Québec solidaire a défendu jusqu’ici que dans un premier mandat, un gouvernement de Québec solidaire proposerait à l’Assemblée nationale une loi qui appellerait à l’élection d’une constituante pouvant déboucher sur un référendum sur l’indépendance du Québec. La nature du mandat (ouvert ou précis) est encore en débat. Mais, quelle qu’en soit la nature, il est certain que cet engagement ouvre une période de crise majeure dans l’État canadien. En effet, c’est l’intégrité même de cet État qui est remise en question. Québec solidaire parle aussi de la mise en place d’une république, ce qui signifie une redéfinition majeure de l’ensemble du système institutionnel qui encadre la vie politique. Il a été même spécifié dans ses différentes plates-formes, que le lancement du processus constituant se ferait dans un premier mandat d’un gouvernement de Québec solidaire.
Dire que la victoire de Québec solidaire ferait rentrer la société québécoise dans une période de transition est strictement exact. Elle ouvrirait une période de changements majeurs. C’est pourquoi, on ne peut lorsqu’on évoque cette période de transition se contenter de présenter des changements de fonctionnement dans les sommets gouvernementaux : transformation des pouvoirs du premier ministre ou de la première ministre et vice premier ou vice-première ministre et de leurs rapports à l’Assemblée nationale. Le problème de la transition est essentiel, mais il faut mettre en discussion les propositions aux yeux de l’ensemble de la population sur les conceptions de la démocratie que nous défendons qui s’inscrivent dans une logique d’une véritable concrétisation de la souveraineté populaire. Voilà les discussions véritables qu’il faut faire pour démontrer qu’on est un parti politique qui veut refonder la démocratie sur de nouvelles bases.
La crise démocratique et la tâche essentielle de l’heure sur cette question
La crise de la démocratie en cette période néolibérale repose :
– sur le consensus néolibéral dans les classes dirigeantes, verrouillé par le système institutionnel, qui fait que les partis néolibéraux, quelle que soit la couleur qu’ils se donnent mènent des politiques d’austérité, de réduction des droits démocratiques et d’enrichissement des plus riches ;
– sur la marginalisation des classes populaires dans la démocratie qui évacue la diversité du peuple concret dans la représentation politique ;
– sur l’absence du contrôle citoyen sur élu-e-s et sur la limitation des élections à la légitimation du pouvoir des gouvernements ;
– sur le contrôle monopolistique des médias qui font obstacle à la production d’une opinion publique informée ...
Nos combats pour une démocratie émancipatrice
Une tâche essentielle de l’heure est d’expliquer nos critiques des limites de la démocratie actuelle et d’identifier les combats politiques partiels qui nous permettront de nous attaquer aux principaux problèmes posés par les déficits démocratiques vécus par la société québécoise.
a. La domination absolue de l’exécutif gouvernemental
L’État canadien est une monarchie constitutionnelle. La constitution canadienne se caractérise par une extrême concentration des pouvoirs au sommet de l’État, que ce soit au niveau fédéral comme dans les différentes provinces. En effet, les premiers et premières ministres non seulement monopolisent de nombreux pouvoirs, mais ils (rarement elles), sont désignés comme les acteurs et actrices constituants lors de discussions visant à réformer la constitution canadienne. On est donc loin d’une véritable souveraineté populaire. De là, découle, qu’il n’y a pas de véritable séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. C’est le pouvoir exécutif, monopolisé le plus souvent par une seule personne, qui est à l’initiative de la quasi-totalité des projets de loi. Ces projets de loi sont présentés dans un parlement en grande partie cadenassé par la discipline de parti. Cela correspond à un assujettissement du pouvoir législatif, de l’Assemblée nationale, qui devrait pourtant comme Chambre élue avoir la primauté dans la représentation de la population. Mais tel n’est pas le cas. Toute proposition de transformation de la distribution des pouvoirs dans la période de transition devrait partir de la préoccupation de remettre en question cette logique.
Québec solidaire parle de république. Parmi les débats amorcés, mais non tranchés, il y a celui de la primauté du législatif sur l’exécutif. « Issue de la souveraineté populaire, une constitution républicaine affirme nettement la prééminence de droit et de fait du pouvoir législatif. Confiée à l’Assemblée nationale relevant du peuple souverain, la constitution doit proclamer une subordination de fait de l’exécutif au législatif. La séparation par rapport au pouvoir judiciaire doit lui assurer son indépendance à l’égard de l’exécutif, mais ne lui reconnaît aucun droit d’influence sur les débats législatifs. L’Assemblée nationale aura le pouvoir de présenter et d’adopter les lois ; de démettre tout ministre pour des raisons qu’elle juge majeures ; de nommer les juges et les ambassadrices ou les ambassadeurs. La mécanique institutionnelle devra faire en sorte que le législatif, représenté par l’Assemblée nationale, ait la primauté tant dans les faits que dans la forme sur le pouvoir exécutif. [1]
b. La faiblesse de la représentativité
Les élections au suffrage universel n’a pas été un don fait à la population par des élites éclairées. Il a été arraché de hautes luttes pour faire disparaître les limitations imposées par la richesse, puis par le sexe. Le mouvement ouvrier puis le mouvement féministe ont été de ces combats. Le souvenir de ces luttes est encore dans certaines mémoires.
Pourtant, il s’agit d’analyser la composition sociale de la députation dans les différents parlements pour se rendre compte que les ouvriers, les ouvrières et les employé-e-s d’exécution qui forment pourtant la majorité de la population sont pratiquement exclu-e-s, sans parler des personnes racisées. Aux États-Unis, les Africains américains sont encore victimes de manœuvres visant à les priver de leurs droits de vote. Au Québec, les personnes racisées sont radicalement sous-représentées. La proportion des femmes députées au Québec a certes progressé depuis les années 60, mais elle connaissait un recul passant de 32,8% (2012) à 27,2% (2014) de la députation de l’actuelle Assemblée nationale.
Ces considérations nous semblent fort importantes pour les choix des candidatures pour les prochaines élections que doit faire Québec solidaire. La parité au niveau des femmes dans les différentes campagnes électorales est une réalisation essentielle de QS et elle mérite d’être soulignée. Mais, un parti de gauche, qui dit vouloir représenter la majorité populaire, a le défi de s’efforcer de donner une place de choix aux personnes impliquées dans les différents mouvements sociaux enracinés dans les milieux populaires et aux personnes issues des milieux ethnoculturels.
À cette faible représentativité des personnes des milieux populaires s’ajoutent des distorsions dans la représentation des sensibilités et groupes d’opinions. Le système électoral uninominal qui donne toute la représentation au plus fort permet aux partis qui rassemblent la minorité la plus importante de former des gouvernements majoritaires. Souvent, ces partis qui ne rassemblent guère plus que le tiers des votes imposent des politiques qui vont à l’encontre des intérêts de la majorité populaire. Québec solidaire et l’ensemble des partis d’opposition au Québec militent pour un mode de scrutin proportionnel, mais il semble que le système actuel fasse l’affaire des gouvernements élus, car aucun des gouvernements dans les dernières décennies n’a osé s’attaquer à une telle réforme. Aux dernières élections, Justin Trudeau et le Parti libéral du Canada avaient reconnu la gravité de ce problème démocratique et promis d’y remédier, mais la promesse a été rapidement abandonnée.
c. Des gouvernements non redevables ou la dépossession politique des citoyennes et des citoyens
Dans le système représentatif actuel, l’élection donne un véritable chèque en blanc au gouvernement élu. Les citoyennes et les citoyens n’ont aucune prise reconnue institutionnellement sur le gouvernement en dehors des périodes électorales. C’est pourquoi la population a souvent le sentiment de ne pas avoir voté pour les politiques que les gouvernements mettent de l’avant. Pas étonnant que l’abstention soit de plus en plus importante. Cette non-reconnaissance s’exacerbe dans cette période néolibérale et ce sont l’ensemble des organisations syndicales ou sociales qui sont attaquées ou marginalisées.
Pour dépasser l’absence de pouvoir citoyen entre les élections, il faut mettre de l’avant des institutions qui permettront une intervention directe sur les élu-e-s : le droit de révocation des élu-e-s doit être instauré à tous les niveaux du système politique ainsi que l’institutionnalisation de la tenue de référendums d’initiative populaire. Il s’agit d’introduire des éléments de démocratie directe dans le système politique.
Donner le pouvoir de révocation des élu-e-s aux citoyen-ne-s permettraient à ceux et celles-ci de garder le contrôle de l’élu-e tout au long du mandat d’un parti politique. Plus, ce pouvoir changerait la nature des campagnes électorales qui deviendraient moins des exercices de séduction que de véritables moments de délibération collective autour des programmes, car les élu-e-s resteraient toujours tributaires de l’action collective des citoyen-ne-s. Ces élu-e-s deviendraient de véritables mandataires.
Un référendum d’initiative populaire pourrait permettre aux citoyen-ne-s de faire adopter ou d’abroger une loi ou de soumettre directement une loi à l’ordre du jour parlementaire.
La période de transition ouverte par la victoire électorale de Québec solidaire nécessitera la tenue d’un vaste de débat autour de la transformation de la démocratie citoyenne. L’élection d’une constituante préparée durant cette période transitoire sera la concrétisation de cette aspiration à une véritable souveraineté populaire pour mettre fin à un régime oligarchique qu’est la monarchie constitutionnelle. Mais cette préparation, qui se fait dès maintenant, se fera par le développement de combats partiels contre les oppressions, les discriminations et les inégalités sociales d’une part, et par le choix de candidates et candidats faisant toutes leur place à l’implication des travailleurs, des travailleuses, des couches racisées, sous-payées ou sous-diplômé-es. C’est ainsi que Québec solidaire pourra préparer le terrain à ce que la majorité de la population s’engage dans une démarche de souveraineté populaire.
d. Les mass medias sous contrôle de l’oligarchie régnante
Les mass medias possédés par des magnats capitalistes se donnent comme objectif de fabriquer une opinion conforme aux intérêts des classes dominantes. Les sondages sont utilisés systématiquement dans ce cadre. « Un média commande un sondage sur un thème arbitraire, les sondeurs posent des questions biaisées, ils redressent les résultats par des chiffres avant de faire parler les chiffres, les médias transforment cette prose sibylline en événement, l’événement structure l’actualité, l’actualité redessine le paysage politique, les éditorialistes renomment ce paysage politique et réorientent les rapports de force qui le parcourent, l’évolution des rapports de force amende les représentations de chaque citoyen, et chaque citoyen altère ses propres choix sous l’effet de cette pression symbolique. Ce faisant, c’est l’examen des programmes politiques que l’on occulte, la pathétique course aux petits chevaux que l’on perpétue. » [2]
Les médias possédés par Gesca, Quebecor ou par l’État constituent pour la classe dirigeante un moyen d’imposer les questions qu’il importe de débattre à tel ou tel moment (le voile islamique, les dangers de l’immigration...), d’en occulter bien d’autres (l’ampleur du déficit, l’exploitation des gaz de schiste, la rigueur budgétaire, les luttes populaires en cours...) etc. et de distribuer la parole aux défenseurs des riches et des puissants dans les journaux, à la radio comme à la télévision.
L’information est un bien public et il ne peut être laissé entre les mains des oligopoles. Le démantèlement des consortiums de presse doit être au programme d’un parti de gauche. Le débat doit être ouvert sur le nécessaire contrôle des moyens d’information par les collectifs de journalistes et travailleurs et travailleuses qui permettent la production de cette information en discussion avec les usagères et les usagers. C’est le seul moyen de créer les conditions d’un véritable pluralisme et d’une indépendance réelle de la presse à l’égard de tous les pouvoirs. L’accès garanti et égal aux médias pour tous les partis politiques est une autre revendication essentielle.
S’attaquer à la concentration du pouvoir
Dans une lettre aux associations du 15 septembre dernier, les porte-parole de Québec solidaire nous annonçaient « qu’un gouvernement solidaire partagerait les pouvoirs plus équitablement entre les personnes occupant les postes de premier ministre et de vice-premier ministre ainsi que le Conseil des ministres et les parlementaires :
« Gouverner autrement : afin de mettre fin à la concentration actuelle du pouvoir entre les mains du premier ministre ou de la première ministre, un gouvernement de Québec solidaire établira un mode de fonctionnement transitoire plus collégial, en concordance avec le contexte légal actuel. Ce mode de fonctionnement sera remplacé, à moyen terme, par le mode de gouvernement qui sera adopté dans le cadre du processus d’Assemblée constituante que mettra en place en priorité ce premier gouvernement solidaire. Les deux porte-parole de Québec solidaire formeront une équipe qui se partagera les responsabilités afin de gouverner efficacement le Québec. Cette équipe nommera le Conseil des ministres, avec qui elle travaillera de manière collégiale. Cette équipe travaillera aussi de manière collégiale avec les parlementaires de l’Assemblée nationale. » [3]
On indique que ce sont « des changements simples, mais efficaces pour rendre le Québec démocratique dans les limites du cadre constitutionnel existant. » On indique que le « parti de gauche a décidé d’attendre un mandat clair de ses membres sur la proposition de gouvernance avant de décider lequel de Mme Massé ou M. Nadeau-Dubois sera candidat au poste de premier ministre ou de vice-premier ministre. »
Cela nous amène à nous poser quelques questions : une telle proposition qui fait découler un changement de fonctionnement institutionnel du partage des tâches au sein de la direction de Québec solidaire, est-elle une réponse suffisante pour nous guider dans la phase ouverte par la prise du pouvoir de QS qui en sera une de transition vers la constituante ? Pour participer et préparer le combat pour la démocratisation, doit-on donner la priorité à un partage des responsabilités au sommet de l’état, au niveau des dirigeant-e-s gouvernementaux ? Quels sont les combats essentiels qui seront à mener dans cette période de transition pour enraciner nos propositions institutionnelles reflétant une véritable aspiration à la souveraineté populaire ? Quelles places donnerons-nous à la mobilisation des bases sociales que nous aurons su construire dans cette période essentielle dans la lutte pour la transformation démocratique de la société québécoise ?
Ce sont à ces questions que nous devons répondre pour que Québec solidaire puisse remettre radicalement en cause les rapports actuels de la majorité populaire à leurs élu-e-s. La hauteur des tâches qui seront posées au parti nécessite de refuser de poser la question en termes de gouvernance du Conseil des ministres et des rapports de ce dernier avec l’Assemblée nationale. Les défis posés par ce qu’on appelle maintenant la période de transition doivent être clairement identifiés si nous voulons pouvoir y faire face.
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