L’analyse que fait ce Manifeste de la mondialisation se résume à peu de choses. Avec la mondialisation les peuples auraient perdu le pouvoir de décider pour eux-mêmes. Le néolibéralisme aurait transformé les gouvernements en États-succursales de la mondialisation. Le pouvoir des peuples aurait été confisqué par les entreprises et les grandes institutions internationales comme l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le Fonds Monétaire International (FMI), l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) et les sommets du G7. Les orientations économiques et politiques sont désormais imposées aux peuples de la terre par une minorité qui se trouve dans ces grandes entreprises et institutions internationales. La mondialisation aurait amené les États à se détourner de l’intérêt général. Les politiques des États auraient été réduites à la mise en place d’un cadre favorable à la liberté d’action des entreprises multinationales. La mondialisation s’identifierait au règne du néolibre-échange qui serait un échec, car à droite comme à gauche, des voix s’élèvent pour décrier la perte de pouvoir des collectivités…
Parler de mondialisation, sans la rapporter au système capitaliste, c’est déjà surprenant et n’est pas du tout innocent. Comme le rappelle Alain Denault : « nous sommes dans un régime qui ne veut pas dire son nom. Capitalisme, c’est le mot qu’on n’utilise pas. Si on faisait seulement admettre que notre régime est fondamentalement capitaliste, on réglerait beaucoup de choses du point de vue des affects et de la pensée. » [1]. On comprendrait qu’on ne peut réduire la mondialisation à la sphère de la circulation des marchandises et des capitaux. On saisirait qu’il faut parler de division internationale du travail, que c’est l’appareil productif lui-même qui a été transformé radicalement par la mondialisation capitaliste. Une définition rigoureuse de la mondialisation doit relier la dynamique de l’accumulation du capital et la violence de classe de possesseurs du capital. La mondialisation c’est le processus d’intégration des systèmes productifs et d’échange du monde entier mis de l’avant par les classes dominantes des pays du centre et non la simple libéralisation des marchés de biens et des capitaux.
Partir de cette définition permet de mieux comprendre l’articulation du système mondial avec la réalité de classe des différents États nationaux. Premièrement, on ne peut mettre sur un pied d’égalité l’ensemble des États nationaux. Quand on parle du système impérialiste mondial, il faut distinguer les pays dominants et les pays dominés. On ne peut parler de mondialisation sans référer aux pays en émergence et aux bouleversements induits dans le système mondial.
D’autre part, on ne peut affirmer que c’est avec la mondialisation que la majorité populaire a perdu le pouvoir de décider et négliger de tracer les limites de la souveraineté populaire dans le cadre de l’État national qui est aux mains d’une oligarchie élective nationale, même dans les pays du centre. Ces classes dominantes ont lancé l’offensive néolibérale pour restaurer leur taux de profit ce qui les a conduits à remettre en question les acquis des classes populaires, à privatiser les services publics, à précariser le lien d’emploi et à marginaliser complètement les classes populaires des processus de décision.
Dans le monde réel, il n’y a pas un simple face à face entre l’oligarchie financière internationale et les peuples du monde. Il y a dans chaque pays, un État aux mains d’un bloc de classe au pouvoir qui s’adosse à cette oligarchie pour défendre ses propres intérêts de classe. La définition du projet national du bloc au pouvoir se module selon le mode d’articulation d’un État déterminé avec la classe capitaliste mondialisée. Les classes dominantes des pays capitalistes fournissent le personnel de cette oligarchie financière d’une part et les cadres des grandes institutions internationales d’autre part. Leur projet national s’appuie sur un processus de transnationalisation et sur l’établissement de nouvelles structures politiques régionales. Le cas des institutions européennes est exemplaire à cet égard. Ils dominent nombre d’États dans les pays dominés et réussissent à transformer les classes dominantes de ces pays en associés juniors qui acceptent de jouer le jeu de l’affaiblissement de ces États jusqu’à la création de zones de non-droit oùles multinationaless peuvent exercer leurs pratiques de prédation des richesses naturelles de ces pays.
En somme, le cadre national n’est pas en soi un cadre démocratique, n’est pas spontanément en soi le lieu de la souveraineté populaire… Seule l’organisation de la classe des salarié-e-s exploité-e-s, qui constitue la vaste majorité de la population pourra permettre l’expression de cette souveraineté populaire… Elle devra se faire envers et contre l’oligarchie financière internationale, mais aussi contre les classes dominantes du pays.
Ainsi, cette pudeur à souligner la réalité nationale et internationale de classe de l’accumulation du capital en cette période de mondialisation amène le manifeste à parler de donner aux populations un pouvoir de décider de ce qu’elles vont produire ou consommer sans éclairer le fait que ce pouvoir est lié à la remise en question de la propriété de la classe dominante sur les moyens de production et d’échange. La pouvoir de décider passe par la socialisation de ces moyens de production. À ce niveau aussi, le manifeste garde une silence gêné.
L’altermondialisme pose qu’une autre mondialisation est nécessaire
Le retour sur le national et les frontières n’enrayera pas la crise de civilisation liée au capitalisme. Ce n’est pas la mondialisation que nous rejetons, mais la mondialisation néolibérale et capitaliste. Il faudra une véritable altermondialisation pour assurer la sauvegarde des écosystèmes, la gestion et la répartition des ressources rares et le partage international des nouvelles technologies pour permettre de sortir du productivisme capitaliste et de la croissance à tout prix.
Le monde à besoin d’un nouvel universalisme mettant tous les humains à égalité. L’altermondialisme vise à un partage juste des richesses planétaires. Il faut en finir avec une vision étroitement nationaliste pour faire face aux bouleversements créés à par la crise écologique induite par le capitalisme. Les mouvements majeurs de population nous place dans un monde de forteresses assiégées et de despotisme des frontières. [2]. Afin de répondre aux besoins de l’humanité, il faut porter les combats à l’échelle du monde pour que les humains puissent échapper à la logique du capital et puissent résoudre la crise écologique, produit de sa domination.
Ce manifeste qui réduit la mondialisation à la sphère de la circulation, qui ignore la réalité de classe de cette mondialisation, qui ne nous parle pas du système monde impérialiste et de la complicité des classes dominantes dans les différentes États nationaux avec l’oligarchie financière, n’est pas à la hauteur des défis qui est devant nous. L’altermondialisme doit être encore et toujours être défendu.
Repères pour une autre mondialisation
Nous publions en annexe de cet article, un texte de Michel Husson intitulé Repères pour une autre mondialisation, qui esquisse quelques pistes pour la lutte contre le capitalisme mondialisé qui nous semblent plus concrètes que les propositions du Manifeste québécois pour la démondialisation.
Imaginer ce que pourraient être les voies d’un dépassement du capitalisme au niveau de l’économie mondiale est une tâche a priori démesurée. Mais il est nécessaire d’esquisser quelques pistes car les luttes contre le capitalisme mondialisé ont besoin de perspectives alternatives. Celles-ci doivent répondre à plusieurs exigences :
– Prendre en compte la diversité des situations. Les problèmes ne se posent pas de la même façon dans les pays développés, dans les pays émergents ou – pour reprendre l’euphémisme de la Banque mondiale – dans les pays moins avancés.
– Être écologiquement compatibles.
– Ne pas apparaître comme une utopie hors d’atteinte mais suggérer des objectifs intermédiaires qui permettent de nourrir l’action concrète et de jeter des ponts vers cet autre monde possible. Il faut notamment prendre en compte les inerties de la configuration actuelle de l’économie mondiale et prévoir les transitions nécessaires.
– Répondre en particulier à cette question stratégique : comment avancer vers une « bonne » mondialisation sans attendre la mise en place de « bons » gouvernements, voire d’un gouvernement mondial ?
Par rapport à la mondialisation réellement existante, une organisation rationnelle de l’économie mondiale devrait obéir à quatre grands principes : une mondialisation parcimonieuse ; la priorité à la satisfaction des besoins sociaux ; une division internationale du travail coopérative ; une planification écologique.
Pour une mondialisation parcimonieuse
La configuration de l’économie mondiale qui serait souhaitable repose avant tout sur une forme de relocalisation qui se justifie pour deux raisons essentielles. La première est liée au changement climatique : on sait que les transports contribuent de manière significative, directement ou indirectement, aux émissions de CO2. Tout recul dans l’intensité des échanges extérieurs représente donc une contribution décisive à la réduction de ces émissions. La seconde raison concerne les modèles de développement qui doivent se recentrer sur la satisfaction des besoins sociaux domestiques, cette priorité devant prendre le pas sur la priorité aux exportations. Cette perspective n’équivaut pas à une autarcie généralisée, parce que la division internationale du travail repose, au moins en partie, sur des bases rationnelles. Par exemple, tous les pays n’ont pas accès aux matières premières utiles à l’activité économique. Tous les pays ne disposent pas non plus des biens d’investissement 1 chapitre du livre Post-capitalisme coordonné par Clémentine Autain, Au diable vauvert, 2009. 2 ou des biens intermédiaires dont ils ont besoin. Enfin, les échanges et les investissements internationaux peuvent, dans certaines limites et à certaines conditions, aider à l’industrialisation des pays en développement, engendrer des créations d’emplois et opérer des transferts technologiques. La mondialisation capitaliste s’est développée de manière irrationnelle, en tendant à la création d’un marché mondial unifié établissanbudgétaire. L’objectif central est ici encore de mettre en place des critères assurant la satisfaction des besoins sociaux par ordre de priorité et non en fonction de la solvabilité ou de la rentabilité. Plus personne ne propose une collectivisation intégrale des terres et encore moins celle des microentreprises du secteur informel. L’objectif doit être plutôt la consolidation de ces secteurs et notamment l’économie paysanne : stabiliser la population rurale, freiner son exode et créer un tissu d’emplois. Il faut donner à ces secteurs les moyens d’exister, à l’opposé de la logique de la mondialisation, qui a pour effet de les mettre directement en concurrence avec les entreprises hyperproductives du Nord. Là encore, on sait très bien comment il faudrait s’y prendre : fixer des prix de garantie agricoles, mener une politique publique d’infrastructures, distribuer des crédits à taux réduit, donner aux coopératives les moyens de s’installer, et enfin organiser des réseaux de commercialisation. Une logique identique pourrait concerner le tissu des micro, petites et moyennes entreprises, par une politique de contrats publics.
Un salaire minimum décent doit être assuré à l’ensemble des travailleurs, et l’accroissement de la pression fiscale sur les riches doit être justifié politiquement par la réorientation des dépenses publiques vers la satisfaction des besoins élémentaires : eau, électricité, logement, transports publics, santé, éducation. Dans tous ces domaines doivent être créés des services publics sous forme d’agences de développement : offices agricoles, crédit public aux coopératives, réseau de dispensaires, etc., qui contribuent à garantir un environnement stable.
Dans les pays riches, la satisfaction optimale des besoins sociaux compatibles avec les objectifs environnementaux passe par la réduction du temps de travail, le contrôle sur l’investissement international, la priorité aux services publics assurant gratuitement la réalité des droits. La réduction du temps de travail est d’abord le moyen de résorber le chômage qui provient essentiellement de la nonredistribution aux salariés des gains de productivité et, très secondairement, du libre-échange généralisé. C’est aussi le moyen d’aller vers une société du temps libre et de la satisfaction des besoins sociaux. Une telle société serait a priori plus autocentrée et moins soumise au productivisme. Le contrôle sur l’investissement international doit viser à la maîtrise des mouvements de capitaux et, en premier lieu, des délocalisations. La liberté totale de circulation des capitaux doit donc être fortement restreinte et remplacée par des accords de coopération donnant la priorité au développement local et favorisant les transferts de technologie en matière énergétique.
Pour une division internationale du travail coopérative
Une autre mondialisation nécessite de dégonfler les échanges commerciaux et les mouvements de capitaux afin de les placer au service d’une organisation coopérative de la planète. Le recentrage des économies sur la satisfaction des besoins sociaux domestiques permettrait de rompre avec la logique du tout à l’export et donc de « dégonfler » les flux commerciaux. Mais ils ne seraient pas supprimés pour autant. Il faut alors introduire des éléments de régulation, en particulier la stabilisation du cours des matières premières et la mise en place d’accords de coopération.
Cela pose évidemment toute une série de problèmes comme le montre le cas de la rente pétrolière. Cet exemple concentre tous les obstacles à une organisation rationnelle de l’économie mondiale. D’un côté, le prix du pétrole est appelé à augmenter à nouveau et c’est en un sens une bonne chose dans la mesure où cette hausse incitera aux économies d’énergie ou à la généralisation d’énergies alternatives. Mais, d’un autre côté, elle contribue à la formation de gigantesques excédents qui profitent à certains pays qui, en règle générale, n’en font pas le meilleur usage et qui conduisent souvent à une concentration aberrante de revenus. C’est pourquoi la manne se transforme fréquemment en malédiction parce qu’elle est captée par une couche sociale étroite de rentiers et qu’elle crée des distorsions dans le développement des pays producteurs. Enfin, le contrôle de l’accès à cette source d’énergie a conduit à des interventions militaires ou à des guerres civiles.
Aujourd’hui, une bonne partie des excédents pétroliers sert à financer le déficit des pays développés et notamment celui des États-Unis. La solution pourrait alors être le dispositif suivant : programmation du cours du pétrole et dépôt des excédents dans un fonds mondial de développement. Les pays producteurs bénéficieraient ainsi de revenus garantis, et le fonds permettrait le recyclage des pétrodollars non plus vers le financement de la surconsommation aux États-Unis mais vers des projets de rénovation écologique.
La division internationale du travail évolue vers la configuration suivante : le Sud devient l’atelier du Nord qui se réserve les productions à fort contenu technologique et donc à forte valeur ajoutée. En même temps, et à titre de contretendance, les pays émergents tendent en permanence à « monter en gamme » vers les secteurs à moyenne ou haute technologique. Quel est l’arrangement optimal ? Doit-on aller vers une division du travail où les voitures seraient fabriquées au Sud avec des machines produites au Nord ? La réponse à cette énorme question ne doit en tout cas pas être laissée à des mécanismes de marché aveugles. C’est là qu’intervient la notion de coopération qui doit être interprétée en termes dynamiques et prendre en compte les nécessaires transitions. Elle passe par des éléments de planification et l’introduction d’un calcul économique en valeurs d’usage. Par exemple : la France construit un train à grande vitesse en Chine, et en échange programme l’achat d’un volume donné de biens de consommation chinois. Cet accord vaut pour une certaine période puis il est renégocié. Dans un tel schéma, les intervenants ne sont plus les multinationales mais les organes de planification.
Pour une planification écologique
La raison la plus fondamentale pour réduire l’intensité des échanges se trouve dans les dépenses énergétiques inconsidérées qu’entraîne la mondialisation productive. L’économie mondiale est aujourd’hui agencée comme si les coûts environnementaux n’existaient pas. Il faut donc qu’ils soient pris en compte dans un calcul économique élargi. Et il faut aussi que les objectifs de réduction d’émissions soient compatibles avec une meilleure satisfaction des besoins sociaux. Sur le premier point, les solutions marchandes consistent à donner un coût réel aux nuisances environnementales au moyen d’une écotaxe ou de la mise en place de marchés des permis d’émission. Ces procédés ne sont pas calibrés de manière proportionnée aux objectifs qui ne pourront être atteints que par une planification discrétionnaire. Pour prendre un exemple, on aura du mal à instituer une écotaxe suffisamment dissuasive pour éradiquer l’usage de 4´4, et la seule mesure efficace serait tout simplement d’interdire leur production. On voit mal ce que l’humanité y perdrait.
La question du climat se joue par définition au niveau de la planète et c’est pourquoi une planification à l’échelle mondiale est nécessaire. C’est le seul moyen d’atteindre des objectifs quantifiés en imposant aux capitaux d’autres critères que le profit. C’est surtout la condition pour que les efforts soient répartis en tenant compte de la dette écologique contractée par les pays les plus riches qui devrait être payée par des transferts technologiques vers les pays en développement. On voit que ces quatre principes sont extrêmement exigeants et que la contrainte écologique surplombe toutes les autres et fixe des échéances rapprochées aux nécessaires ruptures avec le productivisme. Fondamentalement, cette autre organisation de l’économie mondiale n’est pas compatible avec la logique de maximisation du profit. Toute la question est alors d’imaginer des transitions appropriées permettant de rendre possible une telle rupture.
Le protectionnisme : une réponse courte
C’est apparemment la solution de bon sens : puisque nous sommes contre le libre- échangisme, il faut se prononcer en faveur du « protectionnisme », réduit à l’institution de taxes sur les importations. Mais, parce qu’elles reposent sur une analyse tronquée du capitalisme mondialisé, les propositions néoprotectionnistes sont biaisées et dépourvues de cohérence. Leurs promoteurs (Cassen, El Karoui, Gréau, Sapir, Todd) diffèrent assez largement quant au contenu de leurs propositions. Le débat sur les alternatives est faussé s’il est mené dans le cadre d’une opposition entre libre-échange et protectionnisme. Toute argumentation remettant en cause la place centrale de mesures protectionnistes est alors taxée de « libre-échangiste ». Or, il ne s’agit pas de récuser par principe de telles mesures mais de se demander ce que l’on protège et contre qui. La crise dans laquelle est plongé le monde surdétermine cette discussion. En réduisant les exportations des pays émergents par rétrécissement des débouchés, elle pose notamment la question d’un recentrage des pays du Sud vers la
satisfaction des besoins domestiques, et la réponse à cette question se trouve en dernière instance dans ces pays et non dans des mesures unilatérales prises à leur égard. Le discours protectionniste est en effet profondément asymétrique : il ne parle jamais des exportations du Nord vers le Sud et ne propose pas, par exemple, d’autoréduire les ventes vers les dictatures ou les pays ne respectant pas les normes sociales et environnementales. En ce sens, il constitue un obstacle à la mise en avant de propositions coopératives.
Les pays du Nord peuvent-ils en effet imposer le respect des normes sociales et environnementales aux pays du Sud à travers la mise en place d’une taxation spécifique ? On peut s’interroger d’abord sur la légitimité qu’auraient à prendre ce type de mesures les pays dont sont issus les groupes multinationaux (et les institutions internationales) qui font pression sur les modes de développement au Sud. Les grands utilisateurs de zones franches devraient commencer par balayer devant leur porte. Il faut donc inverser le point de vue dominant qui fait des pays émergents une menace pour la santé économique des pays développés à partir de ce constat : ce sont les pays riches qui ont imposé aux pays du Sud une priorité aux exportations et une ouverture à tout vent qui conduit dans ces pays à un développement tronqué. Que l’on assiste aujourd’hui à un effet boomerang de la mondialisation est une ironie de l’histoire qui ne doit pas faire oublier la genèse de cette configuration.
Dans les pays développés, la focalisation sur le protectionnisme est en outre dangereuse. Elle revient à minimiser les causes sociales de la crise qui se trouvent dans le rapport actuel entre capital et travail en expliquant cette crise presque exclusivement par la concurrence indue des pays émergents. Même si ce n’est évidemment pas l’intention de ses promoteurs de gauche, les thèses néoprotectionnistes risquent d’alimenter des réflexes cherchant à faire retomber sur des boucs émissaires étrangers la responsabilité de la crise qui incombe au capitalisme. Les obstacles à la définition d’une alternative globale à la mondialisation capitaliste sont réels, mais ils ne peuvent être contournés par un discours protectionniste unilatéral.
Les obstacles et les transitions
Plutôt que de présenter un programme bouclé, mieux vaut identifier les obstacles vers une mondialisation rationnelle. Le premier est d’ordre économique et renvoie à la relative rigidité de la division internationale du travail actuelle. Par exemple, les importations des États-Unis depuis la Chine correspondent en grande partie à des délocalisations qui ne sont pas immédiatement réversibles. Le second obstacle réside dans la nature des gouvernements qui, dans leur grande majorité, sont les représentants d’intérêts sociaux locaux qui partagent avec les multinationales les bénéfices de la mondialisation, que ce soit au Nord ou au Sud. C’est une réelle difficulté dont témoigne par exemple la capacité de couches parasitaires à détourner l’aide internationale au développement et à l’empêcher de parvenir à ses destinataires. Une partie de la réponse réside donc dans les processus de transformation sociale propres à chaque région ou pays.
On se heurte ainsi à la difficulté centrale qui est, encore une fois, d’ordre stratégique plus que programmatique. Une mondialisation rationnelle pleinement achevée suppose des formes de gouvernance mondiale assurant la coordination entre les politiques menées au niveau de chaque État et prenant la forme d’une planification à l’échelle mondiale en matière énergétique. Mais en attendant, il faut faire avec des gouvernements au service des intérêts dominants et il est nécessaire de favoriser sans attendre l’émergence spontanée de ce nouvel ordre mondial. La seule solution est de faire feu de tout bois, en avançant des propositions concrètes, en soutenant les gouvernements qui vont dans le bon sens et en visant à des ruptures partielles.
Depuis des années, les politiques néolibérales ont eu pour objectif la mise hors la loi de tout instrument de contrôle sur les mouvements de capitaux, avec les résultats que l’on sait. Il faut donc que les pays retrouvent les moyens de maîtriser les flux de capitaux : obligations de dépôts, délai minimal avant le rapatriement des capitaux et des profits, taxation des mouvements spéculatifs. Il faut ensuite renouer avec des exigences de politique industrielle et de développement qui reviennent à imposer certaines conditions à l’investissement international sur deux points essentiels. Le premier est le degré d’intégration, autrement dit le pourcentage minimal de consommations intermédiaires, d’emploi et de ventes sur le marché national. La seconde exigence porte sur les nécessaires transferts technologiques : cessions de brevets, intégration des filières de production. Aujourd’hui, les stratégies des grands groupes consistent à empêcher ou à morceler ces transferts de manière à éviter que les pays du Sud réussissent à « remonter les filières » et à passer du statut de sous-traitant à celui de concurrents.
Les politiques d’alliances régionales doivent être soutenues contre les accords bilatéraux Nord-Sud car elles permettent une relative déconnexion du marché mondial. Quant aux pays du Nord, Union européenne comprise, ils doivent rompre avec leur politique impérialiste visant à ouvrir les marchés et les services publics à leurs multinationales et prendre au contraire l’initiative d’accords de coopération visant à instituer un véritable codéveloppement fondé sur des transferts technologiques, spécialement en matière énergétique.
Des propositions de taxes mondiales permettent de donner un contenu opérationnel à la notion de biens communs. Ainsi, une taxe sur les transactions financières et une taxe kilométrique auraient un effet dissuasif sur la spéculation financière et sur l’intensité du commerce international, tout en permettant d’alimenter des fonds mondiaux consacrés à des objectifs de développement et à la lutte contre le défi climatique.
Le paradoxe de l’altermondialisme est au fond que l’essentiel des alternatives se trouve dans la transformation sociale à l’intérieur de chaque pays. Le moyen le plus sûr de dégonfler la « bulle » de la mondialisation est la mise en place de modèles de développement rééquilibrant la répartition des revenus et donnant la priorité au temps libre au Nord et à la satisfaction des besoins les plus urgents au Sud. Et la protection de telles expériences définit le seul protectionnisme véritablement progressiste.
Sources
:
La démondialisation, un concept superficiel et simpliste
6 JUIN 2011 PAR LES INVITÉS DE MEDIAPART ÉDITION : LES INVITÉS DE MEDIAPART
Geneviève Azam, Jacques Cossart, Thomas Coutrot, Jean-Marie Harribey, Michel Husson, Pierre Khalfa, Dominique Plihon, Catherine Samary et Aurélie Trouvé, membres du Conseil scientifique d’Attac
Les impasses de la démondialisation
20 JUIN 2011 PAR PIERRE KHALFA BLOG : LE BLOG DE PIERRE KHALFA
Qui a peur de la démondialisation ? par Frédéric Lordon, 13 juin 2011
La démondialisation heureuse ? Éléments de débat et de réponse à Frédéric Lordon et à quelques autres collègues, 16/06/2011, par Jean-Marie Harribey
Répères pour une autre mondialisation, Michel Husson 2010, Hussonet.
Despotisme sans frontières, Les ravages du nouveau libre-échange, Vlb éditeur, 21018, par Simon-Pierre Savard-Tremblay
Alain Bihr, De l’internationalisation à la transnationalisation, paru dans la Novlangue néolibérale, Édition page 2, Lausanne 2007
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