nos côtés. Nous ne vous demandons pas de nous soutenir légalement ou autrement, mais au moins de prendre une position de base, appropriée, contre ce qui se passe.

Il y a un génocide en cours, diffusé en direct, et le monde entier le regarde. Les Français le savent. L’Europe le sait et ils savent que c’est un crime contre l’humanité. Et ils ne font rien pour y mettre fin. C’est injuste.

Votre équipe réussit-elle à travailler dans la bande de Gaza ?

C’est presque mission impossible. Mais l’équipe accomplit un travail héroïque à Gaza en documentant tous les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, les persécutions et le génocide qui s’y déroulent. Et en portant cela devant les plus importantes instances juridiques au monde, à savoir la CPI et la CIJ.

Vous avez des rendez-vous avec des responsables français. Qu’allez-vous leur dire ?

Arrêtez le génocide. C’est votre devoir. Nous devons choisir le monde que nous voulons. Un monde régi par l’état de droit ou par la loi de la jungle. Si vous choisissez la loi de la jungle, tout le monde en paiera le prix.

Gwenaelle Lenoir

P.-S.

• Mediapart. 19 mars 2025 à 07h39 :
https://www.mediapart.fr/journal/international/040325/alors-que-la-treve-vacille-les-etats-arabes-presentent-leur-plan-pour-gaza

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Gwenaëlle Lenoir

Journaliste indépendante, spécialiste du monde arabe et de l’Afrique de l’Est.

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