Le moment est venu de réfléchir à cette question en tenant compte de l’avis des scientifiques en matière de choix énergétiques et des préoccupations des citoyens. À cet égard, le choix du gaz naturel comme énergie principale pour chauffer un million de pieds carrés de nouveaux bâtiments industriels soulève bien des questions.
Il est reconnu que le méthane obtenu par fracturation (c’est le gaz distribué par Énergir) est autant, sinon davantage nuisible pour le climat que le charbon ; de plus, le méthane est un gaz dangereux pour la santé (asthme, maladies cardiovasculaires, cancer). La cause principale des méfaits du gaz naturel obtenu par fracturation hydraulique, ce sont les émissions furtives qui se produisent durant la période d’extraction, mais surtout pendant les décennies suivant la fermeture des puits. Une série de nouveaux satellites ont été mis en orbite récemment pour mesurer ces émissions, et les résultats obtenus sont pires que ceux anticipés2,3.
Pour chauffer et climatiser des bâtiments industriels, il existe une alternative énergétique beaucoup plus avantageuse économiquement, plus saine et plus sécuritaire à long terme que le méthane : la géothermie avec thermopompe électrique et une énergie d’appoint pour les besoins exceptionnels.
Si l’installation de la géothermie dans les bâtiments mobilise un investissement initial plus important que le gaz naturel, elle s’avère par contre beaucoup plus économique à long terme. Elle permet notamment de couvrir les besoins de climatisation et de chauffage pendant 75 ans. Dans plusieurs pays, la géothermie communautaire a été implantée avec un modèle d’affaires permettant la récupération de l’investissement sur 8 ou 10 ans. Partout, ce choix a permis d’accroitre la sécurité énergétique tout en réduisant la pollution atmosphérique et les risques pour la santé4.
Selon Bruno Detuncq, professeur à la retraite de Polytechnique Montréal spécialisé en combustion, l’efficacité énergétique de la géothermie est incomparablement plus grande que celle de la combustion du gaz naturel ; de plus, la géothermie ne génère aucun gaz à effet de serre. L’électricité produite au Québec couplée à la géothermie est sans conteste l’approche écologiquement la plus intéressante. Le coefficient de performance (CP) des thermopompes modernes en mode chauffage et en mode climatisation permet d’importantes économies d’énergie et d’appréciables réductions de frais à long terme, ce que n’offre pas la filière du gaz naturel. Le gouvernement du Canada démontre bien cela sur son site5.
Il faut également rappeler que le gouvernement fédéral portera la taxe carbone à 170 $ la tonne en 2030. Cette taxe imposera aux utilisateurs de gaz naturel un coût supplémentaire qui minera inévitablement la rentabilité du projet. Avec le temps, l’utilisation de combustibles fossiles deviendra prohibitive, tandis que le coût du scénario électricité/géothermie ne croîtra que très lentement.
Dans son rapport de 2019, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)6 précise qu’il est impératif que les humains diminuent de 45% les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 et atteignent la carboneutralité en 2050. Nous disposons d’une trentaine d’années pour éliminer nos émissions de CO₂.
Si nous y parvenons, nous pourrons espérer réussir à sauvegarder des conditions viables pour les générations présentes et à venir. Nous pouvons déjà constater en direct les catastrophes causées par notre consommation immodérée d’hydrocarbures : la fonte des pôles et des glaciers, la diminution des capacités agricoles, les incendies de forêts, les pénuries d’eau et la disparition de la biodiversité. L’acidification des océans causée par le CO2 émis par l’utilisation de combustibles fossiles accélère par ailleurs la disparition du plancton, base de la chaîne alimentaire marine et source de 60% de l’oxygène terrestre7. Un seuil critique est déjà atteint. Que faut-il de plus pour nous mettre d’accord pour accorder la priorité absolue à la transition énergétique ?
Les enfants qui ont aujourd’hui 11 ans devraient en avoir 90 en 2100. Comme le rapporte le biologiste expert du climat Claude Villeneuve, avec l’inertie actuelle, il n’est pas assuré que l’humanité survive au 21ème siècle8. Que penseront de nous nos enfants et petits-enfants si nous persistons à refuser de suivre les recommandations des scientifiques et laissons l’intérêt économique à court terme ruiner leur espérance de vie ?
Louise Morand, L’Assomption
NOTES
1.- http://zoneagtech.ca/
2.- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1739683/emission-methane-detection-espace-ghgsat
3.https://www.nationalgeographic.fr/environnement/2019/08/pics-de-methane-dans-latmosphere-lexploitation-du-gaz-de-schiste-mise-en
4.- IRENA (2017), Renewable Energy in District Heating and Cooling : A Sector Roadmap for REmap, International Renewable Energy Agency, Abu Dhabi. www.irena.org/remap.
5.- https://www.rncan.gc.ca/efficacite-energetique/propos-denergy-star-canada/annonces-relatives-au-programme/publications/le-chauffage-le-refroidissement/pompes-geothermiques-systemes-energie-du-sol/6834
6. https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf
7.- Voir Andri Snaer Magnason (2020), Du temps et de l’eau. Requiem pour un glacier. Essai XYZ, pp.268-278.
8.- Claude Villeneuve (2013). Est-il trop tard ? Le point sur les changements climatiques. Québec : Ed. MultiMondes
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