Rappelons brièvement les faits. Le Dr Brian Day, fondateur de la clinique privée Cambie Surgery à Vancouver, réclamait depuis plus de 10 ans le droit de facturer à ses patients des soins de santé offerts dans le système public. Comme celle du Québec, la loi de la Colombie-Britannique interdit la surfacturation : le médecin ne peut facturer des frais directement au patient s’il facture déjà à l’assurance-maladie publique. La loi interdit également la mixité de pratique, c’est-à-dire qu’un médecin ne peut pratiquer à la fois au public et au privé, pour des raisons de conflit d’intérêt évidentes (la seule exception étant la mixité de pratique permise pour les radiologues hors établissement au Québec). Enfin, la loi interdit également les assurances privées couvrant les mêmes services que le régime public ; les doublons d’assurances sont ainsi impossibles. Ces dispositions assurent un accès équitable pour les patients, en garantissant que les soins soient fournis en premier lieu à ceux qui en ont le plus besoin, plutôt qu’à ceux qui peuvent payer pour un accès plus rapide.
Dans le jugement de la Cour suprême de Colombie-Britannique, on conclut que l’introduction d’une assurance privée duplicative pour certains soins déjà offerts dans le système public aurait comme conséquence de réduire la capacité du système public à offrir des soins, d’augmenter les coûts globaux de la santé et d’exacerber les inégalités d’accès aux soins médicalement nécessaires pour les patients. La preuve est faite : permettre aux patients de s’acheter un “coupe-file” et d’obtenir des soins plus rapidement au privé augmente les temps d’attente au public pour ceux qui n’ont pas les moyens de payer, et ceci est inconstitutionnel. C’est pour instaurer ce type de système pour lequel Cambie Surgeries Corporation se battait devant les tribunaux.
Au Québec, le jugement Chaoulli a permis en 2005 l’introduction d’une assurance maladie privée duplicative pour soi-disant tenter de réduire les temps d’attente pour certains soins spécifiques. Pourtant, les temps d’attente sont restés les mêmes ou se sont même allongés pour ceux qui n’avaient pas les moyens d’acheter une assurance privée. L’argument principal est donc mis en échec. Notons également que les cliniques de chirurgies privées sélectionnent leur clientèle, en soignant les patients les moins malades et en laissant au système public les cas les plus lourds : le plaignant initial de la cause Chaoulli n’a pu avoir la chirurgie au privé pour laquelle il s’était battu, car il avait des problèmes cardiaques et pulmonaires qui rendaient la chirurgie trop périlleuse et pas assez rentable au privé. Eh oui, au final et sans surprise, les tenants de la privatisation cherchent davantage à maximiser leurs profits qu’à soigner des patients malades. Pourtant, la santé n’est pas une marchandise dont il est légitime de profiter.
Par ailleurs, de nombreuses innovations publiques ont déjà réussi à réduire les temps d’attente sans que les patients aient à « choisir » un paiement privé. Des approches multidisciplinaires, une utilisation des professionnels de la santé au plus haut de leurs compétences, et des listes d’attentes centralisées sont autant de moyens qui ont fait leurs preuves.
Notre système de soins de santé est certes imparfait, mais les réformes proposées par le Dr Day et autres tenants de la privatisation ne profiteraient qu’à ceux qui ont les moyens de payer pour le privilège d’un accès plus rapide, au détriment de millions d’autres canadiens qui devront attendre plus longtemps pour bénéficier de soins de santé financés par l’État. Nous nous réjouissons que ceci ait été reconnu et validé par ce jugement historique.
Isabelle Leblanc, présidente, et Karyne Pelletier, vice-présidente, pour Le conseil d’administration de Médecins Québécois pour le Régime Public. Les auteures remercient également Canadian Doctors for Medicare pour leur implication dans cette cause.
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