Selon le ballon d’essai publié en primeur par Québécor, dont l’actionnaire majoritaire s’est mis à la solde du PQ pour mettre à leur place les syndicats d’Hydro-Québec et pour convertir cette société d’État en vache à lait gouvernementale par une hausse drastique des tarifs, il serait interdit à toute personne travaillant pour une institution publique et para-publique, mais non pour des organisations privées essentiellement subventionnées par l’État, d’arborer tout signe religieux proéminent. C’est d’une hypocrisie consommée que de prétendre défendre l’égalité femme-homme en persécutant les femmes se couvrant d’un foulard, certes un signe de soumission patriarcale, coincées entre la pression islamophobe et celle des fondamentalistes sur fond de mode et de publicité sexistes occidentales. En politisant la religion, une affaire devenue strictement privée depuis les révolutions démocratiques bourgeoises contre les monarchies de droit divin, le gouvernement s’abaisse au niveau des fondamentalistes, musulmans ou chrétiens. Il vaudrait mieux qu’il porte attention aux prédicateurs de haine sexiste, ethnique et sectaire et qu’il fasse peser sur eux toute la rigueur de la loi.
Il est fallacieux d’équivaloir la loi 101 à la charte des valeurs, de mettre sur le même pied défense de la langue et défense de l’identité définie par des valeurs communes. Autant la langue commune est concrète, autant la soi-disant identité commune est une abstraction idéologique. La langue commune d’un peuple pour se comprendre, rationnellement et émotivement, dans l’espace et dans le temps, relève d’un choix collectif. Le peuple québécois a choisi historiquement, contre tous les Lord Durham (voir wikipédia français), la langue française ce que tant les Libéraux (1974) que le PQ (1977) ont officialisé. Ce choix fait, il a parfaitement le droit de le défendre par toute la rigueur de la loi contre l’assaut impérialiste et néolibéral de l’anglais dont la Cour suprême fédérale est le fer de lance. La langue commune, tout comme l’égalité femme-homme et la laïcité, sont les résultats inachevés de combats historiques à faire aboutir par le projet indépendantiste. Mettre ces acquis historiques à parachever dans le panier des valeurs identitaires c’est confondre la matérialité de l’histoire concrète et la métaphysique idéaliste. Figer l’histoire dans l’éternité, c’est faire sombrer la lutte de libération nationale dans le nationalisme des essences divines.
Le vent libérateur qui s’est levé dans la décennie 1960 amena rapidement le peuple québécois a larguer la soit-disant religion commune, le catholicisme. Sans contrainte d’aucune sorte, cornettes, soutanes et port normatif du chapeau féminin, quand ce n’était pas des gants, volèrent dans la brise. La religion avait peut-être joué un rôle rassembleur au lendemain de la conquête de 1760, en plus de la langue, qui avait vu brutalement l’élite commerciale française être remplacée par une nouvelle anglophone. L’envers de la médaille fut la soumission du peuple au clergé et à ses alliés seigneuriaux laquelle se consolida après l’échec de la lutte de libération de 1837-38 jusqu’à ce que l’urbanisation / industrialisation, suffisamment avancée après la Deuxième guerre mondiale, créa les conditions matérielles pour que la société québécoise jette aux poubelles les dernieres séquelles religieuses du féodalisme. Le retour prétendument patrimonial à ces dites valeurs d’une époque révolue, masqué par la répression des manifestations vestimentaires des religions venues de l’immigration, ouvre la brèche d’un retour parallèle aux nus rapports de marché débarrassés de l’État providence avec en sus la dictature d’un capitalisme financier et transnational devenu mondialement très concentré et très centralisé.
Les fédéralistes ont promptement compris l’invitation du parti chef de file des nationalistes québécois promoteurs de Québec Inc.. Se sont reconnus les frères ennemis ligués dans la défense commune d’un capitalisme qui veut en finir avec ces faiseux de printemps érable protégeant des acquis sociaux non compatibles avec la norme étasunienne à laquelle le Canada conservateur s’ajuste au pas de course. On reconnaît là la sainte alliance de la dite Coalition Montréal pour la conquête de la mairie de la métropole du Québec lors des élections municipales de novembre prochain (voir sur mon site, Élections municipales de Montréal ― Contre les partis réactionnaires, un front de gauche, 19/08/13).
Corrompu par le nationalisme, même si c’est celui de l’opprimé, la gauche québécoise louvoie. Jusqu’ici, la réaction la plus conséquente, mais qui reste déficiente, a été celle de Québec solidaire qui réitère sa position calquée sur le rapport Bouchard-Taylor de 2008 partisan d’un communautarisme inter-ethnique et d’un laïcisme dit ouvert à cheval sur la neutralité de l’État vis-à-vis la religion et l’intégration égalitaire de toutes les religions dans les institutions nationales. Ce rapport visait non une politique de droit mais une de tolérance facilitant l’intégration à rabais des communautés culturelles et de l’immigration dans le marché du travail au profit de Québec Inc. (voir sur mon site, Le rapport Bouchard-Taylor ― L’ethnicisme citoyen : Intégrer tout en divisant, 12/06/08). Aujourd’hui, l’ex commissaire-philosophe très catholique Charles Taylor fait de la surenchère chauvine en traitant le gouvernement québécois de « poutinesque ».
En choisissant la voie de l’envenimement ethnico-religieux, le PQ est bien sûr en bonne compagnie. C’est là le chemin qu’empruntent, à géométrie variable, à peu près tous les gouvernements du monde à commencer par celui du Canada passé spécialiste dans l’ignorance arrogante des droits et des besoins criants des peuples autochtones et dans la guerre à l’immigration, autre qu’immédiatement (et temporairement) utile au milieu des affaires, en réprimant avec zèle la réunification des familles et l’accueil des réfugiées. Dans l’ensemble du monde dit occidental, l’islamophobie, dont le meilleur antidote est le soulèvement du monde arabo-musulman, a remplacé l’antisémitisme d’antan ― lequel n’a pas pour autant disparu même s’il n’a rien à voir avec l’antisionisme ― comme arme idéologique suprême pour empêcher la mobilisation unitaire contre l’impérialisme néolibéral.
On attend de la gauche politique et sociale québécoise un ferme rejet de la brèche réactionnaire ouverte par le PQ. Sans aucunement brimer le droit d’expression de la personne, du juge à la commis en passant par l’enseignante, lequel droit s’exprime aussi par la manière de se vêtir, il est tout à fait possible de baliser les quelques occasionnels irraisonnables « accommodements raisonnables » de type religieux. Il est possible de construire graduellement une politique de précédents basée sur la sécurité de la personne, sans interprétation mesquine, sur l’identification nécessaire, sans profilage, sur la communication exigeant raisonnablement l’expression faciale, sur la non-discrimination envers les employées de l’État à moins d’un danger pour la santé et sur la disponibilité des lieux publics et communautaires sans favoritisme.
Reste que la meilleure politique contre les divisions ethnico-religieuses est l’unité dans un combat commun à l’exemple du nouveau syndicat démocratique israélien Koach la-Ovdim (Pouvoir des travailleurs) qui « a été capable de mobiliser des dizaines de milliers de travailleurs […] en 2013. » Selon son porte-parole :
« Il est toujours étonnant de voir à quel point les objectifs communs aident les gens à agir ensemble. Par exemple, nous avons récemment travaillé en commun avec les institutrices et les instituteurs de maternelle, qui, en Israël, viennent vraiment de groupes sociaux très différents : des Juifs religieux, des Arabes, des nouveaux immigrants, des Bédouins. Lorsque on a commencé à les organiser pour de meilleurs conditions du travail, ces gens se sont réuni, ont uni leurs forces, et leurs origines différentes ont cessé de jouer un rôle important […car réunis] autour de revendications communes. […] Nous faisons toujours attention à respecter les besoins spécifiques de chaque groupe. Et nous surveillons que tous les groupes soient représentés au sein de la direction. Cela se fait de manière très pratique : tous les documents doivent être traduits, par exemple en arabe… » (INPRECOR, Israël ― Nouveau syndicat démocratique, juillet-août 2013)
Vivement un retour du printemps érable avec grève sociale contre les budgets du printemps 2014.
Marc Bonhomme, 25 août 2013
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca