13 février 2025 | tiré du site de Pivot | Photo : Donald Trump, président des États-Unis. Photo : Gage Skidmore (CC BY-SA 2.0). Montage : Pivot.
Des organismes s’inquiètent des mesures anti-migration du nouveau président américain Donald Trump, qu’ils jugent en violation des droits fondamentaux des migrant·es et du droit international sur la protection des réfugié·es. Ils appellent de nouveau le Canada à se retirer de l’Entente sur les tiers pays sûrs conclue avec les États-Unis, qui empêche la plupart des migrant·es arrivant au pays via les États-Unis de demander l’asile.
Depuis l’entrée en fonction du président américain Donald Trump le 20 janvier dernier, plusieurs organismes de défense des droits, notamment le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) et Amnistie internationale Canada, ont exprimé leurs préoccupations quant aux nouvelles mesures migratoires des États-Unis, qui menaceraient la sécurité et les droits fondamentaux des personnes en quête de refuge.
Ces mesures incluent la suspension totale du droit d’asile et celui de réinstallation pour les réfugié·es reconnu·es, ainsi que la détention et la déportation massives des personnes migrantes à statut irrégulier.
Donald Trump « est en train de construire une machine de déportation, de violence et de guerre ouverte contre les migrants, qui est sans précédent dans l’histoire récente », s’indigne Jon Milton, du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), qui a très rapidement sonné l’alarme sur le danger des nouvelles mesures migratoires américaines.
Il souligne que le Canada a des responsabilités morales et légales d’ouvrir ses portes aux personnes fuyant non seulement la persécution dans leur pays d’origine, mais aussi la violence anti-migration sous l’administration Trump.
Le CCR et Amnistie internationale soutiennent dans un communiqué conjoint que « le seul moyen efficace de garantir la protection des réfugiés est de se retirer de l’Entente sur les tiers pays sûrs », laquelle empêche sauf exception les migrant·es se présentant à la frontière canado-américaine de demander l’asile au Canada.
Ketty Nivyabandi, secrétaire générale d’Amnistie internationale Canada, ajoute en entrevue que c’est le temps de remettre en question cette entente dans le contexte actuel où « le Canada réévalue ses relations avec les États-Unis sur divers sujets ».
« Les Canadiens ont réalisé que les États-Unis sous Trump ne sont pas un partenaire fiable. C’est vrai pour le commerce, et c’est aussi vrai pour les droits humains. »
L’ENTENTE SUR LES TIERS PAYS SÛRS, C’EST QUOI ?
L’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis est un accord entré en vigueur en 2004, selon lequel les deux pays se reconnaissent mutuellement comme un « pays sûr » pour les demandeur·euses d’asile. Ainsi, les personnes en quête de refuge sont tenues de demander l’asile dans le premier pays sûr où elles mettent les pieds, sauf quelques exceptions, notamment pour les mineur·es non accompagné·es et les proches de résident·es permanents et de citoyen·nes canadien·nes. Il demeure aussi possible de déposer une demande en arrivant par avion, mais cela exige d’abord d’obtenir le visa nécessaire à l’embarquement.
Attaques au droit d’asile
Dans les tout premiers jours de son second mandat, Donald Trump a signé une série de décrets qui attaquent l’immigration irrégulière comme régulière aux États-Unis.
Dans la foulée des décrets, le nouveau président américain a suspendu jusqu’à nouvel ordre toute entrée de migrant·es sans statut par la frontière avec le Mexique. Il invoque l’urgence de protéger les États-Unis contre les « invasions », tout en confondant les personnes impliquées dans des activités criminelles transfrontalières avec celles qui fuient la persécution dans leur pays d’origine et cherchent protection aux États-Unis.
En déclarant l’état d’urgence à la frontière sud, le chef d’État recourt à son pouvoir présidentiel prévu pour les temps de guerre afin d’y déployer les forces armées et de demander aux départements de la Défense et de la Sécurité intérieure de prendre « toutes les mesures appropriées » pour construire une barrière physique le long de la frontière.
En même temps, le républicain a mis fin à l’application mobile CBP One, qui permettait aux demandeur·euses d’asile se présentant à la frontière sud de prendre rendez-vous avec les autorités américaines de l’immigration, laissant ainsi 270 000 personnes vulnérables dans une situation ambiguë.
Donald Trump a également suspendu pour au moins 90 jours le Programme américain d’admission des réfugié·es, la seule voie par laquelle ils et elles peuvent s’installer aux États-Unis, afin d’en mener une révision. Cela bloque de fait l’arrivée de milliers de réfugié·es de partout à travers le monde.
Or, le 7 février, il a souligné dans un autre décret l’importance de prioriser l’admission, par le biais du même programme, des Sud-Africain·es blanc·hes « victimes de discrimination raciale ».
En bloquant complètement le droit d’asile pour une période indéfinie, « l’administration Trump a très clairement tourné le dos à son devoir » de protéger les personnes à risque de persécution, dénonce Ketty Nivyabandi, invoquant la Convention de Genève dont les États-Unis sont signataires.
Détentions et déportations massives
Toujours dans les tout premiers jours de son second mandat, Donald Trump a ordonné des détentions et déportations accélérées et massives de migrant·es à statut irrégulier dans l’ensemble du pays, y compris ceux et celles qui auraient besoin de protection, en élargissant les pouvoirs de la police de l’immigration (ICE).
Le républicain s’en prend également aux migrant·es qui ont été légalement autorisé·es à entrer dans le pays.
Dans un décret intitulé « Sécuriser nos frontières », il a révoqué tous les programmes humanitaires qui offrent un refuge temporaire à des ressortissant·es étranger·es en raison d’urgences humanitaires, notamment celui pour les Cubain·es, les Haïtien·nes, les Nicaraguayen·nes et les Vénézuélien·nes initié par le gouvernement Biden en 2023, qui touchait jusqu’à 30 000 personnes par mois.
L’avenir est sombre pour les bénéficiaires de ces programmes, qui se trouveront dans l’impossibilité de renouveler leur permis de séjour et qui risquent éventuellement d’être déporté·es.
D’ailleurs, l’administration Trump a annoncé le rétablissement du Protocole de protection des migrant·es, connu sous le nom de « Rester au Mexique », qui exigeait lors de son premier mandat que les demandeur·euses d’asile en provenance du Mexique y soient renvoyé·es le temps que leur demande soit traitée.
Cette mesure supposée « protéger les migrants » les ont au contraire exposé·es à des risques élevés d’enlèvement et de violence dans des villes frontalières mexicaines, comme l’a par exemple montré Médecins sans frontière.
« L’idée que, dans ce contexte-là, le Canada continue à traiter les États-Unis comme un pays sécuritaire pour les réfugiés est absurde. »
Jon Milton, CCPA
Alors que les détentions et les déportations ont aussi été une préoccupation sous l’administration Biden, « ce qui est différent avec Trump, c’est sa volonté ouverte et claire de les élargir pour restructurer le pays d’une manière raciste », dénonce Jon Milton.
« Cela devient la pierre angulaire de son agenda et de sa légitimité et laisse présager ce qui est encore à venir », déplore Ketty Nivyabandi.
La position du Canada
Qu’en est-il de l’Entente sur les tiers pays sûrs dans ce contexte ?
D’après Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), « seuls les pays qui respectent les droits de la personne et offrent une solide protection aux demandeurs d’asile peuvent être désignés tiers pays sûrs ». À ce jour, les États-Unis sont le seul tiers pays sûr désigné par IRCC.
« L’idée que, dans ce contexte-là, le Canada continue à traiter les États-Unis comme un pays sécuritaire pour les réfugiés est absurde », affirme Jon Milton.
Face aux préoccupations soulevées par les groupes, IRCC semble déterminé à défendre l’Entente et s’aligne avec le discours de la Maison-Blanche, qui considère tous les passages irréguliers de la frontière comme une menace à la sécurité.
« Nous continuons à travailler avec nos homologues américains pour lutter contre les passages illégaux vers le nord et vers le sud le long de la frontière [canado-américaine], dans le cadre de nos efforts de collaboration de longue date et de notre intérêt mutuel à assurer la sécurité de nos communautés », écrit IRCC dans un courriel à Pivot.
« Chaque gouvernement, et le Canada en particulier, a l’obligation de protéger les personnes à risque de persécution. C’est illégal de ne pas le faire », soutient Ketty Nivyabandi.
« Le seul moyen efficace de garantir la protection des réfugiés est de se retirer de l’Entente sur les tiers pays sûrs. »
CCR et Amnistie internationale Canada
L’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis est depuis longtemps contestée par des groupes et des organismes de défense des droits au pays. En 2017, Amnistie internationale Canada, le CCR et le Conseil canadien des Églises ont intenté un recours juridique remettant en question sa constitutionnalité.
En juin 2023, dans une décision partielle, la Cour suprême du Canada a conclu que la constitutionnalité de l’Entente dépendait de l’utilisation par les agent·es frontalier·es de « soupapes de sécurité », c’est-à-dire des mesures discrétionnaires pour protéger les migrant·es dont la sécurité serait menacée s’iels étaient renvoyé·es aux États-Unis.
Par exemple, un·e agent·e frontalier·e aurait le pouvoir d’accorder un visa de résident temporaire à une personne victime de violence conjugale, un motif de protection reconnu au Canada mais non aux États-Unis.
Cependant, en réalité, Amnistie internationale et le CCR ont constaté que ces « soupapes de sécurité » sont plutôt hypothétiques, et qu’elles ne sont même pas mentionnées dans le manuel d’opération des agent·es frontalier·es, en plus de reposer sur le jugement subjectif d’individus.
D’ailleurs, en mars 2023, les gouvernements du Canada et des États-Unis ont élargi l’Entente afin qu’elle s’applique à l’ensemble de la frontière entre les deux pays et non seulement aux points d’entrée officiels. Cela a poussé les personnes en quête de refuge à tenter de traverser depuis des endroits plus éloignés et plus dangereux pour ne pas être interceptées.
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Auteur·e
BIFAN SUN
Bifan Sun est journaliste spécialisée dans les enjeux de racisme et d’anti-racisme pour Pivot. Dans le cadre du projet « Différends : sur le terrain des luttes anti-racistes », soutenu par la Fondation canadienne des relations raciales, elle s’engage à faire entendre une pluralité de voix issues des communautés racisées sous-représentées dans la sphère médiatique francophone. Elle est titulaire d’une maîtrise en communication, pour laquelle elle a étudié la construction des récits de migration par un groupe de femmes migrantes marginalisées.
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