Nikolas Barry-Shaw et Donya Ziaee
The Breach, 10 mai 2024
Traduction, Alexandra Cyr
Le National Post dans une annonce prévient les Canadiens.nes : « Ce programme est une bombe qui va faire exploser votre prime ». Dans The Hill Times, on peut lire : « qu’il n’y a rien de plus effrayant » que la volonté du gouvernement de faire baisser le prix (des médicaments). On y compare le programme à « une guerre de guérilla » contre l’industrie pharmaceutique.
Les auteurs.es de ces propos, comme ceux d’une douzaine d’autres, ont été identifés.es comme des experts.es en politique, indépendants.es, travaillant dans des instituts de recherche.
Mais, une enquête du Conseil des Canadiens révèle que tous et toutes ont des liens avec les pharmaceutiques et les compagnies d’assurance. Ce sont les industries qui ont le plus à perdre avec l’introduction de ce programme. Plusieurs sont, soit leurs employés.es, leurs lobbyistes ou consultants.es. Tous et toutes travaillent pour des groupes de réflexion fondés par des manufacturiers de médicaments comme Pfizer, Johnson & Johnson et des groupes de lobbying comme Innovative Medicines Canada. Ou encore pour des compagnies où les membres des conseils d’administration sont issus.es des pharmaceutiques, des lobbys à leur service ou des compagnies d’assurance.
Depuis l’introduction de ce projet de loi, à la fin de l’année dernière, les interventions venant de ce secteur se sont multipliées pour faire dérailler et reporter toute tentative d’aller vers un système à payeur unique.
Depuis mars 2022, 49 articles attaquant le programme ont été publiés. 25 interventions du même genre ont été repérées dans les réseaux sociaux et les journaux.
Les liens avec l’industrie ne sont pas rendus publics
Les grandes pharmaceutiques et les compagnies d’assurance ont exercé un lobbying vigoureux contre ce programme universel qui devrait limiter leur pouvoir de fixation des prix pour ce qui est des pharmaceutiques et l’étendue de leurs marchés pour ce qui est des assureurs.
Avec l’entente entre le gouvernement libéral et le NPD sur le fait que l’approvisionnement un élément fondamental de la loi, les interventions d’opposition se sont déchainées dans les médias. Ce fut pire encore quand la loi a été introduite au parlement en février dernier.
Les conflits d’intérêt de tous ces commentateurs et commentatrices qui s’exprimaient couramment sur le sujet n’ont absolument pas dérangé les médias canadiens.
Par exemple, Brett Skinner, du Canadian Health Policy Institute, a passé des années à attaquer ce genre de programme en publiant des articles avec des titres comme « Électeurs.trices prenez garde : le programme national sur les médicaments est inutile, mauvais pour les Canadiens.nes déjà assurés.es et cher pour les contribuables ». Et « Des coûts plus élevés et moins de couverture. Pourquoi les Canadiens.nes voudraient de ce programme ».
Plusieurs de ces articles ont été écrits alors qu’il travaillait pour Innovative Medicines Canada le plus grand groupe de lobbying de la pharmacie au Canada. En plus il y était directeur des politiques en santé et en économie. Aucun des médias qui a publié ses articles, n’ont mentionné ce fait.
D’autres lettres ouvertes et articles écrits par des personnes liées à l’industrie ont été diffusés sur les sites de nouvelles consultés par des employés.es du gouvernement et des législateurs.trices ; par exemple, The Hill Times et National Newswatch, les services en lignes de The Canadian Press et des médias nationaux comme la CB, The Globe and Mail, Global News et The Toronto Star. L’enquête s’est limitée aux médias en ligne et écrits, ce qui a exclu les télévisions, les radios et les entrevues en balado-diffusion.
Un réseau de groupes de réflexion proches de l’industrie pharmaceutique
Les opposants.es au projet de loi C-64 ont compris depuis longtemps que pour protéger leurs profits, il leur fallait contrôler le discours public (à ce sujet). Mais ils et elles sont très conscients.es que les Canadiens.nes ne leur font pas confiance pour obtenir des avis fiables sur le système de soins. C’est pour cela que ces industries ont soutenu pendant des décennies des groupes de réflexion qui se chargeaient de publiciser leur message aux législateurs.trices et au grand public.
Les grandes pharmaceutiques ont financé les groupes de réflexion de droite grâce à des dons et des parrainages. Par exemple, Pfizer, Merck, Roche, Johnson & Johnson et AstraZeneca ont donné à The Macdonald-Laurier Institute et aux deux plus grands groupes de lobbying dans le domaine des médicaments et de la pharmacie, au Canada et aux États-Unis.
Le Canadian Health Policy Institute assure que, son mandat lui permet de publier des résultats de recherches qui concernent le système de santé grâce à « des politiques basées sur des preuves ». Mais ces recherches sont payées de gré à gré par des compagnies pharmaceutiques et portent sur les sujets qui les intéressent y compris le programme fédéral d’assurance médicaments.
Le Conference Board of Canada, un groupe de réflexion qui se dit « non partisan », est couramment cité dans les médias à propos de ses analyses sur une variété de sujets. Il a reçu des fonds du plus important lobby de l’industrie pharmaceutique du Canada, Innovative Medicines Canda pour des rapports où la nécessité du programme est minimisée.
Sa plus récente production financée ainsi, avance que 97% des Canadiens.nes détiennent déjà une assurance médicament. Ce résultat a été largement citée dans les médias alors que les plus éminents.es experts.es le dénonce comme le plus pernicieux des mensonges jamais émis par les compagnies opposantes au projet de loi. Les données pour ce travail avaient été fournies par Canadian Life and Health Insurance Association, le groupe dominant du lobby des assurances.
Il arrive aussi que les liens entre les pharmaceutiques et les compagnies d’assurance dépassent les simples financements. Dans beaucoup de cas, les dircteurs.trices ou les lobbyistes siègent sur les conseils d’administration. Cela leur donne la possibilité de diriger les recherches et de surveiller les positions que ces organisations prennent à propos du programme. Par exemple, à l’Institut économique de Montréal, Mme Hélène Desmarais préside le conseil d’administration. Elle est l’héritière de la famille Desmarais qui est propriétaire de Canada Life, le plus grand assureur du pays.
L’institut C.D. Howe se vante que ses recherches sont « non partisanes, basées sur des preuves et soumise à la révision d’experts.es ». Mais quand il s’agit du projet de loi C-64, ce sont souvent les grandes pharmaceutiques et des représentants.es des compagnies d’assurance qui assurent ce service. Les cadres et les lobbyistes de l’industrie occupent un tiers des sièges de l’Institute’s Health Policy Council.
Trop souvent, les experts.es qui supposément fournissent des analyses « indépendantes et non biaisés » sur le programme fédéral sur les médicaments ont des liens directs avec les compagnies pharmaceutiques et d’assurance. Malgré leurs titres quasi universitaires, plusieurs en sont d’anciens.nes employés.es, des lobbyistes ou des consultants.es. Par exemple, Nigel Rawson a publié des douzaines d’articles où il attaque le projet de loi . Il se présente comme « Senior Fellow » du Macdonald-Laurier Institute et « universitaire affilié » du Canadian Health Policy Institute. Mais en fait il est consultant pour l’industrie pharmaceutique et un ancien employé d’un manufacturier de médicaments. Marcel Saulnier, un des « Senior Fellow » du C.D. Howe Institute, est un lobbyiste d’une compagnie ayant des relations avec le gouvernement et qui représente les compagnies pharmaceutiques. Il exerce ses fonctions auprès du gouvernement au nom de Johnson & Johnson relativement au programme fédéral. Il était une tête d’affiche d’un récent événement chez C.D.Howe à propos de ce programme commandité par Johnson & Johnson.
Introduire du brouillage pour masquer les faits
Selon une enquête du New York Times, pendant des décennies, les grands de la pharmacie ont dépensé des millions pour monter ce que leurs documents internes désignent comme des « lieux de résonnance intellectuelles, d’organisations de même sensibilité ».
Selon l’historien Edward Nik-Khah, ces relations financières de longue date signifient que les grandes pharmaceutiques « peuvent un moment donné, faire appel à un groupe d’économistes qui pourront leur fournir un message finement conçu pour atteindre un but politique ». La lutte actuelle autour du projet de loi C-64 est un de ces moments.
Le premier objectif de ces « lieux de résonnance intellectuelles » d’opposition au programme fédéral a été d’anticiper les règles pour biaiser le discours public à leurs propos. Plutôt que de s’opposer directement à l’idée d’une assurance universelle des médicaments sous ordonnances, idée qui est soutenue par la vaste majorité de la population, les grandes compagnies pharmaceutiques et leurs alliés.es ont tenté de semer le doute et la confusion.
Tout ce beau monde a minimisé l’efficacité de la portée de la couverture du programme. L’idée que le prix des médicaments au Canada, le deuxième le plus élevé dans le monde après les États-Unis, soit excessif, a été ridiculisé. De vieux arguments démentis à propos du programme ont été ressortis après avoir servi de multiples fois dans le passé.
Les groupes de réflexion de cette industrie sont des brouilleurs d’idées qui cherchent à masquer les faits dans les discussions sur la politique mais rejoignent parfois les plus hautes sphères des législateurs.trices. Depuis des années, ils ont visé les caucus, les membres du cabinet (fédéral) et leur ont servi de la désinformation pour ralentir les progrès vers la loi sur l’assurance médicaments.
Le Dr. Doug Eyolfson, ancien député libéral était membre du Comité sur la santé de 2016 à 2019. Il décrit comment les groupes financés par les pharmaceutiques ont affaibli la volonté du gouvernement Trudeau dans le projet de loiC-64 : « Les plus importantes hésitations vis-à-vis ce programme (y compris chez le gouvernement libéral dont j’étais membre), venait de l’immense désinformation venant de divers secteurs, chacun avec leur propre programme. Le lobbying était agressif, des articles de divers groupes réussissaient à convaincre beaucoup de gens que le programme couterait bien trop cher, qu’il n’était pas nécessaire et qu’il pourrait retarder l’émergence de nouveaux médicaments ».
Il faut un mur pare-feu entre les grandes pharmaceutiques et les décideurs.euses
La première phase de ce programme universel, à payeur unique qui couvre la contraception et les médicaments pour le diabète ne va affecter les profits des manufacturiers de médicaments et les assureurs qu’à la marge.
Mais la loi est quand même venue les hanter parce qu’elle mettra en place un programme bien plus important. Mais les délais d’introduction vont grandement leur bénéficier. Un gouvernement conservateur avec P. Poilievre pourrait facilement défaire un programme qui n’existe pour ainsi dire que sur papier. Déjà il répète ce qui lui vient des groupes de réflexion financés par l’industrie, comme nous en avons fait état dans le passé.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que les industriels.les réussissent à renverser des politiques gouvernementales. L’an dernier, une de nos enquêtes a révélé que le ministre fédéral de la santé était de mèche avec les grandes pharmaceutiques pour ralentir des réformes qui auraient épargné des milliards de dollars aux Canadiens.nes en coût de médicament.
Un ex-membre du conseil d’administration du comité de fixation des prix des médicaments, Matthew Herder, a récemment mis en garde contre l’influence excessive de l’industrie au moment de l’adoption de la loi sur l’assurance médicament. Il avait démissionné de son poste pour protester contre cela : « Je l’ai observé de première main. J’ai vu comment le processus a été influencé et contrôlé par l’industrie et ses multiples organisations sœurs. Avec ce programme, nous ne devons pas fermer les yeux sur les effets insidieux des conflits d’intérêts ».
Au moment de l’adoption de la loi, un comité de cinq experts.es sera mis en place pour superviser l’implantation du programme universel et public. M. Herder insiste sur l’obligation de n’y admettre aucun.e membre ayant des liens financiers avec l’industrie : « Le gouvernement doit ériger un mur pare-feu entre ces intérêts et les membres du comité (d’implantation). Si non, la loi C-64 peut devenir un autre échec dans la lutte pour que les Canadiens.nes aient accès à des médicaments essentiels et abordables pour tous et toutes ».
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Un message, un commentaire ?