Tiré du Journal des alternatives.
Un soulèvement populaire en Haïti ? Encore ? Oui, l’histoire se répète en Haïti au fil des semaines, des mois et des années dans l’incompréhension et l’indifférence d’un grand nombre des populations des pays du Nord qui n’ont que le portrait partiel et partial de la situation rapportée par les grands médias. Pour une énième fois ces derniers jours, les rues de Port-au-Prince et de la plupart des grandes villes du pays ont été investies par des foules qui manifestaient sous les tirs à balles réelles et les gaz lacrymogènes utilisés contre eux par la police nationale d’Haïti. Cette force répressive, sur laquelle pèsent des accusations de complicité ou de participation à des massacres, a été en grande partie formée et financée par le Canada. Un récent rapport de l’ONU évoque d’ailleurs la responsabilité du gouvernement haïtien dans la tuerie ayant fait plus de 71 morts dans le quartier pauvre de la Saline en novembre 2018.
Dès les premières manifestations pacifistes, les policiers semblent avoir reçu l’ordre de mater les protestataires qui dénoncent la corruption du gouvernement de Jovenel Moïse, l’actuel président d’Haïti. Celui-ci, tout comme son prédécesseur Michel Martelly du Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), a accédé au pouvoir à la suite des élections frauduleuses financées par des pays étrangers se disant amis d’Haïti. Selon ce que rapportait la CBC, le Canada aurait payé plus de 11 millions de dollars pour financer les élections haïtiennes d’octobre 2015. Alors qu’en janvier dernier le ministre de la Sécurité publique du Canada affirmait être aux aguets face à de supposés risques d’ingérence étrangère aux élections fédérales canadiennes, tout indique que personne au gouvernement ou dans l’opposition au Canada ne s’inquiète des risques de l’ingérence canadienne dans les élections en Haïti. En Haïti cependant, la société civile commence à se poser de sérieuses questions à ce sujet.
Les couleurs du néocolonialisme en Haïti
De toute évidence, en matière d’élections comme dans bien d’autres domaines, le manque d’indépendance d’Haïti est inextricablement lié à la perpétuation des catastrophes d’origine naturelle ou humaine s’abattant sur ce pays. Pour cette république noire qui aurait dû obtenir son indépendance après une révolution sanglante contre ses oppresseurs esclavagistes, une dépendance envers les puissances impérialistes se maintient malgré tout par différents mécanismes d’ingérence étrangère et de lutte des classes. En effet, comme l’expliquait la chercheuse Michaëlle Desrosiers lors d’une conférence à l’Université de Montréal en février 2012, la logique coloniale du rapport de classes s’est maintenue après l’indépendance en 1804, avec l’occupation américaine de 1915 à 1934, sous la dictature des Duvalier de 1957 à 1986, avec le massacre du cheptel porcin soupçonné porteur du virus de la « peste porcine » en 1982 et avec l’interventionnisme humanitaire en 2011.
La situation de subordination d’Haïti par rapport aux puissances impérialistes constitue un facteur déterminant dans la crise sociale actuelle. Ce régime néocolonial fonde son pouvoir sur la corruption des élites politiques et sur une bourgeoisie locale moribonde. Elle maintient un système de ségrégation sociale dans lequel la majorité de la population est contrainte de vivre dans la misère la plus abjecte. Cette situation résulte directement de la corruption des élites politiques qui sont sous l’influence d’acteurs étrangers. Ainsi, une enquête de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif d’Haïti révèle que les entreprises du président Jovenel Moïse, largement financées par des investisseurs étrangers, ont détourné deux millions de dollars de fonds publics. En plus de ces sommes, deux milliards, provenant du programme de pétrole à prix réduit Petrocaribe mis en place par le Venezuela, ont également été volés sous la présidence du mentor et prédécesseur de Moïse, Michel Martelly. Ce dernier avait d’ailleurs pu compter sur le soutien de l’ambassade des États-Unis lorsqu’un scandale a éclaté en Haïti concernant sa citoyenneté qui aux dires de plusieurs n’était pas haïtienne, mais états-unienne.
En somme, les États-Unis, la France, le Canada, l’Allemagne, le Brésil, l’Espagne de même que l’Union européenne et l’Organisation des États américains (OEA), opérant sous le nom de Core Group, agissent comme le bras international du régime criminel présidé par Jovenel Moïse en Haïti. Plus particulièrement, le Canada, les États-Unis et la France après avoir orchestré le coup d’État de 2004 et imposé le retour du néoduvaliérisme au pouvoir en 2011 restent indifférents à la révolte populaire haïtienne et aux violations systématiques des droits de la personne. Ils ne voient qu’à leurs intérêts stratégiques au détriment du peuple haïtien. Fort de ce constat de relation de dépendance néocoloniale, il s’avère nécessaire d’élargir la lutte du peuple haïtien au cœur de ces puissances impérialistes dominatrices.
Pour une solidarité Nord-Sud, pour une Haïti libre
Faire écho à cette mobilisation à Montréal, Ottawa ou New York constitue donc une nouvelle manière de construire et d’alimenter une réelle solidarité entre les peuples du Nord et le peuple haïtien. À terme, cela permet de donner une plus grande visibilité aux comportements rétrogrades et aux pratiques néocoloniales « des pays dits amis d’Haïti ». C’est ce qui a motivé la création du collectif Solidarité Québec-Haïti à Montréal, à la suite du vaste mouvement de protestation des classes populaires haïtiennes et des groupes Petrocaribe Challenge au début du mois de février 2018. Composé d’un ensemble de militant·es partageant des valeurs anticapitalistes, féministes et anarchistes, le collectif Solidarité Québec-Haïti entend donner un nouveau relief à la lutte du peuple haïtien dans la diaspora.
Le collectif Solidarité Québec-Haïti poursuit deux objectifs principaux : d’abord, mobiliser des membres de la communauté haïtienne et des allié·es progressistes du Canada en ce qui concerne le rôle de la diplomatie canadienne et des puissances impérialistes regroupées sous l’appellation de Core Group dans le maintien du système de corruption et de répression en Haïti ; ensuite, Solidarité Québec-Haïti compte interpeller directement les membres du gouvernement canadien pour l’inciter à respecter le droit du peuple haïtien à l’autodétermination et à la transformation citoyenne de son système social.
Pour atteindre ses objectifs, Solidarité Québec-Haïti a déjà entrepris un ensemble d’initiatives de sensibilisation et de mobilisation à Montréal et à Ottawa. Mentionnons entre autres, l’organisation de sit-in devant les locaux du Consulat haïtien au mois de février 2019 en solidarité aux manifestant·es en Haïti pour la reddition de compte dans le cas du dossier de Petrocaribe et d’un rassemblement devant les locaux de l’ambassade des États-Unis le 1er juillet 2019 à Ottawa pour dénoncer les impérialismes américain et canadien dans le maintien du système d’apartheid et de corruption en Haïti. Par ailleurs, lors de la récente édition du festival Haïti en folie, Solidarité Québec-Haïti a activement sensibilisé les participant·es à l’importance d’un appui international à la lutte du peuple haïtien contre la corruption. Ces mois derniers, des membres du collectif ont mis en ligne sur les médias sociaux des vidéos dans lesquelles on peut les voir interpeller directement et publiquement des représentants du gouvernement fédéral : la ministre de la Francophonie et du Tourisme, Mélanie Joly, le député libéral Emmanuel Dubourg, le ministre Jean-Yves Duclos et l’ancienne ministre du Développement international Marie-Claude Bibeau.
Parallèlement à l’action de mobilisation au quotidien, Solidarité Québec-Haïti prépare de concert avec des camarades de plusieurs villes du monde une journée de mobilisation mondiale contre le régime répressif et corrompu de Jovenel Moïse pour la mi-novembre 2019. Cette action doit permettre de dénoncer les violations systématiques des droits humains et le détournement de fonds publics et d’exiger la fin du système d’apartheid social en Haïti. Avec la solidarité des peuples du monde envers le peuple d’Haïti, il est possible de renverser la vapeur des systèmes de subordination en Haïti.
Les auteur·es sont du Collectif Solidarité Québec-Haïti.
Un message, un commentaire ?