Édition du 18 mars 2025

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Le Monde

La Chine et les États-Unis au XXIe siècle

Charlie Hore retrace la croissance rapide de l’économie chinoise au cours du dernier quart de siècle et les tensions croissantes avec les États-Unis. Transcription de la vidéo.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
9 mars 2025

Par Charlie Hore

Merci beaucoup à la rs21 d’Édimbourg d’avoir organisé cet événement et merci à tous ceux et celles qui sont ici présents. Il ne fait aucun doute que lorsque l’on écrira l’histoire du XXIe siècle, l’essor de la Chine en sera l’un des thèmes majeurs. C’est là un sujet immense, qui sera donc abordé de manière très générale. Dans cette introduction, je vais essayer de faire trois choses essentielles : premièrement, expliquer comment la Chine est devenue une puissance économique mondiale et, par conséquent, une grande puissance impérialiste ; deuxièmement, aborder certaines des tensions entre les classes et les nations que le succès économique des 25 dernières années a exacerbées ; et enfin, parler de la Chine et du monde, en particulier des tensions de plus en plus vives avec les États-Unis.

Une image vaut mille mots. Ce graphique montre la vitesse et l’ampleur de la montée en puissance de la Chine au cours du dernier quart de siècle. Voici la croissance annuelle du PIB au cours de ce siècle, la ligne bleue représente la Chine, la ligne grise l’économie mondiale et la ligne orange les États-Unis. Trois choses évidentes en ressortent. La Chine a systématiquement obtenu de meilleurs résultats que l’économie mondiale dans son ensemble mais aussi que les États-Unis. Deuxièmement, les États-Unis ont systématiquement obtenu des résultats inférieurs à ceux de l’économie mondiale jusqu’à très récemment. Troisièmement, il y a deux interruptions majeures dans cette tendance. Le krach boursier de 2008 puis la pandémie de Covid en 2020. Je vous parlerai du miracle économique au cours de ces trois phases.

Une autre façon de considérer les choses, c’est de se rappeler qu’en 2000, la Chine ne produisait que 4 % du PIB mondial, contre 30 % pour les États-Unis. En 2021, la Chine représentait 18 % du PIB mondial, contre 24 % pour les États-Unis. Cette évolution s’est déroulée en trois périodes distinctes : avant 2008, pendant la crise de 2008, pendant la pandémie de Covid-19 et après. Trois grands thèmes se dégagent de cette évolution. Tout d’abord, il y a la bonne fortune dont a bénéficié le Parti communiste chinois (PCC) en s’ouvrant à l’économie mondiale au bon moment dans les années 1990. Une bonne fortune qui a duré jusqu’en 2008. Ensuite, elle a bénéficié des avantages de son retard. La Chine était encore un pays rural et disposait d’une énorme armée de main-d’œuvre de réserve dans les campagnes. Enfin, elle a bénéficié du pouvoir économique central de l’État à tous les niveaux, non seulement du gouvernement national, mais aussi des gouvernements provinciaux, locaux, des districts et des villes. Et c’est aussi la réussite du PCC à la fois dans la gestion du changement et dans la prise en compte des développements inattendus. Une histoire dans laquelle les victoires des « pragmatiques » sur les « planificateurs » s’enchaînent.

L’émergence de la Chine s’appuyait sur une croissance explosive de l’industrie manufacturière, principalement destinée à l’exportation vers les États-Unis, et sur la volonté de l’Europe occidentale d’externaliser sa production vers des lieux de production moins coûteux. La Chine assure aujourd’hui un tiers de la production manufacturière mondiale. Je vais m’attarder sur trois aspects de cette situation. Premièrement, elle s’est appuyée sur ce qui était alors considéré comme une réserve inépuisable de travailleurs migrants venus des campagnes, attirés par des salaires bien plus élevés que ceux qu’ils pouvaient obtenir chez eux. L’une des migrantes de la première génération raconte qu’elle est entrée dans une usine tout à fait ordinaire à Shenzhen au début des années 1990 et qu’elle a commencé à travailler pour un salaire plus élevé que celui des fonctionnaires de son village. Tel était le fossé entre la campagne et la ville. Deuxièmement, la Chine est devenue le premier exportateur mondial, mais aussi le deuxième importateur. Cette explosion de la production a obligé la Chine à puiser dans ses réserves d’énergie, de matières premières et de composants et à créer un réseau de liens commerciaux à travers le monde. Jusqu’en 2013, la Chine a enregistré un déficit commercial avec le reste du monde, à l’exception des États-Unis et de l’UE. Et le dernier point à souligner à ce sujet est que cette situation était intenable. L’ampleur de l’augmentation des exportations était tout simplement trop forte pour que les économies occidentales atones puissent l’absorber. Déjà en 2008, le modèle était en difficulté.

La diapositive suivante vous donne une idée de l’importance de la Chine en tant qu’acteur majeur du commerce mondial. Je dois dire que si l’on inclut l’UE en tant que tierce partie, la situation est très différente. L’Europe et la moitié de l’Afrique sont dominées par l’UE plutôt que par la Chine. Mais cela ne change rien à l’affaire, cela met plutôt en évidence le recul des États-Unis en tant que puissance dominante du capitalisme mondial. Le krach de 2008 a frappé de plein fouet les capacités d’exportation et de production de la Chine. On estime à environ 25 millions le nombre de travailleurs qui ont perdu leur emploi. La réponse immédiate du PCC a été de mettre en place un plan de relance économique massif, en investissant dans la construction de routes, d’aéroports, de chemins de fer, etc., puis en provoquant un boum immobilier majeur. C’est au cours de ces années que la Chine est devenue un pays majoritairement urbain. Il s’agissait d’un palliatif à court terme. Cela n’était ni durable sur le plan environnemental ni sur le plan économique et reposait sur une accumulation massive de dettes. Le boum immobilier en particulier a entraîné à plusieurs reprises une grande instabilité économique, bien que le PCC ait réussi à trouver un équilibre d’une crise à l’autre. Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails, mais en gros, presque la totalité de la dette en Chine est interne, elle est détenue en Chine, même, presque toute la dette est due par une composante de l’État à une autre. Donc, en réalité, cela revient à de la simple comptabilité.

La deuxième partie de la stratégie de relance après le krach a consisté en une exportation massive de capitaux destinés à l’équipement dans les pays du Sud, principalement par le biais l’initiative dite « ceinture et route [Belt and Road] » (ou « nouvelles routes de la soie »), qu’il faut plutôt appréhender comme un label qui recouvre de nombreux éléments différents, plutôt que comme un plan centralisé, représente le plus grand programme d’investissement de toute l’histoire du capitalisme. Un auteur estime qu’il est sept fois plus important que le plan Marshall qui a rebâti le capitalisme européen après la Seconde Guerre mondiale. Cela a entraîné d’énormes problèmes d’endettement dans les pays participants. Le problème central est que les pays qui ont le plus besoin des investissements chinois sont ceux qui ont le moins de ressources pour rembourser la dette. Or, il s’agit bien ici d’investissements destinés à être remboursés, rien de tout cela n’est de l’aide. Les investissements de la « Belt and Road initiative »(BRI) sont en premier lieu motivés par les besoins de la Chine plutôt que par ceux de ses destinataires. La Chine a une approche essentiellement extractiviste des économies africaines et sud-américaines et utilise ces investissements pour construire de meilleures infrastructures de transport afin de pouvoir acheminer les matières premières et les ressources naturelles de ces pays vers la Chine.

La crise du covid a frappé de plein fouet l’économie chinoise, les chiffres de la croissance étant aujourd’hui inférieurs de moitié à ce qu’ils étaient auparavant. Une série de réunions importantes a eu lieu à Pékin cette semaine, au cours desquelles ont été dévoilés les chiffres de croissance prévus pour les prochaines années. L’objectif est de 5 %. Il se pourrait qu’ils n’y parviennent pas. L’écart entre les États-Unis et la Chine s’est légèrement creusé : en 2023, la Chine représentera 17 % du PIB mondial, tandis que les États-Unis atteindront 26 %. La Chine ne continue donc pas à combler l’écart. Pour certains observateurs, cela signifie que le cycle d’expansion est terminé. Ils soulignent les problèmes structurels considérables auxquels l’économie chinoise est confrontée. Investissements étrangers au plus bas niveau depuis les années 1990, baisse du taux de natalité, détérioration de l’environnement, montagne de dettes qui ne cesse de grossir : autant de problèmes structurels auxquels l’économie chinoise est confrontée. Il ne fait aucun doute que ces problèmes sont réels. Le graphique montre la rapidité de la chute du taux de natalité. Le taux de natalité est aujourd’hui inférieur à ce qu’il était pendant la famine du Grand Bond en avant, et ce pour une population beaucoup plus nombreuse. À terme, cela signifie que la classe ouvrière sera beaucoup moins nombreuse. Tous ces problèmes sont bien réels. Ils signifient probablement que la Chine ne retrouvera pas de sitôt une croissance à deux chiffres, mais il est important de souligner qu’une grande partie de ces problèmes sont le fruit de la réussite économique et que le PCC a démontré à différentes reprises qu’il était capable de s’adapter à l’évolution de la situation économique. Le PCC joue ici un rôle crucial, car il confère à la classe dirigeante une cohérence qui fait défaut à de nombreuses autres classes dirigeantes.

Je vais maintenant parler de la résistance d’en bas. Au cours du dernier quart de siècle, le niveau de vie a considérablement augmenté presque partout en Chine, mais les inégalités se sont aussi considérablement accrues. La période de plus grande prospérité a également été une période de mouvements de protestation massifs, bien que déconnectés les uns des autres. Déconnectés parce qu’ils prennent principalement pour cible les autorités locales et les chefs d’entreprise plutôt que le PCC au niveau national. La raison en est très simple : c’est dû à la manière dont le pouvoir économique a été transféré de l’État central vers le pouvoir local. Si vous voulez une augmentation de salaire, vous vous mettez en grève et votre chef, ainsi que les directeurs de l’usine, décide si vous obtiendrez ou non une augmentation de salaire. Si les autorités du village essaient de prendre vos terres et que vous organisez un mouvement de contestation, vous pourrez les en empêcher, ils ont le pouvoir d’y renoncer. Le Tibet et le Xinjiang sont des exceptions, et j’y reviendrai dans une minute.es

En 2000, les grèves de travailleurs migrants sont devenues de plus en plus fréquentes, atteignant un pic en 2006 (en valeur absolue), et en 2010, nous avons assisté à une importante vague de grèves coordonnées de travailleurs de l’automobile pour obtenir des salaires plus élevés. Il s’agissait de grèves offensives plutôt que simplement défensives contre des conditions de travail épouvantables. Il y a également eu de grandes mobilisations de défense de l’environnement contre des usines polluantes, de très grandes mobilisations paysannes contre des confiscations de terres et des mobilisations localisées contre les brutalités policières et la corruption des autorités. Le PCC les met dans le même sac et les considère comme des troubles collectifs nécessitant l’intervention de la police. Leur nombre est passé de 9 000 en 1993 à 90 000 en 2005. C’est l’année dernière que les chiffres officiels ont été publiés. Selon une estimation, ils ont encore doublé en 2010. Ce à quoi nous avons assisté, c’est qu’un certain nombre de mouvements de protestation localisés ont obtenu d’être tolérés par les autorités à condition de respecter certaines limites. Vous pouvez faire grève, mais vous ne pouvez pas organiser un syndicat indépendant. Vous pouvez protester contre les responsables locaux, mais vous ne pouvez pas contester le contrôle du parti communiste. Toutefois, cette tolérance officielle a été remise en question sous Xi Jinping. Les grèves économiques se sont poursuivies et sont désormais essentiellement défensives. Elles ne subissent pas de fortes pressions policières, mais toutes les autres formes de protestation et d’organisation ont fait l’objet d’une répression importante. L’ampleur de la répression a été illustrée de la manière la plus flagrante il y a deux ans lors des manifestations de Hong Kong. Bien que les opérations aient été menées par la police de Hong Kong, elles ont été pour l’essentiel dictées par Pékin : plus de 10 000 personnes ont été arrêtées et bon nombre des partisans les plus en vue du mouvement ont été privés de la possibilité de participer aux élections.

La réponse de la Chine au Covid a été également marquée par un très haut niveau de contrôle de l’État sur les déplacements, ce qui a permis d’obtenir un succès initial mais qui n’a pas été durable. En fait, la Chine a réagi de manière très efficace à la première vague de Covid, mais ne s’est pas adaptée à la mutation du virus. Le fait que la Chine se soit contentée de procéder à des fermetures arbitraires a donné lieu à de vives protestations en 2022. Celles-ci ont permis de constater que l’État reste très sensible aux mouvements de contestation. Il ne s’agissait pas de grandes manifestations, des centaines de personnes, des milliers dans une ou deux villes, mais en réalité, le gouvernement a reculé. Depuis, la situation est calme, mais il ne faut pas en déduire que ce calme est synonyme d’absence de mécontentement.

Je parlerai maintenant brièvement de la résistance et de la répression au Tibet et au Xinjiang. Ces deux situations sont assez déprimantes. L’économie tibétaine s’est considérablement développée au cours des 25 dernières années, mais d’une manière qui exclut la plupart des Tibétains des bénéfices de la croissance. En 2008, une révolte de grande ampleur a éclaté dans toutes les régions à majorité tibétaine et s’est propagée bien au-delà de la province du Tibet. Elle a été suivie par des manifestations étudiantes contre la marginalisation de la langue tibétaine, qui ont ensuite chevauché l’une des vagues de protestation les plus troublantes et les plus frappantes de ces dernières années, à savoir une vague d’immolations. Des personnes qui se font brûler pour protester contre le contrôle du Tibet par la Chine, c’est un phénomène très ancien dans la culture bouddhiste, mais qui n’est pas inconnu dans d’autres religions. Cette vague de protestations a atteint son point culminant en 2015, et la dernière a eu lieu en 2022. En fait, l’État chinois, en exerçant des représailles contre toute personne ayant un lien quelconque avec ceux qui se sont immolés par le feu, a finalement réussi à mettre fin au mouvement. Ces dernières années, la Chine a imposé la sédentarisation forcée de centaines de milliers de nomades. Ce phénomène, associé à l’expansion de l’exploitation minière et du tourisme de masse, menace gravement l’avenir de la langue et de la culture tibétaines.

L’histoire récente du Xinjiang a été encore plus mouvementée. Là encore, la croissance économique a été très forte, mais la population majoritairement ouïgoure en a été exclue. Il est important de souligner que le Xinjiang est beaucoup plus important pour l’économie chinoise que le Tibet. Cette région constitue une importante réserve d’énergie, une considérable réserve de matières premières et, bien entendu, un point relais essentiel pour les exportations vers la Russie. La répression des Ouïghours a donné lieu à des manifestations de masse dans la capitale, Ürümqui, en 2009, qui ont fait plusieurs centaines de morts. Ces manifestations ont été suivies d’attaques terroristes auxquelles le PCC a répondu par une répression islamophobe généralisée à laquelle il a donné le nom de « guerre populaire contre le terrorisme ». Des gens ont été arrêtés parce qu’ils portaient la barbe ou le voile, parce qu’ils jeûnaient pendant le ramadan, parce qu’ils ne buvaient pas [d’alcool], etc. Des campagnes d’internement de masse, que l’État chinois qualifie de « campagnes d’éducation », ont été menées. À ce jour, environ un adulte sur dix a été emprisonné et, dans ces camps, le travail forcé, la torture et l’assimilation forcée n’ont été que trop fréquents. Ce phénomène s’est propagé du Xinjiang à tous les musulmans de Chine. Les informations publiées par le Financial Times en 2023 montrent que plus de 1 700 mosquées ont été transformées, vidées de leur contenu ou détruites. Ainsi, tant au Tibet qu’au Xinjiang, le processus de répression de la culture locale a malheureusement été couronné de succès, ce qui a des retombées pour la Chine et pour le monde, sur lesquelles je vais maintenant revenir.

Je vais parler maintenant des relations entre la Chine et le reste du monde. Rappelons quelques points concernant l’économie. La Chine est passée d’un rôle périphérique dans l’économie mondiale en 1980 à celui de principal moteur de la croissance économique dans le monde depuis 2008. Deuxième économie mondiale, premier exportateur, deuxième importateur, deuxième exportateur de capitaux, principalement par le biais des « nouvelles routes de la soie ». L’essor de la Chine représente inévitablement une menace pour l’hégémonie politique et économique des États-Unis. Non pas que la Chine veuille remplacer les États-Unis en tant que superpuissance mondiale, mais les dirigeants chinois se sont montrés tout à fait disposés à participer à des organismes dominés par les États-Unis, tels que le FMI, la Banque mondiale, etc. Ce qu’ils ont en vue, c’est un monde multipolaire dans lequel de nombreuses puissances, les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, l’Inde et l’Union européenne, décident ensemble de ce qui se passe. Il n’y a rien d’anti-impérialiste là-dedans. Il s’agit de redistribuer les inégalités plutôt que de les remettre en cause. Il s’agit de remettre en cause la structure du contrôle impérialiste sur l’économie mondiale. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’emprise du pouvoir impérialiste sur l’économie mondiale. Les États-Unis ont eu des réactions contradictoires à ce sujet, pour des raisons compréhensibles. Ils ont besoin de la Chine sur le plan économique, mais se méfient du pouvoir économique et politique que la Chine peut exercer dans le reste du monde. Les deux économies sont devenues très étroitement imbriquées. La Chine est la première région d’importation et la troisième destination pour les exportations. Un camarade sino-américain a décrit cette situation dans un article de Spectre comme une situation de coopération antagoniste. Ils ne peuvent pas vivre l’un avec l’autre ; ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre.

La montée en puissance de la Chine a coïncidé avec le déclin relatif de l’hégémonie américaine et l’a partiellement accéléré. Elle n’en est pas la cause, il s’agit de deux processus distincts qui se chevauchent et interagissent l’un avec l’autre. Plus qu’aucun autre président, c’est Obama qui s’est le mieux approché d’une politique cohérente, avec d’une part le pivot militaire vers l’Asie, et d’autre part un projet économique appelé le partenariat transpacifique. Il s’agit fondamentalement d’une zone de libre-échange qui engloberait tous les pays situés de part et d’autre du Pacifique, à l’exception de la Chine. Dans les deux cas, cela signifie que les États-Unis ont reconnu la nécessité d’avoir des partenaires en Asie, en reconnaissant que leur puissance était réduite. Le pivot militaire n’a pas été réalisé à cause de l’Irak, le partenariat transpacifique, précisément parce qu’il s’appuyait sur un partenariat plutôt que sur la domination des États-Unis, a progressé très lentement. Puis Trump est arrivé au pouvoir pour la première fois. Il a mis les deux à la poubelle, déclenchant des batailles dommageables sur les droits de douane qu’il a ensuite dû abandonner en partie. Biden a poursuivi les guerres tarifaires, a voulu revenir à la politique d’Obama et a rencontré beaucoup plus de difficultés. L’un des signes de ces difficultés est que le partenariat transpacifique est en train d’être relancé. Onze autres pays ont décidé que c’était une bonne idée et que si les États-Unis ne voulaient pas en faire partie, ils iraient de l’avant sans eux. Il s’agit désormais d’une zone de libre-échange de part et d’autre du Pacifique qui exclut la Chine et les États-Unis, mais la Chine a demandé à y adhérer et la Grande-Bretagne en est un membre associé.

Le programme AUKUS (Australie, Royaume-Uni et États-Unis), qui vise à construire une nouvelle génération de sous-marins nucléaires, est probablement la meilleure illustration de cette ambition militaire stratégique. Il s’agit d’un programme de construction d’une nouvelle génération de sous-marins nucléaires. Il s’agit d’un programme à très long terme ; la construction en commencera en 2030 pour un déploiement en 2040. C’est ce qui est prévu, et les plans militaires ont évidemment toujours tendance à se prolonger, mais cela montre aussi que les autres puissances occidentales considèrent désormais la Chine comme un adversaire de premier plan. Il y a d’énormes divergences entre les puissances occidentales, en particulier du côté de l’Allemagne qui a considérablement profité de la montée en puissance de la Chine. Beaucoup de gens parlent d’une nouvelle guerre froide, mais je ne pense pas que ce soit la meilleure façon de décrire la situation. Il n’y a pas d’antagonisme idéologique, les rivalités sont motivées par la concurrence économique et non militaire. On retrouve certains aspects de l’impérialisme classique de l’époque de la Première Guerre mondiale mais, surtout, le monde n’est plus divisé en blocs impériaux que les grandes puissances contrôlent, de sorte que le monde est beaucoup plus imprévisible qu’auparavant.

Les tensions militaires entre ces États sont alimentées à la fois par les États-Unis, qui défendent leur hégémonie, et par la Chine, qui s’affirme de plus en plus, tant sur le plan économique que militaire. La Chine dispose désormais d’une base navale à Djibouti, en Afrique de l’Est, et sa marine est en train de se déployer dans l’océan Indien. La Chine possède désormais un port au Sri Lanka, que ce dernier a dû lui céder lorsqu’il n’a pas pu rembourser un prêt accordé dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ». La Chine a également intensifié ses activités en mer de Chine méridionale ainsi que la fréquence de ses vols militaires autour de Taïwan. La mer de Chine méridionale est devenue un point de friction majeur, car environ 40 % du commerce mondial y transite. Pratiquement tout ce qui vient de Corée du Sud, tout ce qui vient du Japon, tout ce qui vient de Chine. En outre, la répression qui s’est abattue sur Hong Kong ces dernières années a renforcé la méfiance largement répandue à l’égard des projets de la Chine dans la région et a renforcé la position des États-Unis dans la conclusion d’alliances en Asie du Sud-Est. Il reste à voir si cela se poursuivra sous Trump.

Les cartes que je vais vous montrer illustrent les raisons pour lesquelles les gouvernements d’Asie du Sud-Est sont mécontents des revendications et des ambitions de la Chine. La ligne rose en pointillés indique les eaux territoriales revendiquées par la Chine. Selon celle-ci, ces eaux commencent à 12 milles des côtes du Viêt Nam, à 12 milles des côtes de la Malaisie et à 12 milles des côtes des Philippines. Ces revendications sont évidemment contestées par tous les autres gouvernements de la région. Je devrais dire tous les autres gouvernements, à l’exception de Taïwan qui revendique la même chose. Cela illustre l’une des raisons pour lesquelles les tensions en Asie de l’Est se sont accrues et ont conduit à une formidable course aux armements qui a trois causes distinctes. La plus importante concerne évidemment les dépenses militaires des États-Unis. Les dépenses militaires américaines ont pivoté vers l’Asie de l’Est et le Pacifique, bien que l’objectif de consacrer 6 % des ressources militaires américaines à cette région n’ait pas encore été atteint. Les dépenses chinoises en armement ont connu une augmentation considérable : elles ont été multipliées par dix entre 2000 et 2020, même si, compte tenu de l’énorme dynamisme de l’économie chinoise, elles sont restées constantes en proportion du PIB. De nombreuses autres puissances de la région ont également augmenté leurs dépenses dans des proportions similaires. Et pour citer l’un des meilleurs livres sur la région, un élément souvent négligé est la façon dont les alliés des États-Unis ont joué leur propre jeu stratégique, en mettant simultanément à l’épreuve l’engagement des États-Unis en faveur de la sécurité régionale ou bilatérale, mais aussi la capacité de la Chine à faire preuve d’autolimitation.

Le graphique que voici montre les dépenses militaires de 2021 pour les États-Unis et le reste du monde. Vous pouvez constater que les États-Unis sont de loin le pays qui dépense le plus dans le domaine militaire. Notez l’importance de l’Asie de l’Est, de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud et, un peu en retrait, de l’Inde et de l’Arabie saoudite. L’évolution de la structure de l’économie mondiale a également donné plus de poids à d’autres classes dirigeantes. Cela signifie qu’il n’y a plus une simple compétition binaire entre deux blocs. En clair, ni les États-Unis ni la Chine ne peuvent se contenter de faire cavalier seul. Et c’est dans ce maelström d’intérêts et d’alliances en concurrence qu’arrive Trump. Il est important de comprendre qu’il n’y a pas que Trump. Il est entouré de personnes tout aussi pernicieuses, mais qui ont une vision beaucoup plus claire de ce qu’elles perçoivent comme étant les intérêts stratégiques américains. Des gens comme Vance et Marco Rubio. Nous pouvons déjà voir émerger une stratégie qui consiste à écarter l’Ukraine et Gaza afin que Trump puisse se concentrer sur la concurrence la plus importante, qui est celle de la Chine. Tout le jeu autour de l’Ukraine consiste également à essayer de détacher Poutine de la Chine, pour faire en quelque sorte du Nixon à l’envers. En 1972, Richard Nixon s’est rendu en Chine et a conclu une alliance, les deux pays considérant l’URSS comme leur principale adversaire. Trump veut faire l’inverse. Il s’agit d’un revirement explicite par rapport à l’idée que les États-Unis peuvent être la seule puissance hégémonique. Il considère que dans un monde multipolaire, Israël peut faire ce qu’il veut à Gaza, en Cisjordanie, au Liban et en Syrie, et que les États-Unis peuvent donc faire ce qu’ils veulent dans les régions du monde qu’ils contrôlent. Il s’agit là d’un abandon de la notion d’ordre international fondé sur des règles et d’un retour au capitalisme de gangsters, ce qui ne constitue en aucun cas un pas en avant.

Alors, à quoi va ressembler le nouvel ordre mondial de Trump ? Il est extrêmement difficile de le prédire. Et sur le plan militaire, la situation est encore bien plus délicate. Les États-Unis sont en train de chercher à rattraper leur retard, tandis que la Chine adopte une posture plus agressive. Mais sur le plan économique, l’intégration n’a jamais été aussi poussée, et même si l’on observe des mouvements de découplage, de rétablissement des frontières nationales autour d’économies clés, il y a de réelles limites à cette évolution. Il est important de comprendre que ces processus ne s’annulent pas réciproquement, qu’ils n’atténuent pas les tensions, mais qu’ils les rendent plus imprévisibles, et que cette imprévisibilité est renforcée par la présence de nombreux autres acteurs dans la région, dont aucun n’est une simple marionnette de l’une ou l’autre des superpuissances. La classe dirigeante japonaise, la classe dirigeante sud-coréenne et la classe dirigeante taïwanaise font des calculs en fonction de leurs propres intérêts et nombre de ces calculs s’avéreront erronés. Il existe également un fossé énorme entre les désirs et la réalité. Trump aimerait que la question de Gaza et de l’Ukraine soit réglée afin de pouvoir se concentrer sur la Chine. C’est loin d’être le cas. Obama voulait retirer les États-Unis de l’Irak pour pouvoir se concentrer sur la Chine, et cela ne s’est pas produit. Je pense donc que nous devons comprendre qu’il y a là une véritable dynamique de guerre et je pense que nous devons comprendre que résister à cette dynamique de guerre signifie comprendre qu’il s’agit d’un produit des tensions impérialistes, qui sont en fin de compte causées par la concurrence capitaliste. En d’autres termes, il n’y a pas de solutions simples. Alors, comment agir ? Ce n’est pas toujours facile et je pense que nous devons avoir une compréhension claire des circonstances concrètes, mais je pense qu’il y a trois principes généraux. Le premier est l’antiracisme inconditionnel. Nous sommes aux côtés des Chinois et des Asiatiques de l’Est contre toutes les formes de racisme. Il s’agit d’une préoccupation majeure en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Australie. Alors que la rhétorique anti-Chine s’intensifie en Grande-Bretagne, nous pouvons nous attendre à une recrudescence des formes de racisme à l’encontre des Chinois. Deuxièmement, dans le cadre d’un anti-impérialisme cohérent, nous devons souligner que la Chine n’est pas pire que n’importe quelle autre puissance impérialiste et continuer à faire le parallèle entre la Chine et d’autres luttes. Hong Kong a réveillé des souvenirs en rapport avec le mouvement « Black Lives Matter ». Il y a de nombreux parallèles entre la répression islamophobe au Xinjiang, la répression islamophobe en Palestine. Israël et la Chine coopèrent à la fois dans les domaines des logiciels et du matériel de sécurité. Nous mettons l’accent sur le fait que l’ennemi principal se trouve chez nous parce que c’est là que nous sommes, et non parce qu’il est moralement pire que n’importe quel autre. Mais nous devons aussi dire qu’il ne faut pas maquiller les choses en rouge. La Chine est une puissance impérialiste au même titre que les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la Russie. En tant que socialistes révolutionnaires cohérents, nous devons y appuyer toutes les luttes d’en bas de la même manière que nous appuyons toutes les luttes contre l’oppression et l’exploitation.

Charlie Hore

P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.

Source rs21, 9 mars 2025 :
https://revsoc21.uk/2025/03/09/video-china-and-the-us-in-the-21st-century/

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